Shirley: Ode au courage


Date: January 1, 1970
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La violence domestique à Maurice, comme partout dans le monde, ne peut se résumer qu’à des chiffres enregistrés par l’Etat ou par des organisations non gouvernementales. Généralement sous-déclarés, ces statistiques ne reflètent pas la réalité car elles sont encore trop nombreuses les femmes qui subissent quotidiennement et en silence les coups de leur conjoint ou petit ami.
 
Elles sont paralysées par la peur des représailles, par le regard souvent inquisiteur des autres, ou tout simplement par l’amour qu’elles éprouvent car elles trouvent inconcevables de dénoncer l’homme qui partage leur vie. Le vécu de Shirley force l’admiration et le respect. Parce que là où beaucoup de femmes se seraient tues, elle a fait entendre sa voix. Là où  beaucoup de femmes auraient abandonné la partie, elle s’est relevée pour tourner les pages d’un passé douloureux et tenter d’en écrire d’autres plus belles.
 
Shirley n’a que 16 ans et est encore à l’école quand elle rencontre et tombe éperdument amoureuse de Rodney*, de quatre ans son aîné. «Nous nous sommes rencontrés en 2001. Au début, tout était rose. C’était le grand amour. Toutefois, il venait de tourner le dos à une histoire d’amour difficile et en conservait de l’amertume. Son ancienne petite amie l’avait trompé et il l’avait très mal digéré. A tel point qu’un jour, il m’a dit qu’il allait me défigurer si j’avais le malheur de commettre la même erreur.»
 
Alors qu’elle est en Form VI, Shirley réalise qu’elle est enceinte. Durant les premiers mois, elle est désemparée puis songe à l’avortement. «Mais je n’ai pu le faire car ma grossesse était trop avancée. Et puis, à l’époque, ce qui comptait pour moi, c’était de réussir mes examens. Et pour donner, une vraie famille au bébé à naître, j’ai été vivre chez Rodney, et ce, malgré l’opposition de mes parents.» En 2006, elle accouche d’une petite fille.
 
Ce qu’elle ne sait pas lorsqu’elle emménage avec Rodney, c’est que ce dernier a déjà eu des démêlées avec la police pour consommation de drogue et qu’il est fiché comme récidiviste. Il finit par se faire arrêter à nouveau pour une énième histoire de drogue. «A l’époque, ma fille n’avait que quatre mois. Après l’arrestation de Rodney, je me suis débrouillée comme j’ai pu, jusqu’au jour où je me suis retrouvée sans le sou et sans rien à manger. J’ai alors réalisé que je ne pouvais plus mener une vie pareille. Rodney se faisait souvent arrêter par la police. De plus, sa consommation de drogue n’arrêtait pas d’augmenter. J’en avais assez. J’ai donc décidé de le quitter. J’ai plié bagage pour retourner chez mes parents. Le temps a passé et j’ai décidé de refaire ma vie avec une autre personne que j’ai rencontrée pendant que Rodney purgeait sa peine d’emprisonnement».
 
Comme il fallait s’y attendre, à sa sortie de prison, Rodney ne l’entend pas de cette oreille. «Lorsqu’il a recouvré la liberté après un an de prison, il est venu me voir pour tenter de me convaincre de retourner avec lui. Il me répétait qu’il avait changé. Mais, j’ai lui ai fait comprendre que je ne pouvais plus continuer à vivre avec lui. J’ai l’ai cependant autorisé à venir voir sa fille quand il le désirait. Il ne voyait pas les choses ainsi. Furieux, il s’est emporté et n’a pas arrêté de me menacer.»
 
Le 7 janvier 2008, Rodney finit par mettre ses menaces à exécution. «J’étais à la gare de Mahébourg quand je l’ai aperçu. Il est venu vers moi et m’a demandé de l’accompagner. J’ai refusé. Face à ma résistance, il a disparu momentanément pour revenir muni d’un sabre. Tout s’est alors déroulé très vite! Avant que je n’aie eu le temps de comprendre ce qui m’arrivait, il m’assénait des coups de sabre pour tenter de me défigurer. Je suis tombée en tentant de me protéger le visage. II s’est alors acharné sur moi. Comme il n’arrivait pas à m’atteindre au visage que je protégeais de mes mains, il m’a sectionné la main droite. Les badauds, choqués par une telle furie, n’ont pas osé intervenir.»
 
Shirley travaille aujourd’hui dans un centre d’appels car elle doit élever sa fille et payer ses études à l’université de Maurice. Elle avoue qu’elle n’aurait pu surmonter ces épreuves sans l’amour de sa fille et le soutien de son nouveau compagnon : «A plusieurs reprises, j’ai pensé mettre fin à mes jours. Mais je n’ai jamais succombé à ces idées noires car j’ai pensé à ma fille et à Sandy, mon nouveau compagnon. Si je m’accroche autant à mes études, c’est également pour eux. Sandy, qui partage ma vie depuis deux ans et moi, avons l’intention de nous marier dans un avenir proche.»
 
Toutefois, ils arrivent difficilement à joindre les deux bouts pour l’instant. Alors qu’elle croyait que l’avenir s’annonçait meilleur, l’Etat mauricien est récemment venu lui porter l’estocade. «J’ai fait des démarches pour obtenir un Carer’s allowance auprès du ministère de la Sécurité sociale.  Mais d’après ce ministère, je ne suis pas éligible à cette allocation d’un montant de Rs 1528, soit environ 45 dollars américains, parce que je ne suis pas alitée. Les médecins de l’Etat m’ont aussi fait comprendre que je ne suis plus invalide à 60%. C’est pour cette raison qu’ils ont décidé de m’enlever ma pension d’invalidité alors qu’elle aurait dû m’être attribuée à vie. Et pour cause, je ne retrouverai plus jamais l’usage de ma main droite! Le salaire que je perçois au centre d’appels sert grandement à rembourser mes dettes. La pension d’invalidité qui m’était versée était comme une bouffée d’oxygène. Il m’est désormais très difficile de subvenir aux besoins de ma fille et aux miens. Je ne sais plus quoi faire! Je vais toutefois me battre encore et encore pour que justice me soit rendue.»
 
Armée d’un courage à toute épreuve, Shirley souhaite que son histoire serve d’exemple. «Le drame que j’ai vécu a fait les choux gras de la presse. Et pourtant, cela rien n’a changé dans ma vie, ni dans celle d’autres femmes. Elles sont toujours victimes de la barbarie des hommes. Ce sera toujours ainsi aussi longtemps que certains hommes continuent à croire que leurs partenaires sont leurs choses et qu’ils peuvent en disposer comme bon leur semble. Il est urgent que ces ‘bêtes’ changent de mentalité! Je ne sais pas comment on devra s’y prendre mais le gouvernement doit mettre un terme aux beaux discours et doit agir.  Qu’il durcisse les lois. Qu’il réintroduise la peine capitale. Qu’il opte pour la torture. Peu m’importe,  du moment qu’on trouve un moyen de faire en sorte que les hommes-bourreaux respectent enfin la dignité des femmes et en particulier de celles qui partagent leur vie.»
 
Même si les propos de Shirley paraissent durs, on ne peut rester insensible face à sa souffrance et à sa détermination de s’en sortir. Son histoire est aussi porteuse d’espérance que l’on peut remonter la pente après un traumatisme aussi violent.
 
*Nom fictif. 
 
Thierry Léon est journaliste à Maurice. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles à l’actualité quotidienne.


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