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Syndicalisme : les femmes peinent Á s’imposer
Date: January 1, 1970
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Cet état de fait est lié à la structure de la société patriarcale dans laquelle nous vivons, estime le sociologue Ibrahim Koodoruth. C’est pourquoi dit-il, «il n’y a pas de prise de position des femmes. Elles ne veulent pas se mettre en avant. La revendication est, selon elles, réservée aux hommes». Ainsi, comme le souligne Radakrishna Sadien, président de la Government Servants Association (GSA) et de la State Employees Federation (SEF), «le syndicalisme a toujours été une affaire d’hommes».
L’expérience vécue par celles qui ont décidé de faire fi de cette construction sociale et des préjugés n’est pas pour les encourager à s’engager. Car, selon Jane Raggoo, secrétaire de la Confédération des travailleurs du secteur privé, «les femmes se heurtent à de forts lobbys lorsqu’elles se présentent aux élections pour des postes décisionnels». Ainsi, elle cite le cas d’une femme qui lui a raconté comment «on» lui a demandé de retirer sa candidature. Au cas contraire «on» ferait campagne contre elle car «ce sont les hommes qui doivent être élus». «Ce qui les intéresse? Le simple fait d’être à la direction d’un syndicat permet de beaucoup voyager et aussi d’être nommés sur des comités», ajoute Jane Raggoo.
La femme se résigne alors qu’elle devrait se battre. Jane Raggoo a son explication sur la chose. Elle concède que l’on ne peut pas «tout mettre sur le dos des hommes» et qu’il faut «se battre pour y arriver». De son côté, la présidente de l’Air Mauritius Cabin Crew Association, Narvada Beenessreesingh, soutient qu’avoir à se battre contre les hommes alors que l’on est entouré d’hommes n’est pas évident. Du moins, pas tous les jours. Jane Raggoo avoue même «avoir eu peur» à ses débuts. Après avoir hésité à faire part de ses opinions, elle s’est lancée et a appris de ses erreurs. «Aujourd’hui, j’ai fait en sorte qu’on me respecte et qu’on écoute mes idées», soutient Jane Raggoo.
Et si on nommait quelqu’un à la tête d’un mouvement syndical par souci d’égalité du genre ou pour une question de parité? Cela ne ferait pas faire avancer la cause, pense Jane Ragoo. «Il faut être compétent, mériter d’être à cette place», soutient-elle. Et Radakrishna Sadien d’ajouter : «Ce n’est pas tout d’accéder à un poste décisionnel. Il faut se mettre à la disposition des travailleurs. Il faut être sans cesse sur le terrain. Ne pas être qu’un vase à fleurs…» Et puis, souligne-t-il, il n’est pas nécessaire d’être président pour être actif. Quelque soit la place que le syndiqué occupe dans l’organisation, il peut aider, contribuer à sa façon.
Une femme et un homme syndicalistes n’ont peut-être pas les mêmes préoccupations. Chacun n’aurait-il pas tendance à défendre ses semblables? Hommes et femmes syndicalistes s’accordent à le nier. Et à dire qu’eux défendent les travailleurs dans leur ensemble et non pas des hommes ou des femmes. Jane Raggoo cite ainsi la lutte menée en grande partie par les syndicalistes hommes pour le droit des mères.
Même si, celle-ci ajoute que «c’est plus facile pour une femme d’être à l’écoute des femmes». Et que «dans la zone franche, par exemple, où il y a plus de femmes, elles auront davantage confiance en une femme. Et puis, une femme syndicaliste encouragera la femme à parler certes de ses problèmes au travail mais aussi des problèmes qu’elle rencontre à la maison. L’homme syndicaliste, lui, se contentera d’aborder les problèmes liés au lieu de travail».
L’on ne peut toutefois s’empêcher de penser que si la femme syndicaliste est davantage à l’écoute, c’est peut-être qu’elle même a du faire face ou fait encore face à des pressions à la maison. Pressions de la part de son époux et de ses enfants pour qu’elle reste à la maison. Elle peut s’entendre reprocher qu’elle «a le temps pour s’occuper d’étrangers» mais pas de sa famille. Jane Raggoo, tout comme Narvada Beenessreesingh, sont d’avis que sans le soutien de la famille, il est difficile de s’impliquer dans la vie syndicale et que tout est une question d’organisation.
Mais si ce soutien, elles ne l’ont pas d’office, ne devraient-elles pas se battre pour l’avoir? Les femmes ne devraient pas se résigner à être celles qui soignent la famille mais qui hésitent à prendre des décisions. Les temps ont changé. Elles sont de plus en plus nombreuses à travailler et contribuent aussi financièrement au ménage. Si elles ne sont pas capables d’obtenir le respect et le soutien au sein même de la famille, il est évident qu’elles n’arriveront pas à l’avoir dans un syndicat et encore moins en société.
Mais parfois, quand elles ont le soutien familial, elles se heurtent à un blocus au travail. De la part de leurs semblables parfois. Odile Henry qui fait partie des derniers licenciés de la zone franche, a bien connu cette réalité. Si au départ, elle voulait se syndiquer lorsqu’elle a pris de l’emploi dans l’usine Shibani Inwear, elle s’est heurtée aux refus de ses collègues. «Mon époux ne cessait de me dire d’intégrer un syndicat. Il m’a toujours poussée en ce sens. Mais chez Shibani Inwear, plus de la moitié des travailleuses ne voulaient pas le faire. Apeurées, elles ont cédé à la pression exercée par leurs époux. Elles comptaient sur les autres pour se battre pour elles», déplore Odile Henry. Leur but était de ne pas faire de vague pour garder leur emploi. Il est vrai, selon Radakrishna Sadien, qu’il n’est pas rare que dans certains secteurs, ceux qui souhaitent se syndiquer soient victimes d’intimidation.
Ce qu’il manque aux femmes, ce sont des modèles. Le sociologue Ibrahim Koodoruth le reconnaît. Il est vrai qu’à part Jane Raggoo, Narvada Beenessreesingh, Lysie Ribot et quelques autres, les femmes qui pourraient servir de modèles sont plutôt rares… Et pourtant, être une femme pourrait s’avérer un atout. Narvada Beenessreesingh, elle-même, dit avoir fait de son statut de femme un avantage. «Une main de fer dans un gant de velours.»
La seule femme figurant dans l’équipe dirigeante d’un syndicat n’est pas pour l’instauration de quotas? «On ne fait pas de progrès comme cela», dit Jane Raggoo. La création d’ailes féminines au sein de chaque mouvement syndical ne serait pas non plus la solution. «Certainement pas ! Cela n’en est pas une», ajoute-t-elle. Jane Raggoo est d’avis qu’il est primordial que les hommes et les femmes travaillent ensemble : «Nous sommes complémentaires.»
Puisque l’on ne peut pas dire qu’un syndicaliste est meilleur qu’une syndicaliste ou vice versa et puisque chacun a ses qualités, il est impératif que le nombre de femmes syndicalistes et de syndiqués augmentent. Pour que l’équilibre des choses soit maintenu. Et surtout pour qu’ils s’associent et qu’ensemble, ils défendent les droits des travailleurs.
Valérie Olla est journaliste à Maurice. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles à l’actualité quotidienne.
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