Deux jours plus tard en Iran, un couple de chrétiens était inculpé et emprisonné pour s’être détourné de l’islam et s’être converti au christianisme. Selon des témoignages d’Irakiens ayant fui leur pays, cette persécution des chrétiens s’est accentuée depuis la chute de l’ancien président Saddam Hussein. Ils parlent «d’épuration de chrétiens» en Irak.
René Guitton, écrivain français, qui a enquêté sur la question avant d’écrire son livre intitulé «Ces chrétiens qu’on assassine », va jusqu’à parler de » christianophobie». C’est justement cette haine pour les chrétiens qu’a tenté de fuir Faraj Antoinie Amira, Irakienne de 55 ans. Originaire de Mossoul, deuxième plus grande ville après Bagdad, elle a fait le voyage il y a huit mois de l’Irak jusqu’à la France. Après quoi, elle s’est rendue au Danemark, a transité en Syrie pour finalement atterrir à Maurice. La dernière destination prévue pour cette mère de trois enfants était l’Australie où elle tentait de rejoindre son fils de 33 ans.
Les projets de Faraj Antoinie Amira, qui est veuve, sont contrariés le 24 novembre 2008 quand elle est interceptée, avec cinq autres compagnons d’infortune, tous des Irakiens comme elle, à l’aéroport de Plaisance, Maurice. Ils sont accusés d’avoir voyagé avec de faux passeports danois.
Ses compagnons sont Shukri Harmuz Aohara, 29 ans, George William Issac, 20 ans et son frère Martin, 23 ans, Jebrail Nassen Toma, 24 ans, et Hossam Yones Toma, 28 ans. Ils sont incarcérés pendant quatre mois à la prison de Beau Bassin, une des prisons de haute sécurité du pays, avant d’être libérés sous caution de Rs 10 000 chacun (près de 300 dollars américains) et après avoir fourni des garanties bancaires de Rs 1 000 000 (près de 30 000 dollars américains). Cet argent qu’ils n’avaient pas sur eux, a été avancé par la branche mauricienne d’Amnesty International, qui s’est aussi chargée des garanties bancaires et de leurs frais d’hébergement à leur sortie de prison.
Jebrail Nassen Toma affirme qu’ils sont des milliers de chrétiens à être en permanence menacés d’être tués ou chassés de leurs villes en Irak, même si le plus grand nombre de persécutions a lieu à Bagdad. «Etre chrétien et Irakien est incompatible dans mon pays», lance ce jeune étudiant en psychologie.
Jebrail Nassen Toma, qui a de longs cheveux noirs comme un fan de rock, s’exprime mieux en anglais que ses autres compagnons et aide ses amis à raconter leur calvaire. Ils ont dû rassembler chacun la somme de 7000 euros pour obtenir de faux passeports et des noms de contacts à chaque étape de leur périple. Les Irakiens sont autorisés à se rendre en Turquie et en Syrie sans visa obligatoire. Ils peuvent y séjourner trois mois. Ce qui facilite leur exil, ajoute Jebrail Nassen Toma.
«Si en 1980, les chrétiens étaient estimés à un million, soit 2% de la population, ils sont désormais à 500 000, selon les statistiques datant de l’an dernier», a déclaré l’écrivain René Guillon lors d’une interview récente sur France 24.
Cette fuite de milliers d’Irakiens de leur terre natale, Faraj Antoinie Amira la connait bien car c’est par ce moyen que deux de ses trois enfants ont eu la vie sauve. Cette ancienne technicienne de surface dans un hôpital irakien et dont le mari est mort à la guerre, raconte qu’elle menait une vie paisible avec ses enfants jusqu’au jour où sa fille de 10 ans a été assassinée. Faraj Antoinie Amira préfère ne pas s’attarder sur cet épisode douloureux de sa vie. Elle ne précise pas non plus si c’était à cause de sa religion que l’on a tué sa fille. Son autre fille, elle, a réussi à fuir en Norvège. «C’est mieux pour elle. En Irak, les femmes n’ont aucun droit et encore moins celui de s’exprimer. Elles n’ont aucune protection. Je savais que des chrétiens avaient fait l’objet de menaces de mort mais quand, j’en ai reçu à mon tour – c’était des lettres me disant de quitter l’Irak car autrement je serais tuée -, je n’ai même pas pu me rendre à la police. C’était inutile. Personne ne m’aurait écoutée et la police est en majorité de foi islamique», confie Faraj Antoinie Amira.
Si depuis sa libération de la prison mauricienne, elle se permet la fantaisie de se maquiller légèrement, en Irak, affirme-t-elle, elle doit sortir tête couverte, même si elle n’est pas musulmane. «Je dois me vêtir de la tête aux pieds, en ne laissant visibles que mes yeux», ajoute ce petit bout de femme aux yeux bleus et à la chevelure blonde, qui garde toujours les mains posées l’une sur l’autre quand elle parle.
Ses autres compagnons sont moins bavards sur leur passé. Les deux frères Issac, grands et minces, se ressemblent beaucoup. Ils ont le même nez aquilin et le même air juvénile. Ils ont pu retrouver leur frère aîné, Gilbert, qui s’est réfugié en Australie voila dix ans. Ce dernier a fait le voyage jusqu’à Maurice pour les rejoindre et venir plaider leur cause.
Jebrail Nassen Toma ajoute qu’il ne lui reste plus de famille en Irak. Il a un frère et deux sœurs, réfugiés en Australie, et ses parents ont été accueillis au Canada. Comment vit-on dans un pays où la situation politique est constamment tendue? Jebrail Nassen Toma et Gilbert Issac répliquent: «Sous le régime de Saddam Hussein, nous vivions sous la coupe d’un dictateur, c’est vrai, mais nous étions mieux. Nous n’avons pas grandi avec le regard des Occidentaux sur notre pays. Les gens vivaient en paix et pouvaient pratiquer librement leur religion. Saddam Hussein faisait régner l’ordre. Ce n’est plus le cas aujourd’hui».
L’écrivain René Guillon explique cette haine envers les chrétiens par l’association que font les pays arabes entre le christianisme et les Américains. «Il se peut que cela soit une des raisons mais j’en doute», dit Jebrail Nassen Toma, d’un air sceptique. Il ne s’explique toujours pas ce conflit entre musulmans et chrétiens qui sont pourtant tous des Irakiens. «Les attaques à la bombes sont le lot quotidien des chrétiens. Celles-ci sont perpétrées par ceux qui veulent que l’Irak appartienne exclusivement aux musulmans. On ne sait pas quand on sort de chez soi, si on va retrouver sa maison intacte au retour. Des églises sont constamment bombardées».
Si aujourd’hui, ces Irakiens ont pu obtenir le statut de ‘réfugié politique’ auprès de la United Nations High Commission for Refugees (UNHRC), leur lieu de résidence future demeure toujours un point d’interrogation. A la recherche d’une terre d’accueil, ils voudraient vivre en Australie où ils ont de la famille. Jebrail Nassen Toma ajoute qu’il espère vraiment trouver un pays prêt à les accueillir et où il fait bon vivre. «Nous remercions votre pays pour son accueil, même si c’est la première fois de ma vie que je fais de la prison», dit-il avec tristesse.
Linley Couronne, président de la branche mauricienne d’Amnesty International indique que Maurice n’est pas signataire de la Convention pour les Réfugiés datant de 1951 qui concerne spécifiquement le statut des réfugiés et des apatrides. Mais elle reste néanmoins une plateforme de transit pour de nombreux demandeurs d’asile du fait qu’elle soit signataire du International Covenant for Civil and Political Rights, qui traite des droits inaliénables de l’individu, notamment de la liberté religieuse.
Avant ces Irakiens, d’autres ont tenté de se réfugier à Maurice. Il y a 10 ans, six Congolais avaient atterri sur notre île pour fuir la guerre. Après, ce fut un Sierra Léonais et un Australien qui ont tenté de trouver refuge à Maurice mais ce n’était pas pour les mêmes raisons. Plus récemment, des Seychellois ont tenté de faire de même.
Au ministère des Affaires étrangères, l’on indique que «les démarches de ces six Irakiens prendront encore du temps car pour obtenir l’asile dans un autre pays, il y a d’abord une série d’enquêtes à faire sur les demandeurs». Comme quoi, leur voyage est loin d’être terminé.
Djemillah Mourade est journaliste à Maurice. Cet article fait partie du service d’opinions et de commentaires de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles à l’actualité quotidienne.
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