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Hôpitaux mauriciens: une pression insoutenable sur les infirmiers
Date: January 1, 1970
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Ces derniers ont fini par craquer. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase a été la décision du ministère de la Santé d’augmenter le nombre de nuits de travail pour eux. Actuellement, les infirmiers des hôpitaux travaillent trois nuits par semaine – deux nuits en heures supplémentaires et une nuit comme faisant partie du cadre normal de leur travail.
Dans le dernier rapport du Pay Research Bureau (PRB), il est attendu d’eux qu’ils effectuent jusqu’à cinq nuits au minimum par mois et ce, sans rémunération additionnelle. Mais les infirmiers/infirmières n’en font que quatre à cause des heures supplémentaires et du système de ‘bank nurses’. Et, malgré le fait que les infirmiers/infirmières soient déjà sur la brèche, le ministère voulait faire passer leur nombre de nuits à six.
En revanche, comme facteur encourageant, il y a le fait que les heures supplémentaires sont relativement bien payées, soit Rs 1 500 la nuit (environ 50 dollars américains). Alors que les ‘bank nurses’ reçoivent Rs 500 (environ 16 dollars américains) pour une session de quatre heures de travail. Ils/elles sont appelés(es) à effectuer deux sessions. A titre indicatif, un infirmier qui a travaillé 15 ans dans les hôpitaux perçoit un salaire de base de Rs 15 000 (environ 500 dollars américains). Mais l’argent ne fait pas tout dans la vie.
Les infirmiers/infirmières des hôpitaux ont dû menacer d’orchestrer une grève perlée pour que les autorités entendent finalement leurs revendications et promettent de revoir leurs conditions de travail. Une victoire qu’ils savourent compte tenu des difficultés qu’ils rencontrent au quotidien, comme en témoigne Hema Putty.
Cette infirmière au Cardiac Centre de l’hôpital Victoria à Candos, a été révoltée par cette mesure d’augmenter le nombre de nuits de travail: «Comment peuvent-ils nous demander de faire plus de nuits que nous n’en faisons déjà? Vu le manque accru d’infirmiers, nous sommes contraints de faire des heures supplémentaires la nuit. De plus, il y a le concept de «bank nurses», qui consiste à travailler durant un de nos jours de congés par semaine. C’est humainement impossible pour nous d’en faire davantage. Etre infirmier, c’est un travail difficile qui demande beaucoup de patience, surtout face à un public très exigeant.»
Toutes les nuits qu’elle a passées à l’hôpital l’ont poussée à faire beaucoup de sacrifices, surtout par rapport à ses deux enfants. «C’est très dur pour une mère de devoir quitter ses enfants la nuit. Quand ils étaient plus petits, c’est ma belle-mère, qui était pourtant souffrante, qui s’occupait d’eux. Heureusement que j’ai eu l’appui de mon époux, qui m’a également aidée pour les autres tâches domestiques. Ce n’est pas toujours facile de concilier le travail et la vie de famille. Il faut vraiment avoir la vocation d’infirmière pour faire ce métier. Au cas contraire, on est très vite découragé», explique-t-elle.
Raj Gooljar, l’époux d’une patiente qui a séjourné au Cardiac Centre de l’hôpital Victoria, est admiratif du dévouement du personnel infirmier: «Je suis resté des heures au chevet de ma femme et quand j’ai vu avec quel enthousiasme les infirmiers et les infirmières travaillent, j’ai été émerveillé. Il nous faut rendre hommage à ces hommes et à ces femmes qui mettent le cœur à l’ouvrage pour sauver des vies. Trop souvent, nous avons tendance à ne voir que ce qui ne marche pas dans les hôpitaux. Le travail de ces infirmiers n’est pas assez salué.»
Hema Putty est passionnée par son métier malgré les difficultés qu’elle rencontre. Persévérante, elle a tout de même trouvé le temps pour préparer un Bachelor of Science en Nursing auprès de l’Université de Maurice. Entre ses nuits à l’hôpital et ses congés, elle ambitionne de faire sa maîtrise. Les difficultés n’ont pas eu raison de sa détermination à renforcer ses capacités professionnelles par la formation afin de fournir un service sans cesse amélioré au patient.
Les infirmiers des pays de la Communauté pour le Développement de l’Afrique australe (SADC) ne sont pas mieux lotis que leurs confrères mauriciens. Govindass Nathoo, infirmier à l’hôpital de Rose-Belle, qui a participé à plusieurs réunions des infirmiers de la SADC, précise que ces derniers travaillent au moins sept nuits par mois. «Comme nous, ils éprouvent des difficultés à exercer leur métier convenablement en raison du manque de personnel soignant. Et en ce moment, plusieurs pays de la SADC sont confrontés aux départs d’infirmiers qui émigrent en Europe en raison de conditions de travail plus attrayantes». Govindass Nathoo précise toutefois que contrairement aux infirmiers mauriciens qui perçoivent une allocation variant entre Rs 45 et Rs 120 (entre un et quatre dollars américains) par nuit de travail, dépendant du nombre d’années de service, ceux des pays de la SADC ne reçoivent aucune allocation. «Le fait que les infirmiers des pays de la SADC cherchent d’autres perspectives à l’étranger est une indication de leurs conditions de travail pénibles», dit-il.
Dans le cas des infirmiers mauriciens, en sus de la décision du ministère de la Santé et de la Qualité de la Vie d’augmenter leur nombre de nuits, ce qui les a davantage irrités, explique leur porte-parole, Cassam Kureeman, c’est le manque de discussions avant l’introduction de cette mesure: «L’introduction de cette mesure a été faite en catimini, sans que nous ayons été consultés et que notre avis soit considéré. Comment peut-on prendre une telle décision quand il s’agit de nos conditions de travail?», proteste-t-il.
Lorsque la polémique a commencé à enfler, le ministère de la Santé et de la Qualité de la Vie a réagi. Pour calmer les esprits et atténuer la tension dans les hôpitaux, une source au ministère a affirmé qu’il n’y avait eu aucune modification dans les conditions de travail. «C’est un service essentiel et ils doivent travailler la nuit. Nous n’avons pas modifié leurs conditions de travail», avait déclaré cette source. Les autorités ont par la suite reconnu qu’elles avaient rencontré les responsables des hôpitaux pour discuter de la mesure.
Les syndicats ont mis tant de pressions que le ministère a ouvert les négociations. Le ministre de la Santé et de la Qualité de la vie, Rajesh Jeetah, ne veut pas se mettre à dos les quelques 3000 infirmiers affectés dans les hôpitaux. «S’ils sont autant en colère, c’est que leurs revendications doivent être légitimes. Nous comprenons que la pression sur eux pèse lourd. Nous sommes disposés à revoir certaines conditions pour les aider et pour qu’ils délivrent un meilleur service aux patients. Nous espérons qu’avec les projets d’école de formation pour les infirmiers qui se mettent en place actuellement, nous pourrons avoir davantage d’infirmiers dans les hôpitaux. Mais ce ne sera pas avant trois ans», précise le ministre Jeetah.
Deux écoles d’infirmiers ont effectivement vu le jour cette année, l’une à la City Clinic en plein cœur de la capitale Port-Louis et une autre à l’hôpital Apollo à Ebène, région située sur le plateau central, qui accueille en ce moment ses premiers infirmiers. En attendant le recrutement de ces futurs infirmiers et d’être à même de travailler plus sereinement, Hema Putty et les autres infirmiers, demandent plus de considération du ministère de tutelle à leur égard. Par exemple, ils ne sont payés pour leurs heures supplémentaires qu’au bout d’un an. Parfois, c’est même plus long. Le syndicaliste Cassam Kureeman devrait avoir d’autres réunions avec le ministère de la Santé et de la Qualité de la Vie autour de ce dossier pour tenter de débloquer une situation qui risque d’être au détriment des malades.
Jane O’Neil est journaliste à Maurice. Cet article fait partie du service d’opinions et de commentaires de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles à l’actualité quotidienne.
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