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Cotonou, 19 novembre 2015: Les femmes ont, de tout temps contribué Á l’économie du Bénin. Mais en l’absence d’une approche du genre dans l’analyse des comptes de la nation, leur contribution a été pendant longtemps ignorée. Traditionnellement actives dans le travail domestique et la production familiale, certaines osent afficher leur singularité en donnant vie Á leur rêve entrepreneurial. Ces Béninoises qui osent franchir le cap pour créer plus de richesse ne sont certes pas légion. Mais nous avons choisi de partager avec vous l’histoire de trois d’entre elles.
Les parcours des femmes entrepreneurs béninoises se suivent mais ne se ressemblent pas. Les motifs et les circonstances qui déclenchent leur flamme entrepreneuriale peuvent parfois être motivés par des situations heureuses ou malheureuses de la vie.
Colette Yehouénou, fille aînée d’un médecin, était prédestinée Á faire de hautes études. Son parcours a pris une autre direction le décès prématuré de son père et les impératifs de la prise en charge de ses trois frères pour venir en aide Á sa mère. Colette a donc abandonné ses études alors qu’elle était encore au lycée pour faire de la couture. A l’issue de sept ans d’apprentissage, elle obtient son diplôme et commence Á exercer le métier de couturière. Aujourd’hui, elle est devenue une chef d’entreprise accomplie.
Un jour, raconte-t-elle, un de ses clients lui parle d’une formation, qu’il a suivie en transformation agroalimentaire et fabrication de produits cosmétiques. Séduite par ses explications, elle décide de se lancer dans ce nouveau secteur en vue de la diversification de ses activités. La formation dispensée par une organisation non gouvernementale nommée ESH dure un peu plus d’un mois. Temps au cours duquel elle s’est appliquée Á pratiquer tous les soirs Á la maison les recettes apprises. Devenue passionnée par la fabrication de jus de fruits, elle crée son entreprise qu’elle baptise «FAKO » qui signifie en langue locale «Désaltère-toi ! ».
De son côté, Clémence Gbaguidi a toujours eu le flair entrepreneurial. Mais le déclic n’arrive qu’après ses études universitaires. Mariée et mère de deux enfants, elle se définit comme une femme entreprenante, audacieuse et qui aime relever des défis. Après son Bac, elle passe un Brevet de technicien supérieur, option secrétariat de direction et suit une formation en anglais.
Quelques piges après, notamment dans une agence de la “Bank of Africa”, la voilÁ décidée Á se lancer dans la coiffure, convaincue qu’elle possède un don pour cette activité. Très rapidement, elle va bénéficier d’un crédit d’estime dans le milieu des chaines de télévision privées basées Á Cotonou car bien vite les animatrices demandent Á ce qu’elle les coiffe et les maquille. Elle le fait avec une passion et une dextérité évidentes. Adolescente, elle adorait tresser les cheveux de ses sÅ“urs et de leurs amis et les coiffait. C’est donc sans aucune hésitation qu’elle a décidé de mettre un terme Á son aventure dans les bureaux douillets et climatisés de la banque pour affronter la vie.
Clémence fait aussi la promotion de la marque “Jolyderme”. Elle souligne qu’endurance, patience et perfection constituent sa devise. Son attelage professionnel est constitué de la coiffure, de l’esthétique et du management de sa fabrique de produits cosmétiques. Elle concède que la planification doit être rigoureuse.
Cette passionnée de coiffure aime autant la coiffure que les soins capillaires. Dans l’optique de parfaire les soins capillaires, elle fait des recherches et investit dans la fabrication des produits de beauté. Aujourd’hui, la plupart des produits qu’elle utilise pour rendre belles et présentables les femmes tout comme les hommes sont réalisés par elle. Clémence Gbaguidi a installé sa fabrique de produits cosmétiques Á Ekpè, petite localité située Á une quinzaine de kilomètres de Cotonou.
Elle n’est pas la seule Á avoir effectué des études universitaires et flirté avec le milieu professionnel avant de se mettre Á son compte et employer d’autres Béninois dans son entreprise. Sa compatriote Carole Tawema qui distribue son produit de beauté Karethic Á base de karité authentique du nord Bénin dans 250 points de vente en France et 12 pays étrangers, a commencé par développer ce projet personnel alors qu’elle était encore en classe terminale. Elle en a fait l’objet de son mémoire lorsqu’elle était étudiante Á Euromed, Marseille avant de commencer son riche parcours professionnel. Mais elle n’avait jamais pensé jusque-lÁ qu’elle en aurait fait son activité principale. Carole Tawema s’est donc lancée dans le monde du conseil en informatique et a fait ses classes chez Microsoft et IBM avant d’intégrer Sogeti puis Augure, développant en parallèle son projet Karethic, qui était Á l’origine une association. Elle se souvent d’avoir longtemps financé son projet avec son salaire issu de l’informatique.
«La phase de formulation n’a pas été si compliquée que cela. Elle a été validée par un ancien patron Recherches & Développement de Chanel. Il fallait faire quelque chose de gourmand et d’excellente qualité », explique Carole Tawema. Le plus difficile selon elle a été et demeure de maîtriser toute la filière du produit. Ainsi, il a fallu faire un long travail sur le terrain auprès des femmes et distiller le savoir-faire aux meilleures productrices de karité dans les villages. «On a voulu qu’elles soient autonomes au maximum. C’est pour cela qu’elles maîtrisent toutes les phases, de la collecte de la matière première Á la production », affirme-t-elle. On sent donc une femme qui ne recule point devant les difficultés. Une pratique de persévérance et de rigueur qui est propre Á cette race de femmes créatrices de richesses.
Les défis et difficultés ne manquent donc pas et on sent bien que ces femmes luttent pour les surmonter. Elles sont encouragées par plusieurs organisations sociales. En 2008, la promotrice de la marque Karethic a reçu le prix de Jeune entrepreneure de demain, concours organisé par la Jeune chambre internationale. Les jus de fruits produits par Colette Yehouénou sont pressés Á l’état naturel pour préserver leurs vertus et c’est d’ailleurs ce qui lui a valu d’obtenir le 1er mars 2014, les Oscars Africains de l’Artisanat et de l’Innovation, un prix décerné par Ifè Africa.
Pour venir en aide aux femmes qui veulent devenir entrepreneures, un Women Business Promotion Center, fruit du partenariat entre le ministère en charge de l’Emploi des jeunes et des femmes, de la Fédération des femmes entrepreneures et des femmes d’affaires du Bénin (FEFA-Bénin) et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) vient Á point nommé. Et comme le soutient Moubaraka Adjao Akinocho, présidente de la FEFA Bénin «La plupart du temps, les femmes ne disposent pas de garanties financières pour développer leurs entreprises. Ce centre va nous permettre d’y remédier, constituant pour nous un engagement Á la fois social et économique ».
Chefs d’entreprise accomplies, entre foires et salons, ces femmes doivent aussi lutter contre les pesanteurs socio-culturelles et la discrimination envers les femmes comme c’est le cas pour leurs pairs. Cela ne les empêche pas de persévérer et de garder la tête haute.
Isabelle Otchoumare est journaliste radio au Bénin. Cet article fait partie de la campagne des 16 jours d’activisme contre la violence envers les femmes et les jeunes du service d’information de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles Á l’actualité quotidienne.
Comment on Bénin : Entrepreneuriat féminin, trois parcours, même combativité