L’absence d’un traité entre Maurice et l’Afrique du Sud ‘alourdit’ la sentence des passeurs sud-africains


Date: January 1, 1970
  • SHARE:

L’absence d’un traité d’échanges de prisonniers entre l’Afrique du Sud et Maurice rend encore plus intenable la vie des passeurs sud-africains condamnés Á  Maurice.

Echange de prisonniers
 
L’absence d’un traité entre Maurice et l’Afrique du Sud ‘alourdit’ la sentence des passeurs sud-africains
 
Par Jimmy Jean-Louis
 
Sur son lit d’hôpital à Rose-Belle où elle restitue progressivement la quarantaine de boulettes d’héroïne qu’elle a ingurgitées, Manisca Scannell, 22 ans, ne réalise pas encore l’enfer qui l’attend à Maurice. A peine débarquée du vol de la South African Airways en ce début du mois de mars, elle a été interpellée par les officiers de l’Anti-Drug and Smuggling Unit (ADSU) en raison d’un ‘comportement suspect’. Soumise à un interrogatoire serré, elle a fini par avouer qu’elle transporte plus de 400 grammes d’héroïne. Ce faisant, elle a fait un trait sur sa jeunesse, comme l’ont fait plusieurs autres de ses compatriotes. Et l’absence d’un traité d’échange de prisonniers entre l’Afrique du Sud et Maurice n’est pas pour arranger sa situation.  
 
Dans le sillage de l’arrestation de Manisca Scannell, un dénommé Joannes Jurie Botha a été appréhendé. Ce Sud-africain de 35 ans, est soupçonné d’être le destinataire de la drogue transportée par la jeune femme. Il est arrivé à Maurice le 19 février dernier à bord d’un courrier d’Air Mauritius. Depuis, il a fait l’objet d’une étroite surveillance qui a mis les enquêteurs sur la piste de Manisca Scannell. La valeur de la drogue saisie sur cette dernière est estimée à environ Rs 2 720 000 (800 000 rands).
 
Ce n’est hélas pas un cas isolé de jeunes Sud-africains ayant eu des mauvaises fréquentations et qui ont accepté de faire le sale boulot pour de gros trafiquants qui disparaissent dans la nature sitôt leurs passeurs arrêtés. Cela commence souvent par une histoire d’amour où le petit ami ou la compagne propose à son partenaire de transporter la marchandise en lui faisant croire que les autorités mauriciennes ne se douteront de rien. Dès que ces passeurs montent dans l’avion, leurs contacts-commanditaires s’évaporent dans la nature. Ces derniers n’ont rien à perdre ou presque car ils savent qu’ils ne seront jamais inquiétés.  Mais derrière chaque arrestation de passeur, il y a des drames humains.
 
Il y a actuellement 28 Sud-africains passeurs de drogue, dont 18 femmes, dans les prisons mauriciennes. Récemment, les autorités de Pretoria en Afrique du Sud ont interpellé leurs homologues de Port-Louis sur le cas de Janette Noluvuyo Ntamo. Cette ancienne habitante d’East London à Johannesbourg, arrêtée comme passeuse, a été menottée, dénudée et battue par une dizaine de matons d’une division spéciale de la prison de Beau-Bassin où elle est détenue. Malgré le traumatisme subi, elle est parvenue à envoyer un texto (SMS) à ses proches en Afrique du Sud. Ce qui a déclenché des procédures officielles et alerté les médias de ce pays. Sa tante, Monica Gunyazile, a téléphoné à l’ambassade sud-africaine à Maurice pour solliciter une intervention.
 
Ntamo est en détention préventive depuis quatre ans. Avant de se retrouver embarquée dans cette spirale infernale à Maurice, cette habitante de Johannesburg s’est rendue à Cape Town pour chercher du travail. Là, selon ses dires, elle a sympathisé avec un homme qui l’a envoyée à Maurice avec pour consigne de transporter un colis destiné à un ami. La suite, on la connaît.
 
Depuis  peu, un avocat mauricien, Me Jean-Claude Bibi, s’occupe du cas de Ntamo. « Les Mauriciens et les étrangers sont souvent battus par les garde-chiourmes de cette division spéciale de la prison. J’ai été informé du cas par l’ambassade sud-africaine et du fait qu’elle a soulevé l’affaire au plus haut niveau du gouvernement mauricien et même à Pretoria» a-t-il déclaré. Il allègue que les autorités locales ont souvent démontré «une impuissance et un manque de volonté à dénoncer ou combattre les actes de violences de ces matons».
 
Le long délai qui s’écoule avant que ces passeurs ne soient jugés ou encore les lourdes peines de prison assorties aux délits de drogue, jusqu’à 60 ans dans certains cas, rendent intenable la vie de ces prisonniers. De plus, malgré le fait que Maurice et l’Afrique du Sud soient membres de la Communauté pour le Développement de l’Afrique Australe (SADC) où chacun de ces pays joue un rôle majeur, il n’y a jamais eu de négociations en vue de favoriser l’échange de prisonniers.
 
Cette situation a provoqué une grève de la faim des prisonniers sud-africains en mars 2008 qu’ils ont fait coïncider avec la visite d’Etat de leur ancien président, Thabo Mbeki. Ce dernier était alors l’invité d’honneur du gouvernement mauricien pour les festivités marquant les 40 ans d’indépendance du pays.  Les détenus sud-africains avaient alors adressé une lettre au président Mbeki pour dire leur déception à l’effet que depuis 2006, leurs nombreuses démarches auprès du département des Affaires Etrangères à Pretoria en vue de continuer à purger leurs peines dans leur pays natal, aient échoué.
 
Pourtant, depuis 2001, la législation mauricienne autorise la signature d’un traité pour le transfert commun des prisonniers. Plusieurs pays comme le Royaume Uni, la France, la Tanzanie, l’Allemagne, la Hollande, la Guinée l’ont déjà ratifié. Les discussions ont atteint un stade avancé pour des pays comme le Kenya, l’Ouganda, l’Australie, Madagascar, la Turquie, entre autres.
 
«Nous reconnaissons nos erreurs envers la société. Nous regrettons les circonstances qui nous ont conduits en prison. Plusieurs d’entre nous ne reçoivent aucune assistance de nos proches. Certains n’ont pas vu leurs familles depuis plusieurs années en raison de la distance et des coûts financiers impliqués. Nous pensons que notre gouvernement ne doit pas nous tourner le dos ont écrit les détenus sud-africains à leur ancien président. Il n’y a pas eu de suite à ce courrier.
 
Ce n’est pas leur première tentative d’attirer l’attention des autorités sud-africaines sur leur sort. En effet, en 2007, ils avaient envoyé une pétition au département des Affaires étrangères sud-africain. Celui-ci a répondu à chacun des signataires de ladite pétition en ces termes: «Le gouvernement sud-africain est d’avis que les Sud-africains qui ont commis des crimes à l’étranger doivent purger leurs peines dans ces pays». Cette indifférence des autorités de Pretoria a provoqué le suicide du détenu Billy Burger, impliqué dans l’importation de drogue en 2005. « Il ne supportait pas l’idée d’avoir à purger 10 à 45 ans de prison sans pouvoir revoir ses proches. Si ce traité avait été signé, il serait encore en vie aujourd’hui,» estiment ses proches.
 
Il y a aussi eu les cas de ces deux bébés, l’un de sept mois et l’autre de 18 mois, qui accompagnaient leurs parents arrêtés alors qu’ils tentaient de passer de la drogue à Maurice. Les nourrissons ont été rapatriés en Afrique du Sud mais depuis, ils n’ont jamais revus leurs parents. «Comment peut-on dire à un enfant qu’il ne verra pas son père ou sa mère pendant dix ou 20 ans?», s’interroge un détenu.
 
Cette attitude tranche singulièrement avec la décision récente de Pretoria de voler au secours, à deux reprises, des membres d’équipage de la South African Airways à Londres. Le 21 janvier dernier, sur le vol Johannesburg-Londres, 15 membres d’équipage de la SAA ont été arrêtés à la suite de la saisie, dans un de leurs bagages, de quatre kilos d’héroïne et de 50 kilos de gandia.  Ils ont été relâchés sur l’intervention des autorités de Pretoria. Le 16 février dernier, sur le même trajet, deux kilos d’héroïne ont été interceptés par les autorités londoniennes sur un autre équipage de la SAA. Là-aussi, l’intervention du gouvernement a permis aux 15 membres d’équipage impliqués d’être libérés sans aucune forme de procès. 
     
Pourquoi donc cette politique de deux poids, deux mesures ? D’aucuns estiment que les autorités de Pretoria ne respectent pas l’article 36 de la Constitution qui décrète qu’aucune personne incarcérée ne doit être emprisonnée loin de sa famille.
 
Le seul espoir pour ces détenus est le courage d’une femme, Patricia Gerber, la mère d’un détenu nommé Johann Gerber, âgé de 20 ans seulement quand il a été arrêté le 29 août 2005 en compagnie d’une jeune femme, Thelma Van Rooyen. Ce passeur a récemment été condamné à neuf ans de prison. « Quand j’ai commencé à entreprendre des démarches, j’ai été horrifiée d’apprendre le nombre élevé de mes compatriotes emprisonnés à Maurice. Le département des narcotiques sud-africains qui avait dépêché les officiers Jannie Rheeder et Deven Naicker pour rencontrer les détenus sud-africains à Maurice, n’ont pu enregistrer la moindre déposition capable de les aider à remonter et démanteler la filière de drogue sud-africaine. Pendant longtemps, ils ont préféré donner des tuyaux à la police mauricienne pour arrêter les suspects à Maurice», explique celle qui a monté une association pour venir en aide aux familles sud-africaines se trouvant dans la même situation qu’elle.
 
«Il n’y a pas un jour qui passe sans que je ne pense pas à mon fils. A chaque fois que je lui rends visite dans la prison mauricienne, j’ai le cœur déchiré quand je dois repartir pour l’Afrique du Sud. Au niveau du Congrès National Africain, personne n’a voulu me rencontrer.  Par contre, j’ai pu rencontrer Mr Lekota, leader du Congress of the People, la faction dissidente du gouvernement en place. Je sais que les autorités mauriciennes sont enclines à laisser les Sud-africains purger leurs peines dans leur pays natal. Mais Pretoria n’a pas la même volonté. Je dis à notre gouvernement  d’écouter nos cœurs et nos larmes de mères afin d’autoriser nos enfants à rentrer au pays purger leurs peines», insiste Mme Gerber qui doit rendre visite à son fils et aux autres détenus sud-africains dans le courant du mois.  Elle a également contacté les Nations Unies et l’International Prison Fellowship pour les sensibiliser sur cette question sensible.
 
 
Jimmy Jean-Louis est journaliste à Maurice. Cet article fait partie du service d’opinions et de commentaires de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles à l’actualité quotidienne.
 


Comment on L’absence d’un traité entre Maurice et l’Afrique du Sud ‘alourdit’ la sentence des passeurs sud-africains

Your email address will not be published. Required fields are marked *