Les femmes et les enfants, principales victimes des autorités cinghalaises


Date: January 1, 1970
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Deux réfugiés politiques Tamouls de passage Á  Maurice, attirent l’attention des autorités sur ce qu’ils considèrent être le génocide des leurs au Sri Lanka. Les premières victimes, affirment-ils, sont les femmes et les enfants.

Les femmes et les enfants, principales victimes des autorités cinghalaises
 
 
Par Djemillah Mourade
 
 
C’est une magnifique jeune femme qui s’avance d’un pas peu assuré, sans prêter attention à la pluie qui commence à inonder Port Louis, la capitale de Maurice…Sa longue et fine chevelure noire tombe comme un rideau sur ses épaules. Elle esquisse un sourire laissant apparaître une rangée de dents blanches. Rien ne laisse deviner que cette jeune femme d’une trentaine d’années a connu les pires atrocités dès son plus jeune âge.
En effet, elle a à peine cinq ans quand une bombe atterrit sur Mullaitheevu, son village natal situé au nord-ouest du Sri Lanka. Autour d’elle, la terre tremble et tout ce qu’elle a connu depuis l’enfance s’évapore en une fraction de seconde. Ce jour-là, elle découvre ce qu’est la mort, un tas de chairs nauséabondes, des boyaux et du sang, des corps entassés. Ces images sont gravées dans sa mémoire. Si elle y survit, c’est parce qu’elle ne se trouve pas tout près du lieu d’impact. Ce qui lui reste de cette journée noire: des cicatrices sur l’avant bras, seuls témoins du massacre de son village et des bleus au cœur.
 
« Il n’y a aucune photo de ces meurtres. Il n’y a que moi et mon témoignage. C’est pour cela qu’aujourd’hui, je veux tout vous raconter », lance la jeune femme qui refuse toutefois de donner son vrai nom, par peur de représailles. Nous l’appellerons donc Thivu.
« Je suis une réfugiée politique aux Etats-Unis. Même hors de mon pays, ma vie est menacée» ajoute-t-elle. Thivu bégaie quand elle parle, séquelles de son douloureux passé. Elle est bientôt rejointe par un homme âgé de petite taille, vêtu d’un pagne blanc. De ses deux mains, il me serre la main pendant longtemps, me regardant droit dans les yeux au dessus de ses lunettes en forme de lune. Il marmonne quelques mots en tamoul que je ne comprends pas mais je lis très bien dans ses yeux noirs, qu’il nourrit l’espoir que le fait de se raconter pourra peut-être changer le cours des évènements. 
« C’est une guerre sans témoin», dit-il dans un anglais baroque, « c’est pour cela que je veux vous raconter ma part de vérité ».
Lui, c’est Ealaventham, ancien parlementaire sri-lankais et représentant du Tamil National Alliance. Ealaventham, Thivu et son époux, tous deux réfugiés, et un autre réfugié tamoul en Afrique du Sud, ont fait le voyage jusqu’à Maurice pour faire entendre leur voix, et jouer des relations cordiales entre Maurice et l’Inde pour voir s’ils peuvent faire cesser ce conflit.
Le combat d’Ealaventham débute en 1976 alors que le génocide tamoul a démarré 20 ans plus tôt. Il est arrêté dans la capitale Colombo, puis dévêtu et placé nu dans une cellule. Sans qu’aucune explication ne lui soit jamais fournie. Trois mois plus tard, il est relâché et la police lui dit qu’on le soupçonne de terrorisme parce qu’il est Tamoul. Une injustice qui le rend amer.
C’est en 1972  que le Sri Lanka devient une République. Cette île au sud de l’Inde alors connue comme le Ceylan et dont le territoire nord, L’Ealam était occupé par les Tamouls. «Le jour où les Cinghalais sont devenus libres, nous avons perdu le droit d’exister», affirme-t-il.
Quand Ealaventham relate cette guerre date par date comme on égrène un chapelet, un commentaire m’échappe. Je finis par lui demander s’il est un terroriste car aux yeux du monde, son mouvement est comparable à celui d’Al Quaida.
Aucun étonnement ne se lit alors sur son visage. Il a l’habitude. Il m’explique qu’au Sri Lanka, le gouvernement massacre la minorité tamoule et accuse les Tigres, qui résistent à l’oppression, de prendre en otage les Cinghalais. «La résistance est d’une rare violence et les Tigres utilisent des attentats pour se défendre. Cela permet au gouvernement de nous présenter comme des terroristes, sans autre but que de créer le chaos. »
Le mouvement des Tigres de la Libération de l’Ealam Tamouls débute en 1977, et depuis, il entretient une guérilla au Sri Lanka avec des attentats sanglants. Les Black Tigers sont eux responsables d’un certain nombre d’attentats spectaculaires.
Thivu, elle, ajoute d’un ton révolté que « si le gouvernement nous massacre parce qu’il pense que nous sommes des terroristes, alors pourquoi tue-t-il des enfants aussi? Les enfants sont-ils des terroristes? Les jeunes filles sont violées. Pourquoi? Ce qui était au départ un génocide culturel est devenu l’extermination d’une race. Je ne sais même plus si ma famille est en vie depuis que je vis aux Etats Unis. Chaque jour, environ 20 Tamouls sont tués par des bombes fournies par l’Inde. Ces attentats sont condamnés par les Nations Unies. Faites le compte. Au moins 20 Tamouls tués au quotidien, si ce n’est pas de l’extermination, c’est quoi?».
Thivu qui, jusque-là, n’avait pas voulu s’attarder sur ses souvenirs d’après l’attaque de son village, devient plus volubile. « Les femmes sont les premières victimes de ce conflit. L’arme suprême des militaires à leur égard est le viol »
Thivu ajoute, «pour vous, cela paraît invraisemblable mais les militaires cingalais violent et tuent des jeunes filles et des enfants chaque jour. Leur but est d’empêcher toute génération future de Tamouls de croître. Si les enfants ne grandissent pas et si les filles ne procréent plus, cela ne peut que servir leur objectif : l’épuration ethnique des Tamouls».
Thivu a en sa possession des photos qui appuient son argumentaire : des centaines d’images d’enfants démembrés par des bombes, de petits corps calcinés par le feu qui les a consumés. Puis une dernière photo, celle qui a été le point de départ de leur périple à travers le monde jusqu’à Maurice. Une petite fille, Ann Nixon, sept ans, pendue dans sa propre maison à côté de ses parents et de sa grande sœur, Ann Luxica, neuf ans, tués également. C’était le 9 juin 2006. La famille entière a été torturée à Vankalai, Mannar, par la Sri Lankan Air Force ( SLAF ). Les femmes ont été violées sous les yeux de leur époux et des enfants avant qu’ils ne soient tous pendus et exposés sur la place publique pour intimider ceux qui tentaient de se rebeller.
«Ces deux innocentes ont été tuées pour obtenir la soumission de tout un peuple », lance rageusement Thivu. Depuis, la photo d’Ann Nixon figure sur tous les tracts des militants du LTTE ( Tigres de la Libération de L’Ealam Tamoul).
Cette enfant est citée plusieurs fois dans la conversation. Thivu explique que c’est cette gamine martyre qui les pousse à parcourir le monde. «Cette photo est le symbole des enfants qui meurent chaque jour sans que la communauté internationale ne lève le petit doigt».
Le 4 Mars 2009, dix enfants sont morts de faim dans un bunker où ils se cachaient à Mullaitheevu. «C’est la première fois dans l’histoire du Sri Lanka qu’une telle chose arrive, des enfants qui meurent de faim parce qu’ils se cachaient des bombes. Depuis le début de cette année, 700 enfants sont morts à Colombo», s’indigne Ealaventham.
Les 1.2 millions de Tamouls qui sont éparpilles dans le monde tentent de faire réagir la communauté internationale sur les agissements du gouvernement cinghalais et les bombardements de civils.
Le 6 mars dernier, cinq mille mauriciens ont défilé dans les rues de Port Louis et devant l’ambassade indienne et américaine pour demander au gouvernement mauricien d’intervenir dans le conflit au Sri Lanka. Une marche pacifique qui a vu la participation du ministre de la Justice mauricienne, Rama Valayden, du ministre des Finances, Rama Sitanen, et d’autres personnalités politiques tant de l’opposition que du gouvernement.
Thivu et Ealaventham ont eux choisi de donner un sens à la mort lente de leur peuple. «La parole est une force et l’espoir de mes semblables réside dans mes mots. Alors que le monde m’entende», ajoute la jeune femme
Dernier développement en date: une pétition et une lettre adressées par un groupe de 38 membres du congrès américain à Hillary Clinton, secrétaire d’Etat. Le groupe veut que la question du génocide tamoul au Sri Lanka soit évoquée au Conseil de Sécurité des Nations Unis. 
 
 
 


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