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Ces femmes ont subi l’appareil judiciaire après avoir commis un ou plusieurs délits. Ce sont des êtres cassés, qui n’ont aucun repère et qui se considèrent comme des marginales car elles n’arrivent pas Á se reconstruire. La prison, c’est quasiment le sevrage de tout lien avec l’extérieur. Souvent, leurs proches les abandonnent. Pour beaucoup, la prison est aussi le lieu du début des mauvaises fréquentations qui les encourageront Á commettre des crimes encore plus graves Á leur sortie de prison.
Le passage en prison est comme un boulet au pied que les détenus traînent de longs mois, voire des années. Les obstacles Á la réinsertion sociale des détenus(es) qui veulent remonter la pente sont multiples: gel de leurs avoirs bancaires, refus de délivrance d’un certificat de moralité, difficultés Á intégrer le monde de l’emploi et manque de moyens financiers. Ajouté Á cela, il y a le remboursement des frais légaux et des amendes imposées par les Cours de justices. Ces facteurs réunis constituent un cocktail explosif favorisant la rechute.
Nombreuses sont celles qui étaient droguées et qui se sont refait une santé en prison. A leur sortie de prison toutefois, elles se retrouvent sur le trottoir, sans soutien familial et sans ressources et replongent dans la prostitution pour survivre. Depuis quelques années et grâce Á l’organisation non-gouvernementale Kinouété, les détenues peuvent prendre un nouveau départ dans la vie. Récemment, cette association, en collaboration avec le National Empowerment Fund, a organisé une série de formations en informatique, couture, coiffure et esthétique, destinées Á permettre aux détenues d’apprendre un métier et d’obtenir un certificat d’aptitudes dans les domaines susmentionnés.
«Je rêve qu’un jour les anciennes détenues qui ont reçu des formations identiques puissent se mettre ensemble et lancer une activité commune. Mais pour que cela, il faudra que la société change son regard sur nous », déclare Patricia, elle-même une ancienne détenue.
Martine Hennequin, coordinatrice de la thérapie et psychologue Á Kinouete, recommande que certaines améliorations soient apportées Á l’univers carcéral. «Il n’y a pas de prison ouverte pour les femmes comme c’est le cas pour les hommes qui peuvent être admis Á la prison ouverte de Richelieu. Les femmes éprouvent plus de difficultés lors de cette étape cruciale qu’est la sortie puisqu’elles n’ont pas de contact progressif avec l’extérieur », ajoute-t-elle.
Et les contacts autorisés entre détenues et leurs proches par l’administration pénitentiaires sont rares. Le 29 juillet dernier, 17 enfants et adolescents ont passé la journée avec leur maman détenue, voire dans certains cas avec leur grand-mère détenue, Á la prison de Beau-Bassin. C’était une des trois journées mères-enfants qu’organise chaque année Kinouete. Grâce au soutien financier du Decentralized Cooperation Programme (DCP) de l’Union Européenne, cette association de réhabilitation et de réinsertion des prisonniers(ères) est en mesure cette année de développer une approche complète et systématique du retour de l’ancien détenu Á la vie sociale.
Les journées mères-enfants qu’organise Kinouete Á la prison des femmes de Beau-Bassin revêtent pour ces détenues une importance extraordinaire: celle de pouvoir se voir exister dans le regard de leur enfant, de pouvoir le serrer dans leurs bras, de leur parler, de les écouter, de jouer avec eux…
Ces jours-lÁ , les mamans aménagent et décorent la grande salle où elles vont accueillir leurs enfants. Outre les retrouvailles légères et joyeuses, cette journée comprend aussi une partie plus solennelle, c’est-Á -dire un entretien avec l’enfant, en présence d’un spécialiste de l’écoute de Kinouete. Au cours de cette rencontre, chacun peut exprimer ses attentes vis-Á -vis de l’autre, donner des conseils et révéler ses pensées particulières.
Ces moments sont d’autant plus attendus qu’ils seront, pour certaines mamans, les seuls de l’année où elles vont voir leur enfant et pour d’autres, les seuls moments où elles pourront les prendre dans leurs bras. Car dans le cadre des visites habituelles, soit une demi heure tous les quinze jours, le contact physique entre détenue et son enfant n’est autorisé qu’avec les enfants de moins de sept ans.
«Ce qu’ils racontent de cette journée ensuite dans la voiture lorsque nous les raccompagnons chez eux », explique Martine Hennequin, «est aussi intéressant que la journée en elle-même! Ils évoquent leurs rêves et imaginent tout ce qu’ils feront avec leur mère quand elle sortira de prison. » Actuellement six mamans se concentrent sur leur libération qu’elles préparent activement avec les membres de Kinouete qui leur rendent visite en prison.
Auparavant, chaque détenue était suivie après sa sortie par une seule personne. Désormais, elle le sera par plusieurs personnes de l’association qui se sont répartis les responsabilités. «Cette approche permet de gérer les problèmes de notre ‘client’ de manière plus complète et nous offre la possibilité d’enrichir notre compréhension de la situation » explique Pauline Bonieux, la présidente de Kinouete.
La sortie de prison fait l’objet d’un programme de suivi d’une durée de six mois, composé de travaux de groupe et de séances de soutien en individuel. Il s’agit de prévoir l’ensemble des problèmes auxquels la personne sera confrontée en matière d’administration, de santé, de recherche d’emploi, voire de continuation d’un plan de désintoxication, etc.
La seule chose que Kinouete ne prend pas en considération est le paiement de l’amende que la personne a été condamnée Á verser, considérant que cela relève de la sentence et non de la réhabilitation. En revanche, l’association est outillée pour détecter la tentation de certaines détenues Á se faire avancer cette somme par des gens qui les utiliseront ensuite Á leur sortie pour les faire replonger dans la criminalité. Ce sujet et la mise en garde de ces conséquences est très directement abordé lors des entretiens individuels.
L’impact psychologique de la prison sur le détenu et sur ses proches est puissant, comme le fait comprendre Martine Hennequin: «Les détenues, particulièrement les mamans, sont très inquiets quant Á la façon dont elles seront accueillies dans leur famille. Elles craignent qu’on leur rappelle constamment leurs erreurs passées et que l’on s’en serve pour les empêcher de faire un certain nombre de choses, comme par exemple s’occuper de leurs enfants. Elles se demandent comment elles vont retrouver leur place. Elles craignent qu’on leur ôte une deuxième fois leur rôle parental qu’elles n’ont pu exercer pendant leur incarcération. »
C’est pour cette raison qu’il est fondamental que la famille soit également préparée au retour du parent détenue Á sa libération et Kinouete s’en charge Á travers des visites régulières auprès des familles concernées.
Pour sa part, l’Attorney General, Rama Valayden, se sent très concerné par ce problème de difficultés de réinsertion sociale pour les détenus(es). «Je ne crois pas qu’une personne doive porter le fardeau de ses actions passées tout au long de sa vie. La réhabilitation n’est pas l’affaire de l’Etat uniquement et ne doit pas avoir lieu uniquement pendant la période d’incarcération. Il y a l’après libération et c’est lÁ que nous sommes en train de faillir. Les parents, les amis, la société, nous devrions être tous concernés par cette réinsertion. Je lance également un appel aux employeurs pour qu’ils donnent une chance aux détenus(es) », exhorte-t-il. Souhaitons que cet appel soit enfin entendu…
Jimmy Jean-Louis est journaliste Á Maurice. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links, qui apporte des perspectives nouvelles Á l’actualité quotidienne.
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Comment on La réhabilitation…un processus plus difficile pour les détenues!