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Les cas de harcèlement sexuel sont fréquents dans la société congolaise. Mais l’ampleur de ce problème reste méconnue du fait de l’absence de cas rapportés. La majorité des Congolaises préfèrent s’abstenir de dénoncer cet acte. La culture congolaise et les limitations des lois existantes ne permettent pas encore Á ces dernières de briser le silence. Le cas de Sikiva Nyota interpelle.
«J’ai 40 ans. Je n’aime pas parler de cet épisode de ma vie car il me fait encore mal. J’ai perdu mon emploi il y a deux ans. Et ceci, parce que j’ai refusé de céder aux avances de mon patron.
Lorsque mon mari est mort, j’ai dÁ» trouver du travail pour être économiquement indépendante. Il me fallait absolument travailler d’autant plus que je suis mère de quatre enfants. Pendant trois ans, j’ai travaillé dans une structure mixte jusqu’au jour où la direction de la structure m’a signifié que suite Á des difficultés financières, un groupe d’employés allait être remercié. J’ai tenté, comme d’autres employés, d’avoir un sursis ou un recours. Mais rien n’y a fait. C’est alors que l’un de mes chefs hiérarchiques m’a rappelé certains faits passés.
Lorsque nous allions en mission en dehors de la ville ou du pays, il arrivait que mon chef me demande de satisfaire ses désirs. J’ai toujours refusé. Une fois rentrés au bureau, il me bombardait de SMS contenant des messages suggestifs, aguichants. Il s’est même permis de s’inviter chez moi. Je crois que c’est mon statut de veuve qui l’a encouragé Á agir ainsi. A partir de lÁ , j’ai commencé Á l’éviter. Mais il ne l’entendait pas de cette oreille. Il a continué Á me harceler. Je ne me sentais plus en sécurité quand j’allais au travail. Il profitait Á chaque moment pour me relancer. Je l’ai finalement dénoncé auprès d’un autre collègue qui avait le même grade que lui. Mais c’était peine perdue car il ne lui est rien arrivé.
En RDC, le harcèlement sexuel vient tout juste d’être reconnu comme une infraction dans la loi mais je ne savais pas où aller pour évoquer mon problème. J’ai préféré quitter cette boîte sans avoir pu porter plainte contre cet homme harceleur. Aujourd’hui, j’évolue ailleurs. Cependant si jamais il m’arrive de le croiser en chemin, ma journée est gâchée car cela ravive de mauvais souvenirs.
Je me demande parfois pourquoi je n’ai pas eu le courage d’aller le dénoncer? Mais qu’est ce que je pouvais bien faire? Les collègues auprès de qui je me suis adressée ne m’ont pas dirigée vers les personnes qui auraient pu m’aider Á défendre mes droits. Certains ont même soutenu que cela fait partie de la vie et que je n’aurais pas dÁ» m’en faire autant. Dénoncer un acte de harcèlement sexuel est mal vu dans notre société. J’ai géré cette situation comme je l’ai pu.
Je sais que mon cas n’est pas isolé. Et qu’il prévaut dans tous les milieux: le lieu de travail, les écoles, les universités, etc. J’ai lu dans un journal récemment que lors d’une rencontre avec des enseignants, Emérence Rubuye N’simire, directeur provincial de l’Enseignement primaire, secondaire et professionnel a mis en garde les responsables d’écoles et des enseignants qui ont tendance Á profiter de leur position pour abuser des élèves et de certaines collaboratrices. Elle a promis des sanctions contre les contrevenants, tout en sollicitant la collaboration des hommes et des femmes dans des milieux scolaires.
Je me suis renseignée depuis. Je sais qu’il y a certes des lois qui protègent la femme telles que le Code du Travail de 2002, la loi contre les violences sexuelles de 2006 et la loi sur la protection des enfants. Toutes ont désormais des dispositions par rapport au harcèlement sexuel. Mais les sanctions restent encore Á être renforcées. On parle d’amendes ou de dommages et intérêts Á verser Á la partie lésée sans envisager des poursuites judiciaires dans certains cas. Mais le Tribunal du Travail qui est appelé Á trancher un litige autour du harcèlement sexuel sur le lieu de travail ne dispose pas de tous les éléments nécessaires pour mener Á bien son jugement.
Pour éliminer ces infractions, la RDC doit revoir ses lois, notamment celles relatives aux violences sexuelles et au Code du Travail avec des dispositions plus claires pour qu’il y ait un programme national de lutte contre ce fléau. Cela impliquerait des procédures pour permettre aux victimes de déposer leurs plaintes en toute quiétude; des juridictions compétences de traiter de ces cas; sans oublier des mesures de protection pour les victimes. Car le poids des coutumes continuera Á peser sur les Congolaises aussi longtemps que les pouvoirs publics ne protègeront pas les victimes et les témoins de ces actes. On est encore loin du compte… »
Anna Mayimona Ngemba est journaliste freelance en RDC. Cet article du service de commentaires et d’opinions de Gender Links, fait partie de la campagne des 16 jours contre la violence envers le genre.
Comment on Harcèlement sexuel: Inciter les Congolaises Á briser le silence