Un mardi dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. C’est généralement le jour des travaux parlementaires. Au premier rang se trouvent le Premier ministre et ses Senior ministers. Aucune femme n’est à leurs côtés. Dans les travées à l’arrière, le tableau n’est guère plus brillant. On peut compter le nombre de femmes parlementaires sur les doigts des deux mains. Parmi ces femmes, seulement deux ministres: Sheila Bappoo, qui occupe le portefeuille de la Sécurité sociale et Indranee Seebun, la ministre de la Femme. Ce ne sont pas des ministères clés.
Les derniers chiffres du Bureau central des statistiques sont peu flatteurs. Seulement 17% de femmes parlementaires. Comment interpréter ce manque d’intérêt des femmes pour la chose politique? Si le pays est souvent cité en exemple dans la région pour sa réussite économique, dans le domaine de la représentativité des femmes en politique, il a encore bien du chemin à faire. L’Afrique du Sud, l’Angola, la Namibie et le Mozambique ont atteint l’objectif de la Communauté pour le Développement de l’Afrique australe (SADC) qui est d’avoir une représentation féminine d’au moins 30% au sein de l’Assemblée législative. Au Rwanda, la barre des 50% a déjà été franchie alors qu’à Maurice, on peine pour arriver à 15%.
«La raison est toute simple. Ces pays ont imposé un quota. Il y a tant de sièges que les leaders doivent parfois supplier les femmes à prendre des tickets et pas l’inverse», explique Paula Atchia, porte-parole de la plate-forme Women in Politics (WIN).
La question de quotas n’est pas le seul facteur expliquant la faible représentativité féminine à l’Assemblée nationale. L’ambiance parlementaire y est aussi pour quelque chose. Celle-ci n’est guère «gender-friendly», observe Paula Atchia qui ajoute que «les sujets qui y sont traités sont peu d’intérêt pour les femmes. On parle toujours d’économie, sans que l’on touche vraiment le fond des problèmes qui les intéressent.»
Du reste, elle a l’impression que les politiciennes ne sont pas vraiment prises au sérieux quand elles prennent la parole à l’Assemblée nationale. «On traite cavalièrement les politiciennes vu qu’elles sont en minorité », constate Paula Atchia. James Burty David, responsable de la communication au Parti travailliste (Ptr), ne partage pas cet avis. «Les femmes parlementaires ont le même statut et la même reconnaissance que les hommes siégeant à l’Assemblée nationale. Ce n’est pas exact de dire qu’elles ne sont pas prises au sérieux. Par rapport à leur nombre, les hommes ont certes une présence plus visible dans l’arène politique. Ce qui donne cette impression de se retrouver en milieu machiste», argue-t-il.
Le facteur culturel entrerait aussi en jeu, selon Françoise Labelle, députée du Mouvement militant mauricien (MMM), principal parti d’opposition. «Nous avons certains politiciens pour qui il est difficile culturellement et historiquement de se retirer pour céder la place aux femmes». Paula Atchia ajoute que lever des fonds pour une campagne électorale constitue également un parcours de combattant pour une femme qui voudrait se lancer dans la politique. «Les compagnies gérées par des hommes refusent bien souvent de lui en octroyer», déplore-t-elle.
Les raisons familiales ou professionnelles, quand ce ne sont pas ces deux raisons, sont aussi avancées comme obstacles. «La façon dont la politique se fait et les exigences que requiert une campagne électorale sont souvent une épreuve pour la femme. Ce n’est pas évident pour elle de concilier vie familiale, professionnelle et politique», fait remarquer Nando Bodha, le secrétaire général du Mouvement socialiste mauricien (MSM), autre parti d’opposition.
Françoise Labelle le reconnaît. Faire de la politique demande en effet des sacrifices. La vie familiale est bousculée. La carrière est mise en péril. «La différence peut-être réside dans le fait que le politicien peut se défaire de certaines responsabilités familiales alors la femme ne le peut pas ou le peut moins. Mais l’homme et la femme rencontrent les mêmes difficultés quand ils font de la politique», affirme Françoise Labelle.
Les choses semblent toutefois évoluer dans la bonne direction. Dans les instances des différents partis politiques, des efforts sont consentispour assurer une meilleure représentation des femmes. «Ces trois dernières décennies, il y a eu une nette progression sur le plan de la représentativité des femmes», fait ressortir Françoise Labelle qui dit promouvoir la cause féminine politicienne. Elle déplore néanmoins que les leaders politiques ne fassent pas assez pour les femmes.
Au MSM, on insiste que c’est Sir Anerood Jugnauth, l’actuel président de la République de Maurice, qui a fondé le ministère de la Femme en 1982 et introduit plusieurs législations pour reconnaître et défendre les droits des femmes. Ce parti compte d’ailleurs cinq députées, six femmes au bureau politique ainsi qu’une aile féminine représentée dans les 20 circonscriptions de l’île.
Au MMM, on compte actuellement trois femmes députées sur 11 parlementaires, cinq femmes au bureau politique. Et quatre autres qui viennent d’être nommées au comité central. Dans le camp du Ptr, l’on soutient que le parti est la seule organisation politique qui a inscrit dans ses statuts une représentation de 30% de femmes dans ses instances nationales. «Dans la composition de notre comité exécutif, qui regroupe l’ensemble des circonscriptions, nous respectons cet engagement», explique James Burty David. Et de poursuivre : «À un moment où les préjugés étaient encore vifs, le PTr a fait élire Sherifa Damoo au Conseil municipal de Port-Louis, a nommé Noellie Lachicorée au Conseil législatif et a permis à Radha Poonoosamy d’accéder au poste de ministre sous Sir Seewoosagur Ramgoolam, le premier Premier ministre que le pays ait eu après l’Indépendance. Sous le gouvernement du Dr Navin Ramgoolam, son fils, les deux femmes ministres, Sheila Bappoo et Indranee Seebun, ont été successivement élevées au rang de Grand Officer of the Order of the Star and Keyof the Indian Ocean (GOSK)», fait-il ressortir.
De son côté, WIN poursuit ses rencontres avec des politiciens de tous bords, ainsi que sa campagne de sensibilisation auprès des Mauriciennes. Son objectif : doubler le nombre de députées à l’Assemblée nationale et dans les collectivités locales d’ici 2010.
Mais pour atteindre 30% de représentativité féminine au Parlement, il faudra redoubler d’efforts. «Il faut toujours tendre vers cet idéal. Nous n’y sommes pas encore, mais il ne faut jamais renoncer», insiste James Burty David. Les femmes sont donc appelées à participer à la vie politique de plein droit et en toute liberté.
Il poursuit en disant que s’il reste encore quelques verrous psychologiques ou culturels à faire sauter, il faut que les femmes parviennent à s’en défaire avec détermination. « Quand on est animé de passion pour servir, les obstacles disparaissent». Quant à Nando Bodha, il estime que la seule solution est d’amener une réforme électorale avec un quota fixe de femmes candidates. Nombre qui serait augmenté graduellement. Ce qui obligerait les leaders politiques à faire de la place à un plus grand nombre de femmes dans leurs instances.
Une meilleure représentativité des femmes en politique est donc l’affaire de tous. Elle est révélatrice de l’instauration d’une vraie démocratie où les hommes et les femmes ont une chance égale de participer à la construction sociale. Malgré tout ce qu’ils avancent, les leaders politiques doivent prendre des engagements plus fermes envers les femmes. Mais les femmes doivent également faire montre d’une plus grande volonté de participer aux grands débats liés à la gestion du pays. La population a aussi son rôle à jouer. Dans les joutes électorales, les électeurs doivent voter pour les candidates méritantes et se débarrasser de tout réflexe machiste réducteur.
Avoir une femme à la tête du gouvernement à Maurice relève-t-il d’un inaccessible rêve? Pas si sûr. Mettons tout en œuvre, tous autant que nous sommes, pour que ce rêve se matérialise.
Christina Vilbrin est journaliste à Maurice. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles à l’actualité quotidienne.
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