Les Chagossiennes, fer de lance du combat de ce peuple exilé


Date: January 1, 1970
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La raison de ce déracinement était simple: les Etats-Unis, alliés de la Grande Bretagne, avaient impérativement besoin d’avoir une présence stratégique dans l’Océan Indien et l’archipel des Chagos était le lieu rêvé pour installer une puissante zone militaire.  Mais la souffrance que ces deux pays, donneurs de leçons en matière de démocratie,  ont fait endurer aux Chagossiens peut s’apparenter un crime contre l’humanité.
 
Le drame chagossien s’est joué entre 1965 et 1972. Au moment d’accorder à Maurice son indépendance, Londres impose comme condition l’excision de l’archipel des Chagos. Le pire est qu’à aucun moment, les Chagossiens ne sont consultés à ce sujet, ni sur celui d’un éventuel paiement de compensation pour ce déracinement.
 
Comme Jeanne Emilie, les autres Chagossiennes déportées à Maurice, n’ont jamais baissé les bras et sont restées à l’avant plan du combat pour le retour aux Chagos. Ainsi, Rita Bancoult a fait promettre à son fils Olivier de lutter pour un retour dans leurs îles après avoir fait la douloureuse expérience d’une mauvaise adaptation à Maurice.
 
Lorsque son mari a réalisé qu’il ne reverrait jamais les Chagos, il a eu une congestion et en est mort. Un de leurs fils est tombé dans la drogue et en est mort. Deux autres de leurs enfants ont noyé leur mal-être dans l’alcool au point d’en mourir. Leur fille s’est suicidée. C’est pour toutes ces raisons qu’Olivier Bancoult, travailleur manuel, a honoré la promesse faite à sa mère en constituant le Groupe Refugiés Chagos (GRC) et qu’il mène depuis un combat sans relâche et sans complexe pour le droit de retour des Chagossiens dans l’archipel.
 
Le 10 juin dernier, il a adressé une nouvelle lettre aux autorités britanniques, ciblant plus particulièrement le ministre des Affaires étrangères, David Milliband, et lui rappelant que cela fait exactement cinq ans, jour pour jour, qu’un «order in council» (décret royal) a été adopté pour interdire le retour des Chagossiens dans leur archipel. Il souligne la démarche anti-démocratique de ce décret qui prive un peuple de son retour légitime dans son pays natal.
 
En sus des drames personnels qui ont secoué sa famille, l’acharnement d’Olivier Bancoult tient aussi au fait que depuis leur arrivée à Port-Louis, les Chagossiens ont vécu dans des conditions pénibles. Ils ont été relogés dans des endroits dépourvus d’eau et d’électricité. John Pilger, Britannique et sympathisant à la cause des Chagossiens, qui a réalisé un documentaire intitulé «Stealing a nation» (Voler un peuple), l’évoque dans son reportage.  Certains Chagossiens vivaient à 25 dans une maison. Vingt-six familles sont mortes dans la pauvreté, neuf Chagossiens se sont suicidés en raison de leur ‘déportation’ et plusieurs Chagossiennes ont été contraintes à pratiquer le travail sexuel pour survivre.
 
Pourtant, aux yeux de monde, les Britanniques ont fait croire qu’il n’y avait pas de peuple indigène dans l’archipel des Chagos mais qu’ils étaient des travailleurs contractuels. Ils auraient été jusqu’à fausser certains documents officiels. A cela,  Lisette Talate, une des figures de proue du combat des Chagossiens,  explique : «Ma grand-mère bisaïeule est née là-bas. J’ai moi-même eu six enfants là-bas».
 
Charlesia Alexis, autre icône de cette lutte pour le retour aux Chagos, se rappelle de certaines tranches de vie aux Chagos: «Nous avions à manger pour rassasier notre faim, à boire jusqu’à plus soif et nous ne manquions de rien lorsque nous étions aux Chagos». On peut dire que les autorités britanniques ont utilisé des méthodes quasi-hitlériennes lorsqu’elles ont contraint ce peuple au départ. Elles ont commencé par gazer les chiens. Cela a servi d’avertissement à ceux qui oseraient opposer une quelconque résistance à leur ‘déportation’.
 
Les Chagossiens n’ont pas eu d’autre choix que d’embarquer sur le «Nodvaer». Ils ont goûté aux geôles seychelloises avant d’être largués à Port-Louis. La traversée n’a fait qu’accentuer la douleur de l’exil. «Lors de ce voyage de dix jours de Diego Garcia à Maurice, certains d’entre nous avaient été parqués sur le pont et d’autres entassés dans la cale. Nous n’avions pas d’eau potable et avec toutes les odeurs corporelles qui se dégageaient, nous avions du mal à respirer», se souvient Lisette Talate.
 
Les Chagossiennes se sont rebellées en 1982 en faisant une grève de la faim. En retour, elles ont été matraquées par les policiers mauriciens. Cela n’a en rien diminué leur ardeur. «J’ai été battue par la police et j’ai connu la prison,» déclare Lisette Talate.  «Mais mon désir de retrouver mon île a toujours été ancré en moi», ajoute-t-elle. La communauté chagossienne a tenu le coup en s’inspirant de la lutte de Nelson Mandela, ancien dirigeant du Congrès National Africain, emprisonné pendant 27 ans et qui a été le premier président de l’Afrique du Sud post apartheid, qui disait: «Notre lutte continue, la victoire est certaine».   
 
 
Il y a bien eu des miettes de compensations financières pour les Chagossiens mais on n’a jamais vraiment compris ce qui leur a été expliqué lors du paiement. C’est en échange de quelques milliers de roupies que les Britanniques ont fait les Chagossiens signer des documents dans lesquels ils disent renoncer à leurs droits sur leurs îles.  «Si j’avais su de quoi il en retournait, je n’aurais jamais signé», explique une autre Chagossienne.
 
Les Chagossiens croyaient que leur exil allait prendre fin 30 ans, soit après novembre 2000, lorsque la Haute Cour de Londres a qualifié «d’illégale» leur expulsion de l’archipel. Lisette Talate était à Londres à ce moment-là: «Je me suis sentie revivre. J’ai pensé que je retrouverais la tombe de mes aïeux, que je reverrai les jolies plages, la mer, l’île où je suis née». Charlesia Alexis a pensé que le gouvernement britannique avait enfin changé. «Je me suis dis que le gouvernement anglais a finalement eu un peu de sentiments pour nous.»
 
Mais elles étaient une fois de plus dans l’erreur. Depuis ce jugement, le gouvernement britannique a utilisé tout un arsenal juridique pour interdire le retour de ce peuple dans ses îles. Ainsi, le 4 juin 2004, un décret royal interdisait définitivement tout retour des Chagossiens dans l’archipel. De plus, le gouvernement britannique a produit des rapports pour montrer qu’un retour dans les îles est impossible car il n’y a pas d’approvisionnement en eau potable.
 
Or, les îles de Peros Banos et de Salomon dans l’archipel des Chagos sont parmi celles qui récoltent le plus d’eau de pluie au monde.  Ajouté à cela, plus de 4000 personnes, soit deux fois la population chagossienne de l’époque, vivent actuellement sur la base militaire de Diego Garcia. Et des touristes s’adonnent à des excursions sur certaines des autres îles de l’archipel.
 
Ce que le gouvernement britannique a finalement consenti après des années de pressions, c’est de donner un passeport britannique aux Chagossiens de la première et de la deuxième génération. Certains sont partis vivre au Royaume Uni. Malheureusement, dans bien des cas, la citoyenneté britannique a divisé les familles car tous les membres d’une même famille n’ont pas droit à ce fameux sésame. De plus, une fois en Grande Bretagne, les Chagossiens ont dû payer des loyers exorbitants, soit jusqu’à 900 livres sterling mensuellement (environ 11 940 rands) pour vivre à Londres alors que des réfugiés politiques de certains pays asiatiques n’en paient pas en raison de leur statut.
 
Le 30 mars 2006, une centaine de Chagossiens ont effectué une visite d’une dizaine de jours sur trois de leurs îles – Salomon, Peros Banhos et surtout Diego Garcia où les Américains ont construit une base militaire. Les Chagossiens ont pu y ériger une stèle à la mémoire de leurs ancêtres enterrés là-bas.  Au retour, le GRC a demandé que le gouvernement britannique s’occupe des cimetières de Salomon et de Peros Banhos, du toit des églises et a demandé à ce que les Anglais revoient aussi le tracé des sentiers menant à l’intérieur des îles.
 
En juillet 2008, il y a eu un rapport accablant du Foreign Affairs Committee, un Departmental Select Committee de la Chambre des Communes, à propos du sort réservé aux Chagossiens par le gouvernement britannique. Ce comité avance d’abord que les difficultés rencontrées par cette catégorie de Chagossiens résultent davantage d’une conséquence de leur exil que de leur propre choix et propose deux mesures pour venir en aide aux Chagossiens nés à Maurice et qui ne peuvent jusqu’ici prétendre aux mêmes facilités que ceux nés dans l’archipel. Il recommande l’extension de la nationalité britannique à la troisième génération de Chagossiens et que le gouvernement conseille mieux les Chagossiens voulant s’installer au Royaume Uni.
 
Aujourd’hui, l’espoir des Chagossiens est la Cour européenne des droits de l’Homme de Strasbourg en France devant laquelle le GRC a traîné les autorités britanniques, en arguant entre autres, que la Grande Bretagne a bafoué les articles 8 et 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme qui stipulent que "Nul ne peut être arbitrairement exilé… " et "Toute personne a le droit de quitter son pays et d’y revenir".   En raison de l’âge avancé des Chagossiens qui ont été déracinés de leurs îles, cette instance a accepté de donner priorité à leur dossier. Si jamais les Chagossiens perdent leur bataille légale devant la Cour de Strasbourg, ils ont comme dernier recours la plus haute Cour au monde, soit celle de La Haye.
 
L’arrivée de Barack Obama en tant que président des Etats-Unis a suscité un certain optimisme après des Chagossiens. Mais tout reste à prouver, surtout que dans le passé, les gouvernements britanniques et américains se sont renvoyé la balle à propos de leurs responsabilités respectives envers les Chagossiens. Une chose est sure: ces deux puissances ont profondément blessé et humilié les Chagossiens.  
 
 
Jimmy Jean-Louis est journaliste à Maurice. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links, qui apporte des perspectives nouvelles à l’actualité quotidienne. 
 
 
 
 


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