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Antananarivo; 26 juin: Le mariage des enfants est un phénomène alarmant dans les pays d’Afrique. Madagascar n’en est pas épargné. La Grande Ile s’est pourtant engagée dans la lutte contre cette pratique pour conscientiser parents, éducateurs et la société dans son ensemble sur le respect des droits de l’enfant. «Laissez-nous vivre notre enfance, ne nous mariez pas ». VoilÁ le thème de la campagne lancé au début de ce mois et qui s’étalera sur une période de deux ans.
«Cela devrait être une lutte sans fin car tant que les parents acceptent de céder aux demandes des hommes qui leur font une offre alléchante, ils donneront la main de leur fille », ironise Dominique Rasoavelonoro, enseignante retraitée.
Mais cela ne se pratique pas que dans les familles démunies. L’histoire de Mihanta (nom fictif), âgée de 16 ans, le prouve car elle appartient Á une famille aisée. Cela ne l’a pas empêchée de tomber enceinte. Sa mère est déboussolée par la nouvelle car elle ne s’attendait pas que cela arrive Á sa fille. «Je savais qu’elle avait un petit copain, mais nous n’avions jamais imaginé qu’ils étaient sexuellement actifs et qu’elle tomberait enceinte. Mon mari et moi travaillons pendant la journée et ne rentrons que tard le soir. Le mercredi après-midi, elle reste Á la maison avec notre domestique et je crois qu’elle a profité de notre absence pour avoir des rapports sexuels avec son petit ami. C’est la honte pour nous. Je me sens coupable », s’indigne la mère.
Les parents ont décidé de garder l’enfant car ils ont peur que leur fille perde la vie au cours d’un avortement. Pour sa part, l’adolescente, un peu tourmentée par la situation dans laquelle elle se trouve, dit ouvertement qu’elle est prête Á assumer ses responsabilités de mère. «Je suis en classe de seconde. Dans deux ans, j’aurai 18 ans et perdre une année de scolarité n’est pas si grave car j’ai tout mon temps pour me rattraper au niveau des études, de passer le baccalauréat, d’élever mon enfant et de poursuivre les études universitaires. Je saurais jongler entre les études et le travail s’il le faut », dit-elle avec courage. Mais c’est plus facilement dit que mis en pratique.
Le père de la jeune fille n’a pas encore dit son dernier mot. Il propose que la famille du jeune homme fasse le premier pas par des fiançailles et le mariage traditionnel. «Nous ne voulons pas qu’ils passent au mariage civil car c’est contre la loi. Avec le mariage traditionnel, nous aimerions que le futur père de famille s’imprègne petit Á petit de son devoir. Je ne sais plus que dire car ma fille est une enfant qui va s’occuper d’un enfant », constate-t-il.
Mihanta n’est pas la seule Á vivre ce genre de mésaventure. Dans certaines régions de l’île, le mariage précoce fait partie des us et coutumes. Il appartient aux parents de décider du sort de leur fille et avec qui elle va se marier. Cette dernière n’a pas le droit de refuser même si le prétendant est déjÁ marié et d’un âge avancé.
Selon les statistiques fournies par la ministre de la Population, de la protection sociale et de la promotion de la femme, Onitiana Realy, 41% des filles, soit une fille sur deux se marie avant l’âge de 18 ans et une fille sur neuf se marie entre l’âge de huit et neuf ans Á Madagascar. «Dans les parties Sud et Ouest de la Grande Ile, le taux de mariage précoce avant 15 ans est estimé Á 50% et dans la région d’Analamanga, la situation est alarmante avec une proportion de 35% de mineures mariées avant 15 ans », indique-t-elle.
Le mariage d’enfants est une violation des droits car cela résulte presque toujours Á l’abandon scolaire, Á des filles dépendantes pour tout sur un époux souvent violent et Á l’isolement. De plus, parents et filles ne se rendent pas compte des dangers encourus par une grossesse précoce avec parfois de lourdes conséquences dont des complications au moment de l’accouchement. «Le mariage précoce se présente sous plusieurs formes soit par le moletra, c’est-Á -dire des adolescentes vivant seules dans leurs cases en quête d’indépendance et si elles tombent enceintes, elles sont bonnes Á marier, pratique courante dans la région de Sofia, soit par le tsenan’ampela, ce qui signifie des jeunes filles fréquentant les marchés et les hommes y viennent pour marchander et les acheter, pratique répandue dans le Sud. L’une ou l’autre de ces coutumes a toujours trait aux relations sexuelles. Nous demandons fortement que ces pratiques coutumières s’arrêtent. Nous attirons l’attention des parents pour qu’ils abandonnent toute idée de consentement Á un mariage précoce car les relations sexuelles précoces détruisent les organes sexuels féminins et freinent l’épanouissement des jeunes filles », affirme le Dr Marie Antoinette Rakotondrasoa, technicienne du service de la santé de la reproduction des adolescents au niveau du ministère de la Santé publique.
Le délégué du premier arrondissement de la Commune urbaine d’Antananarivo, Serge Rakotomavo, adresse une mise en garde aux parents. Il déclare que ces derniers doivent respecter la loi stipulant que l’âge matrimonial est de 18 ans pour les deux sexes. «Sauf en cas de force majeure, quand la jeune fille est enceinte. S’ils veulent se marier, ils doivent se munir d’une autorisation émanant du tribunal. De nos jours, nous sensibilisons les parents Á refuser le mariage précoce car qu’ils le veuillent ou non, ils sont impliqués dans le processus et deviennent des complices de détournement de mineurs », argue-t-il. Dans sa juridiction, ce délégué d’arrondissement indique que sur 100 mariages civils enregistrés, 10% sont des mariages d’enfants.
Madagascar qui est signataire du Protocole de la SADC sur le Genre et le Développement est censé se conformer aux dispositions de ce traité favorisant l’égalité des chances Á l’accès Á l’éducation entre les filles et garçons et qui demande aussi aux Etats membres de favoriser le plein épanouissement des jeunes. D’ailleurs, la première dame, Voahangy Rajaonarimampianina, encourage les jeunes Á se concentrer sur leurs études, Á prendre avantage des formations, Á faire du sport pour leur développement physique et Á apprendre Á contrôler leurs impulsions et leurs émotions afin que des actions aux lourdes conséquences ne gâchent pas leur avenir. Les autorités, y compris celles traditionnelles mais aussi toutes les organisations de la société civile de Madagascar devraient mener cette campagne de sensibilisation contre le mariage des enfants pour que les jeunes malgaches puissent mener une vie normale.
Farah Randrianasolo est journaliste Á Madagascar. Cet article fait partie du service d’information de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles Á l’actualité quotidienne.
Comment on Madagascar : Le mariage des enfants, un fait bien réel