Ameenah Gurib-Fakim: la première femme au plus haut sommet de l’Etat mauricien

Ameenah Gurib-Fakim: la première femme au plus haut sommet de l’Etat mauricien


Date: June 2, 2015
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Port-Louis: En 47 ans d’indépendance, jamais Maurice n’a eu de femme pour Premier ministre. Encore moins comme vice-Premier ministre. Ces fauteuils étaient jusqu’ici réservés aux hommes. Et les discours des politiciens, surtout ceux des hommes quant Á  ce constat étaient plutôt réducteurs pour la femme. L’incapacité Á  gérer d’une main de maitre les affaires du pays, la sensibilité féminine pouvant prendre le dessus des enjeux politiques ou encore le triple rôle des femmes Á  la fois comme mère, épouse et politicienne, qui les empêcheraient selon eux de mener Á  bien leur mission, reviennent Á  chaque fois comme une vieille rengaine lorsque la question de placer une femme Á  la tête du gouvernement est évoquée.

Mais les excuses sont bien plus nombreuses que cela alors que les faits montrent année après année que les filles réussissent mieux dans leurs études que les garçons. Et ce ne sont pas les exemples de réussite qui manquent pour démontrer que les femmes peuvent se hisser sur l’échiquier politique ou au plus haut sommet de l’Etat. A l’exemple d’Angela Merkel, la chancelière allemande, d’Indira Gandhi, ancienne Premier ministre indienne ou encore de Benazir Bhutto, ancienne Premier ministre du Pakistan. Mais lÁ  aussi, ces deux dernières ont été assassinées froidement. Deux crimes qui soulignent combien il est difficile pour les hommes d’accepter d’être dirigés par des femmes.

Heureusement que les mentalités évoluent, même si le mouvement est lent. Et la nomination d’Ameenah Gurib-Fakim en tant que première femme présidente de la République de Maurice en est certainement la preuve. Pour la toute première fois et depuis que le pays a accédé au statut de la République, une femme assumera la fonction de présidente au château du Réduit. Cette nomination vient d’un côté saluer le parcours irréprochable de cette femme et de l’autre la contribution des femmes au développement du pays et permettra, espérons-le, de corriger les inégalités qui existent toujours entre hommes et femmes.

Pour Ameenah Gurib-Fakim, servir son pays est une immense fierté. « Je me prépare psychologiquement Á  accéder Á  ce poste de responsabilités. Je vais me montrer digne car je réalise qu’on m’a fait une grande confiance », souligne la future présidente de la République de Maurice qui prête serment en cette fin de semaine. Et lorsqu’on lui parle de ses priorités aux plus hauts sommets de l’Etat, ses pensées se dirigent vers les jeunes qui sont sans emploi et qui ont de plus en plus de mal Á  se frayer un chemin dans le monde du travail. « Booster l’emploi chez les jeunes est l’un de mes plus gros défis. Et l’île regorge de jeunes diplômés compétents. Nous devons utiliser ce capital humain Á  bon escient pour l’avancement de notre pays. »

Scientifique reconnue tant sur le plan national que sur la scène internationale, Ameenah Gurib-Fakim vise notamment Á  relancer le domaine de la science dans l’ile. Car dit-elle, la science ne doit plus se limiter Á  des débouchés dans l’enseignement mais doit dépasser ce cadre. « La jeunesse délaisse cette matière mais il faut s’interroger et se demander pourquoi on est en arrivé lÁ  alors que paradoxalement, les jeunes adorent la science et évoluent avec elle. Par exemple, les gadgets technologiques comme les téléphones, les tablettes tactiles entre autres, ce sont des produits de la science », déclare-t-elle. Et d’ajouter : « Je compte mettre sur pied une vraie politique de recherche. Je commencerai par mettre Á  contribution mon propre carnet d’adresses pour faire évoluer la science et encourager également nos professionnels établis Á  l’étranger Á  revenir Á  Maurice. »

A la fois fille pour ses parents, épouse et mère de famille, Ameenah Gurib-Fakim est de celles qui ont tout réussi, ou presque. Et elle vient démentir ceux qui pensent la femme ne peut conjuguer vie de famille, professionnelle et sociale d’une main de fer. Celle qui se définit comme étant une femme simple croquant la vie Á  belles dents en étant Á  la fois la mère de ses enfants et leur amie, confie que c’est aussi grâce Á  son époux, Anwar, qu’elle est aujourd’hui celle qu’elle est devenue. Forte, fonceuse et surtout une femme qui n’abandonne pas ses rêves. « Il m’a toujours soutenue et encouragée dans tout ce que j’entreprenais. Et j’ai toujours pu compter sur son aide précieuse. Car c’est aussi avec l’autre que l’on s’épanouit et qu’on devient ce qu’on est appelée Á  devenir. Mais autant faut-il pouvoir se respecter, trouver le juste équilibre. Je suis heureuse de dire qu’Anwar et moi avons réussi », affirme Ameenah Gurib-Fakim.

Pour la future présidente, l’épanouissement de la femme sur le plan familial et professionnel vont de pair. Et lorsqu’on lui demande ce qu’elle pense des nouveaux amendements apportés Á  l’Employment Rights Act en vue d’étendre le congé de maternité de 12 Á  14 semaines, elle n’y va pas de main morte. « La chance doit être égale pour tous dans la famille. Qu’on augmente les congés de maternité, c’est bien. Mais il faut s’interroger aussi sur le congé de paternité. Les pays scandinaves sont des exemples Á  suivre. Je suis d’avis que nous devons appliquer les bonnes pratiques qui se font ailleurs et ne pas hésiter Á  les utiliser pour l’avancement de notre société. »

Amoureuse de la recherche, auteure et professeure de chimie organique, Ameenah Gurib-Fakim a plus d’une corde Á  son arc. Enfant, elle fait son entrée Á  l’école primaire St Patrick RCA School et entame ensuite son cycle secondaire sur les bancs du collège Lorette de Mahebourg. Son School Certificate en poche et par amour pour la science, elle choisit même d’être mutée au collège Lorette de Quatre-Bornes pour étudier la chimie. Après avoir obtenu son Higher School Certificate, elle prend la direction de l’université de Surrey où elle obtient son diplome en 1983. En 1987, c’est un doctorat en chimie qu’elle décroche auprès de l’université d’Exeter. Mais elle ne veut pas s’arrêter lÁ . Elle poursuit sa formation aux Etats Unis.

Attachée Á  son pays, elle rentre Á  Maurice et est embauchée Á  l’Université comme chargée de cours et se tourne ensuite vers la phyto-chimie. D’ailleurs en 2007, elle est invitée Á  diriger le Centre de Phytothérapie et de Recherche rebaptisé depuis le département Recherche et Innovation du groupe Centre International de Développement Pharmaceutique. Auteure de plusieurs ouvrages dont «Toutes les plantes qui soignent », «Medicinal Plants of the Indian Oceans Islands », elle est aussi membre du conseil de direction de l’African Academy of Science. Elle se voit attribuer plusieurs distinctions dont la décoration de Grand Commandeur de l’Ordre de l’Etoile et de la Clé de l’océan Indien, est faite docteur Honoris Causa auprès de l’Université Pierre et Marie Curie et de l’Université de Pretoria, tout comme elle est la lauréate 2007 du prix L’Oréal-Unesco pour les femmes et les sciences. Et ça, ce n’est qu’une partie des honneurs qu’elle a reçus.

Aujourd’hui, Ameenah Gurib-Fakim est désormais un nom qui s’inscrit dans l’histoire politique du pays. Les politiciens de tous bords sont pour une fois d’accord sur son choix et voient en sa nomination un renouveau pour le pays. «Au MMM on approuve totalement la nomination d’Ameenah Gurib-Fakim. Elle a des compétences », a déclaré Paul Bérenger, leader de l’opposition.

« Elle saura représenter Maurice Á  l’échelle internationale car elle est très intelligente », a avancé Ivan Collendavelloo, leader du Muvman Liberater et actuel ministre de l’Energie et des Services publics.

Il ne faut pas oublier que cette nomination d’Ameenah Gurib-Fakim en tant que présidente de la République mauricienne est conforme Á  l’une des dispositions du Protocole de la SADC sur le Genre et le Développement qui demande aux Etats membres d’assurer une meilleure représentativité des femmes et des hommes dans des postes de décisions Á  tous les niveaux de la vie. Et même si Maurice n’a pas ratifié ce document et n’est pas signataire de ce protocole, elle respecte la plupart de ces dispositions.

Laura Samoisy est journaliste Á  Maurice. Cet article fait partie du service d’information de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles Á  l’actualité quotidienne.

 


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