Santé : les diplômes des médecins mauriciens occasionnent une polémique


Date: January 1, 1970
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Ce qu’il faut comprendre, c’est que jusqu’ici avant qu’un médecin généraliste ne puisse exercer à Maurice, il était exigé de lui qu’il fasse un internat d’une durée de deux ans. Le Conseil de l’Ordre des Médecins a récemment décidé de changer les règles et de ne pas exiger d’internat auprès des médecins détenteurs d’une spécialisation. La législation en vigueur stipule qu’un spécialiste est reconnu après avoir été enregistré comme généraliste. Cependant, vu le tollé soulevé par la nouvelle mesure du Conseil de  l’Ordre des Médecins, cet organisme a fait marche arrière et l’a mise en veilleuse. Une source proche du ministère de la Santé fait part des «réserves» du ministère sur cette question.
  
A un moment où Rajesh Jeetah, le ministre de la Santé, annonce un autre garde-fou pour s’assurer de la compétence des médecins rentrant au pays – ils doivent se soumettre à une évaluation écrite avant d’obtenir leur enregistrement -, cette décision du Conseil de l’Ordre des Médecins est très mal venue. Cet organisme aurait davantage dû se pencher sur les méthodes d’évaluation pour s’assurer du niveau des compétences des jeunes médecins au lieu de s’aventurer à l’aveuglette dans des voies de traverse. D’autant que la majorité des médecins débutants – même les spécialistes – travaillent d’abord aux urgences des hôpitaux (casualty) avant d’être affectés à un département spécialisé.
 
Médecins et consultants des hôpitaux sont unanimes: pas question de mettre en péril des vies humaines en supprimant l’internat. Le porte-parole des médecins spécialistes, Baboo Servansingh, conteste la mesure et refuse de cautionner une telle démarche : «J’ai une responsabilité envers les malades. Je ne peux être complice d’une décision aussi risquée. Il faut être un bon généraliste pour être ensuite un bon spécialiste. L’enjeu est trop important pour que, d’un trait de plume, on mette un terme à l’internat. Dans le contexte local, l’internat est très important et ne peut qu’aider le jeune praticien à parfaire ses connaissances.»
 
Pour bien illustrer ses propos, il y a le cas de Yadhna Gooljar. Souffrant de forts maux d’estomac le 1er janvier dernier, la jeune femme se rend à l’hôpital. Le jeune médecin stagiaire qui l’ausculte estime qu’elle fait une indigestion. Comme Yadhna est accompagnée d’une amie qui est aussi médecin, cette dernière remet gentiment en question le diagnostic de son confrère en affirmant que c’est un ulcère dont souffre Yadhna Gooljar et demande qu’on lui fasse une écographie pour dissiper tout doute. C’est le jeune médecin stagiaire qui a le dernier mot. La malade est renvoyée chez elle sans qu’aucun examen clinique ne lui ait été fait. Les douleurs de Yadhna Gooljar persistent. Elle se tourne vers une clinique privée où après une écographie et d’autres examens approfondis, la présence d’un ulcère est confirmée…
 
Reshmi Santosh est encore plus bouleversée que Yadhna Gooljar après sa visite aux urgences d’un hôpital. L’indécision des jeunes médecins en service ce jour-là ont eu raison de la vie d’un être qui lui était cher. En effet, la jeune femme a emmené sa fille de deux ans à l’hôpital car cette dernière se plaignait de douleurs atroces. Les jeunes médecins, hésitants sur le traitement à prodiguer à l’enfant, n’arrivaient également pas à se décider s’il fallait la faire admettre ou pas. «Je me demande s’il n’y a pas un protocole pour l’admission d’un patient. Ils ont tellement tergiversé que ma petite fille, qui souffrait de gastro-entérite, est morte de déshydratation sévère. Le jeune médecin en service ce jour-là n’avait pas jugé utile de la faire admettre», se lamente cette mère éplorée.  
 
Cette polémique vient se greffer sur une autre qui perdure depuis plusieurs années. En effet, les aptitudes des médecins formés dans certains pays d’Europe de l’Est donnent du fil de retordre au Conseil de l’Ordre des Médecins. Leur formation, jugée insuffisante, ne les rend pas éligibles à un enregistrement. C’est d’ailleurs pour cela que des étudiants en médecine venus d’Ukraine n’ont pas été enregistrés dans un premier temps.
 
«Nous devons effectivement être très vigilants. Certaines de ces universités ne sont pas très rigoureuses. D’une part, elles acceptent des étudiants n’ayant qu’un diplôme de School Certificate et d’autre part, la formation offerte ne répond pas à nos critères, notamment en ce qui concerne la durée et le contenu de leur programme clinique», fait remarquer l’ancien président du Conseil de l’Ordre des Médecins, Uday Ramjuttun. Il estime qu’un certificat d’éligibilité devrait être obtenu de cet organisme avant que toute personne n’entame des études médicales à Maurice ou à l’étranger. De récents amendements à la loi le prévoient mais cette disposition n’a pas encore été appliquée.  
 
Dans les hôpitaux, le niveau de compétences de certains jeunes médecins inquiète les consultants en médecine. «Nous sommes préoccupés par la formation que certains jeunes médecins ont reçue. Cela fait craindre le pire pour la qualité de nos compétences médicales dans vingt ans. Pour l’instant, la vieille garde agit encore comme garde-fou mais que se passera-t-il quand elle sera partie à la retraite?», se demande Mansoor Takun, consultant pédiatrique à l’hôpital de Flacq.
 
C’est en réponse aux inquiétudes des différents consultants en médecine que les autorités ont introduit cette année l’évaluation orale. Celle-ci sera effectuée par des comités indépendants comprenant des consultants en différentes spécialités médicales. Ils évalueront les internes. Lors du premier exercice d’évaluation, plus d’une dizaine d’étudiants en médecine ont échoué. Et ces futurs médecins auraient été à risque de commettre des négligences médicales s’ils n’avaient pas été appelés à revoir leurs copies.
 
C’est pareil pour les étudiants du SSR Medical College – en internat depuis l’an dernier – qui ne cessent de donner des maux de tête aux médecins. A leur décharge toutefois, notent ces médecins qui les jugent, il n’y pas de stage clinique durant leur formation.
 
Le consultant en pédiatrie Mansoor Takun fonde son espoir sur le projet d’évaluation écrite annoncé par le ministre Jeetah : «Ce sera déterminant pour bien cerner la qualité de leur formation. Cet examen est souhaité depuis plusieurs années mais il n’y avait pas de consensus autour de cette question. C’est la seule voie qui peut aider à améliorer le niveau de compétences des médecins.  L’autre objectif de l’évaluation est d’uniformiser la formation offerte par différents pays.» Le Conseil de l’Ordre des Médecins va bientôt finaliser les modalités de cette évaluation écrite, de concert avec le ministère de la Santé.
 
Ce débat sur les compétences des médecins est revenu sur le tapis la semaine dernière quand le Dr Nundun Monebhurrun, généraliste en médecine interne – a jeté un pavé dans cette mare déjà trouble. Ce médecin affirme que le doctorat des spécialistes ayant étudié dans certains pays d’Europe de l’Est n’inclut pas les travaux cliniques. Selon lui, ce doctorat est le résultat d’une thèse sur un sujet de la spécialité mais pas celui d’un travail global sur la spécialité. Il fait même référence au comité issu du Conseil de l’Ordre des Médecins qui a soutenu en novembre dernier que les doctorats délivrés par les universités d’Europe de l’Est ne répondaient pas aux critères du conseil.
 
Sauf que ledit conseil déclare ne pas avoir pas tenu compte de l’avis de ce comité. Dans sa réplique, Rajendra Goordyal, l’actuel président du Conseil de  l’Ordre des Médecins, balaie d’un revers de main les allégations du Dr Moneebhurrun. «Elles sont fausses. Il est de mauvaise foi. Nous avons respecté les critères», déclare-t-il, refusant toutefois d’entrer dans les détails de l’affaire.
 
Il envisage même des sanctions contre le dénonciateur. Pourtant, le Clinical Ordinatura, doctorat en Russie, fait l’objet d’un litige en cour après que le Conseil de l’Ordre des Médecins lui-même ait retiré le titre de spécialistes à trois médecins ayant effectué leur doctorat en deux ans au lieu de trois… Dans un premier temps, le ministère de la Santé a préféré se réfugier derrière le fait que l’affaire était en Cour pour éviter d’avoir à se prononcer. Jusqu’à ce que le ministre Jeetah ne sorte de son silence pour déclarer que les fautifs seraient sanctionnés.
Les médecins qui sont divisés dans ce débat souhaitent une enquête pour faire toute la lumière sur ces allégations. En attendant d’être fixés, il y a de quoi se faire un sang d’encre…
 
Jane O’Neil est journaliste à Maurice. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinion de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles à l’actualité quotidienne.


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