Anéantir les espoirs et les aspirations


Date: December 2, 2014
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Maurice, 16 novembre: Pourquoi les politiciens sont-ils incapables d’appliquer ce qu’ils prêchent ? Pourquoi signent-ils des Conventions, des Déclarations, des Protocoles, le document émanant de la plateforme d’action de Beijing et les Objectifs du Millénaire pour le Développement lorsqu’ils sont incapables d’y adhérer ? Et ça va même plus loin : pourquoi les partis politiques Á  Maurice ne respectent pas leurs propres Constitutions?

Tant de questions qui demeurent sans réponse.  Autant que je sache, une Constitution est sacrée car elle ancre des lois, des principes et des règles fondamentales, de même que la conduite des affaires d’un pays ou d’une organisation. Il peut y avoir le chaos dans un pays ou au sein d’une organisation sans ce principe d’Etat de droit. Pourquoi les partis politiques ne respectent pas leurs propres Constitutions, cela reste un grand mystère pour moi ?

Le Mouvement Militant Mauricien (MMM) qui se considère comme un parti progressif a sa propre Constitution. L’article 15 de ce document fondamental stipule parmi d’autres choses qu’il existe au sein du MMM une Commission des Femmes dont le but est promouvoir l’émancipation de la femme mauricienne ; elle veillera Á  la représentation des femmes Á  tous les niveaux de l’organisation ; aux élections générales et municipales, le parti s’efforcera de présenter au moins 20 % de femmes. » A moins que je ne sache plus compter mais quatre femmes sur un total de 30 candidates pour les prochaines élections générales ne fait pas 20%. J’étais si confuse que j’ai demandé Á  mon petit fils Yann de refaire le calcul et il confirme que cela fait 6.7% et pas 20%. Ce même MMM qui a pris naissance en 1968 était porteur d’espoirs et d’aspirations Á  l’effet que tous les citoyens de Maurice auraient des droits égaux ! Quels droits ? Des droits faits par les hommes et pour les hommes ?

Le scénario n’est guère mieux du côté du Parti Travailliste dont l’article 17 de la Constitution parle d’équilibre du genre et stipule que « dans toute élection d’un comité ou d’un conseil ou Á  un conférence du parti, pas moins de 30% d’élues seront des femmes et pas moins de 30% seront des hommes ». LÁ  encore, j’ai dÁ» demander de l’aide car j’avais le sentiment de ne plus rien y comprendre. Sept femmes sur un total de 30 candidates, cela ne fait pas 30% mais 23.3%.

Le samedi 15 novembre, la liste des candidates de l’alliance MMM/PTr a été revue et au lieu de mettre une autre femme dans la circonscription no 8 qui est celle de Moka/Quartier Militaire, Jayshree Mohabeer a dÁ» céder sa place Á  Pratibha Bholah, ancienne parlementaire. Probablement pour des raisons ethniques. D’accord qu’Indira Seebun, ancienne ministre de l’Egalité du Genre, est Á  nouveau de la course et remplace un candidat, ce qui fait un total de huit femmes au lieu de sept mais lÁ  encore, cela ne fait pas 30% mais 26.6%. Avec seulement 12 candidates dans l’alliance MMM/PTR, nous sommes loin de l’objectif des 30% de la Déclaration de la SADC sur le Genre et le Développement que Maurice a signée et ratifiée. On n’est qu’Á  20% de cet objectif. De plus, certaines de ces femmes ont été alignées dans des circonscriptions où elles sont totalement inconnues.

Le même jour, soit samedi dernier, l’alliance Lepep a présenté ses candidates. Ivan Collendavelloo, le leader du Mouvement Liberater, un des trois partis de cette alliance, a qualifié les femmes « d’héroÁ¯nes de la scène politique » et a ajouté que les femmes ont du mal Á  se présenter comme candidates en raison de problèmes sociaux. Quelle contradiction ? Pourquoi les appelle-t-on les héroÁ¯nes de la scène politique alors? J’ai la réponse Á  cette question. Parce que les hommes ont besoin d’elles pour se faire élire. Neuf femmes candidates sur un total de 60, ça fait seulement 15% de femmes et c’est une honte. Lorsque l’on additionne le nombre de candidates alignées par les deux alliances, on obtient 17.5% sur un total de 120 candidates. Quelle honte pour un pays qui se positionne comme modèle de démocratie. Les femmes ne doivent pas se laisser embêter par le fait qu’une femme occupera le poste de Speaker ou présidente de la République. Ce sont des postes non exécutifs.

Le 15 novembre 2014 est un jour très triste dans l’histoire du Parti Travailliste fondé en 1936, le plus vieux parti politique Á  Maurice et qui a été un modèle de promotion des femmes. En 1975, ce parti a nommé la première femme ministre, Radha Poonoosamy, qui a occupé le portefeuille des Affaires féminines et des consommateurs.
Des changements sont intervenus par la suite et des femmes comme Sheila Bappoo, élue sous la bannière du Mouvement Socialiste Militant d’abord avant de rejoindre les Travaillistes, qui a été ministre de la Femme depuis 1983 puis ministre du Travail et des Relations industrielles et ensuite de la Sécurité sociale. Maya Hanoomanjee du MSM a été la première femme nommée ministre de la Santé et sa direction a été grandement appréciée. En 1982, Shirin Aumeeruddy-Cziffra, membre du MMM, a été la première femme ministre de la Justice et Attorney General, de même que ministre de la Femme.

En 2011, nous avons eu notre première vice-présidente de la République de Maurice, Monique Oh San Bellepeau. Un an après, on a vu l’émergence de la première femme secrétaire générale du PTR, Kalyanee Juggoo. Elle a été aussi la première femme Á  être nommée adjointe au Chief Whip du gouvernement.
L’approche neutre du genre dans la nouvelle Local Governement Act nous a fait voir que le changement est possible avec de la volonté politique. Ce qui a permis de quadrupler le nombre de conseillères qui est passé de 6.4% Á  26% lors des municipales de décembre 2012.

A l’époque, Gender Links n’arrêtait pas de féliciter le Premier ministre, Navin Ramgoolam, et le ministre des Collectivités locales, Hervé Aimée, pour avoir conjugué l’histoire politique au féminin. Le modèle mauricien est désormais utilisé pour la région. Une délégation du Zimbabwe veut même venir Á  Maurice pour apprendre les bonnes pratiques. L’ébauche du Livre Blanc sur la réforme électorale qui s’inspire de la Local Government Act est très progressive avec son approche neutre du genre pour les candidates aux élections générales. Mais comme ce n’est pas demain la veille qu’il sera présenté au Parlement, les deux alliances électorales auraient pu avoir fait de plus gros efforts en termes de représentativité féminine.

Le seul parti qui mérite d’être félicité est Lalit qui aligne 43% de femmes candidates. Si un parti comme Lalit qui n’a jamais été représenté au Parlement a pu aligner autant de femmes candidates, comment croire que les grands partis traditionnels qui ont toujours eu une forte présence au Parlement ne peuvent pas aligner plus de femmes. C’est même plus difficile pour les femmes figurant dans des partis politiques comme Lalit d’être dans la course électorale. Elles ne reçoivent pas de financement du secteur privé et doivent puiser de leurs poches.

Elles n’ont peut-être pas les finances mais leur volonté politique de voir des changements Á  travers leurs meetings publics et privés peut faire la différence. Elles se battent vraiment pour une cause.
L’exclusion des femmes sapera le progrès, aura un impact sévère sur la démocratie, sur la violence basée sur le genre, sur l’alphabétisation, sur le changement climatique, sur toutes les questions majeures que les femmes rencontrent Á  travers le monde et Á  Maurice.

Pourquoi les ailes féminines des deux alliances majeures ont-elles subitement perdu leurs voix ? Leurs leaders les ont-elles réduites au silence parce qu’elles ont dÁ» mendier leur ticket électoral ? La porte est ouverte Á  toutes les spéculations…

Loga Virahsawmy est l’ancienne directrice du bureau francophone de Gender Links et membre du conseil d’administration de cette organisation non gouvernementale de l’Afrique australe. Cet article fait partie du service d’information de GL.

 


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