De quelle démocratie parlons-nous?


Date: January 1, 1970
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Prenons l’exemple de cette table bien mise avec des jolis couverts et un menu plus que parfait. Les invites sont seulement des hommes. Mais qui fait le service? Les femmes bien sûr. Mais si les invités n’étaient que des femmes, qui aurait fait le service? Certainement pas des hommes.
C’est pareil au Parlement où les trois expressions DI, DP et BG sont souvent à l’agenda du jour. Mais que voyons-nous dans la réalité: 87% des parlementaires sont des hommes et 17% des femmes. Je me demande donc qui fait le service et pour qui.
Ils sont fort les hommes – en nombre bien sûr, mais pas toujours en qualité. La qualité, c’est une question que l’on pose rarement pour les hommes. Quand une  femme essaie de faire son entrée dans cette sphère, la première phrase que nous entendons est : «Nous ne voulons pas de vase à fleurs!». Certes, il y a des ‘vases à fleurs’ parmi les femmes et les hommes ont souvent besoin de ces ‘vases’ pour pimenter leurs discussions machos. Mais avons-nous déjà entendu parler de ‘vase à fleurs’ au masculin?
Le menu du jour actuellement est «Femme en politique». Il est bien qu’il en soit ainsi parce que nous avons beaucoup de retard à rattraper. Maurice a pu tirer la tête hors de l’eau en 2005 en quittant l’avant-dernière place en matière de femmes en politique dans les pays de la Communauté pour le développement de l’Afrique australe (SADC) pour arriver en cinquième position. Un score très honorable, diront nos politiciens, qui sont des hommes bien sûr. Ce qui équivaut à une augmentation de 11%.
Ce ne fut en effet pas une chose facile que de sortir de 7.6% de femmes en politique pour arriver à 17% en 2005. Gender Links et la Media Watch Organisation-GEMSA, organisations non-gouvernementales militant pour le genre,  ont abattu un travail colossal à cet effet. Je me souviendrai toujours des insultes, des communiques de presses et des articles sur ma personne quand j’ai organisé un forum réunissant à la même table des chefs de différents partis politiques. Le repas fut copieux et indigeste. Mais je ne le regrette pas. La plupart des chefs de partis politiques sont venus et deux d’entre eux se sont fait remplacer. Peu importe. Ils ont été obligés de parler de leur menu pour les élections, de leurs manifestes électoraux, de leurs Constitutions et surtout de prendre l’engagement de mettre plus de femmes candidates.
Cela a donné des résultats concrets malgré que nous n’ayons pu honorer l’engagement de la Déclaration de la SADC sur le genre et le développement, signé par notre gouvernement  en 1997. Cette Déclaration fait état de 30% des femmes au Parlement en 2005.  En huit ans, nous avons fait beaucoup de progrès certes. Nous avons atteint certains objectifs du millénaire pour le développement (OMD), d’autres dans la Déclaration de la SADC mais quand il s’agit de DI, DP et BG, cela reste seulement de l’encre sur du papier.
Les élections générales sont au pas de notre porte. Si nous faisons comme en 2005 avec une augmentation de 11% de femmes candidates, nous n’atteindrons jamais le pourcentage de 30% de femmes en politique demandé par la SADC.
Maurice est cité comme un modèle de démocratie. Mais pourquoi a-t-elle échoué là où d’autres ont réussi? La Tanzanie, avec ses 41.1% de femmes parlementaires maintient la tête haute. Les autres pays qui ont relevé le défi sont la Namibie, l’Afrique du Sud, qui est pourtant la plus jeune démocratie, l’Angola et le Mozambique, pays qui ont connu des guerres atroces.
La Déclaration 1997 de la SADC est loin derrière nous. Il y a désormais le Protocole de la Communauté pour le développement de l’Afrique australe (SADC) sur le genre et le développement, adopté le 17 aout 2008.  Avec ses 28 objectifs pour atteindre l’égalité du genre d’ici 2015, cet instrument est une première mondiale. Ses articles 12 et 14 prévoient la représentation égale entre les hommes et les femmes au parlement d’ici 2015. Tous les pays de la SADC, à l’exception de Maurice, du Botswana et du Malawi, ont signé le Protocole et vont bientôt le ratifier et le vulgariser. Que fera Maurice ?
Les options ne manquent pas. La Tanzanie a adopté un système de quotas dans sa Constitution avec 30% de femmes au Parlement. Le Mozambique et l’Afrique du Sud ont des quotas volontaires combinés au système de représentation proportionnelle. Les partis au pouvoir en Afrique du Sud et au Mozambique, respectivement le African National Congress et le Frelimo, ont adopté volontairement des quotas au sein de leurs partis. Avec le système de proportionnelle, sur la liste des candidats, une femme est systématiquement alignée après un homme et cela marche.  
A Maurice, le Parti Travailliste, parti au pouvoir, est le seul parti où sa Constitution mentionne 30% de femmes dans son comité central. Il peut certainement trouver encore 20% de femmes capables pour les prochaines élections générales prévues en 2010. Le Mouvement Militant Mauricien (MMM), le Mouvement Socialiste Mauricien (MSM), les deux principaux partis d’opposition, et les autres partis politiques pourraient faire de même.
Il y aussi ce que nous appelons le «zebra» ou le système de «fermeture éclair» qui pourrait s’appliquer. Dans chaque circonscription, on aligne un homme candidat, une femme candidate et un homme candidat et dans d’autres une femme candidate suivie d’un homme et d’une femme candidate, etc. Le système ‘fermeture éclair’ est idéal sur la liste de représentation proportionnelle car le pourcentage de femmes y est garanti.
En sus du système de quotas, des pays comme le Zimbabwe, le Botswana et le Swaziland permettent aux chefs d’Etats de nommer des parlementaires. Cela a aidé des femmes à faire leur entrée au Parlement.
Mais que ce soit pour les hommes ou pour les femmes, avoir accès au Parlement n’est pas suffisant, il faut pouvoir participer et apporter des changements par la suite. C’est seulement avec une démocratie participative et inclusive que nous aurons une bonne gouvernance. Cette nouvelle vision amènera une nouvelle société où les droits fondamentaux des handicapés, des enfants, des vieux, des femmes, des hommes et des plus vulnérables seront pris en compte. C’est seulement quand nous n’aurons plus de ‘vase à fleurs’ comme décideurs politiques que nous pourrons prendre des décisions sur l’avortement ou l’orientation sexuelle. C’est seulement quand l’égalité du genre deviendra une réalité que nous pourrons réduire la stigmatisation envers le VIH et SIDA, diminuer les cas de viols et de violences qui rongent notre société.  
Les ‘vases à fleurs’ ne sauront jamais que la pilule du lendemain existe pour une relation sexuelle non-protégée,  que le Post Exposure Prophylaxis (PEP), traitement prophylactique d’antirétroviraux, est obligatoire après un viol et qu’il y a désormais une capote féminine!!!!
 
Loga Virahsawmy est la directrice de Gender Links Maurice et la présidente de la Media Watch Organisation-GEMSA. Cet article fait partie du service d’opinions et de commentaires de GL qui apporte des perspectives nouvelles à l’actualité quotidienne.


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