Ankasina – Antananarivo : Quand un décès par la peste stigmatise une famille

Ankasina – Antananarivo : Quand un décès par la peste stigmatise une famille


Date: April 29, 2015
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La peste sévit Á  Madagascar, même si on ne peut parler encore d’épidémie car moins d’une centaine de cas ont été enregistrés dans le pays, avec quelques décès Á  la clé. Dans un fonkontany de la capitale, Antananarivo, une famille malgache pleure la perte d’un de ses membres emporté par la peste Á  la fin de l’année dernière. Une tragédie qu’elle n’est pas prête d’oublier surtout que cette disparition a été très médiatisée et est devenue une question d’Etat. En sus d’être affligée par ce deuil, cette famille subit la stigmatisation et le rejet. Même jusqu’Á  présent.

La sÅ“ur de Bakomalala et de Claudia Rasoanandrasana est morte de la peste en novembre 2014. Ce cas identifié dans le fokontany d’Ankasina, un des quartiers populaires de la capitale où la pauvreté est très élevée, a agi comme une alerte et a surtout été un réveil au niveau des autorités sanitaires.

Les deux sÅ“urs se souviennent encore de l’effervescence populaire dans leur quartier ce jour-lÁ . «Les médecins sont venus examiner le corps de notre soeur. Ils ont été talonnés par des agents de santé qui sont venus asperger de puissants désinfectants dans notre demeure et aux alentours. Quelques temps après, deux camions de militaires de l’Etat-Major Mixte Opérationnel de la région d’Analamanga ont débarqué avec des hommes armés pour enlever le corps de notre défunte sÅ“ur qui a dÁ» hélas être emporté de force et enseveli dans un endroit hors du caveau familial », raconte Bakomalala Rasoanandrasana, les larmes aux yeux. Cependant, malgré toutes les manÅ“uvres déployées, elle n’arrive toujours pas Á  croire que c’est la peste qui a emporté sa sÅ“ur.

Si la douleur a été dure pour la famille, la réalité a été plus amère avec le mouvement de résistance des voisins car eux non plus n’ont pas voulu croire que la peste est présente dans leur quartier et que ce mal a tué une personne. On croyait la peste disparue de la capitale depuis de longues années.

Et pourtant, l’Institut Pasteur de Madagascar a confirmé après analyse qu’il s’agissait bien de la peste, d’où l’intervention des militaires pour disposer du cadavre. Les médias ont diffusé l’information d’une manière très alarmante en mettant les familles de la défunte sur les devants de la scène.

Depuis cette exposition, la vie de cette famille a basculé. «Nous sommes victimes de stigmatisation et de préjudice sociaux car les gens ne veulent plus être en contact avec nous. Du coup, nous avons perdu notre activité de subsistance régulière et nous sommes obligés de nous fier Á  des activités irrégulières pour nourrir la famille. Même nos enfants Á  l’école subissent le même sort et sont traités comme des survivants de la peste, appellation que nous devons toujours accepter hélas depuis la disparition de notre soeur », explique Razanadraibe Claudia, qui est écÅ“urée par le rejet qu’elle et les siens subissent.

Cette disparition et l’apparition de la peste ont déclenché le réveil des autorités. Des campagnes de sensibilisation ont été lancées dans le fokontany d’Ankasina. Zoé Ravelonarivo fait partie des agents de santé engagés dans la campagne de dératisation dans ce fokontany. Elle affirme que l’hygiène n’est pas encore une priorité pour beaucoup de ménages qui s’appauvrissent de jour en jour. Elle était présente lors de la récupération du cadavre de la défunte et se souvient encore de la ruée populaire autour de la maison de la famille de la victime. «Je comprends la souffrance de cette famille qui est encore stigmatisée jusqu’Á  l’heure », souligne-t-elle.

La peste est considérée comme la maladie des sales Á  Madagascar. Même si les ordures s’amoncellent dans beaucoup de quartiers – facteur pouvant alimenter la maladie – et que la saleté est hélas une réalité quotidienne et avec laquelle de nombreux ménages doivent composer, la population considère que c’est un honte pour une famille d’avoir un décès causé par la peste ou une contamination Á  la peste.

Et pourtant, les dernières statistiques en provenance du ministère de la Santé indiquent que 84 cas de peste ont été enregistrés dans la Grande Ile entre septembre dernier et avril 2015, avec un taux de mortalité de 24%. On ne peut encore parler d’épidémie mais si rien n’est fait, on en sera lÁ .

La présence de la peste dans la capitale a été un souci de plus pour les autorités et pour ses partenaires. La Banque Mondiale s’est mobilisée et a alloué 12 500 dollars au gouvernement malgache afin que celui-ci mène une vaste campagne de capture des rats dans les quartiers populaires et insalubres de la capitale. «Une quinzaine d’agents ont été formés et sont mobilisés depuis le début de la semaine pour cibler cinq sites par semaine jusqu’en septembre 2015. En même temps, ils sensibilisent la population sur l’hygiène et le ramassage des ordures », explique Dr Alain Rahetilahy, chef de l’unité Peste au sein du ministère de la Santé.

En prenant ainsi les choses en main avec l’aide de ses partenaires, le gouvernement malgache se conforme aux dispositions du Protocole de la SADC sur le Genre et le Développement dont il est signataire et qui demande aux Etats membres de lutter contre la pauvreté et d’offrir des facilités d’hygiène aux femmes comme aux hommes. Mais l’éducation de la population, surtout Á  l’hygiène, demeure une lutte de longue haleine Á  Madagascar. L’actuel président, Hery Rajaonarimampianina, en est très conscient car il a décrété l’année 2015, Année de l’Hygiène et de l’Assainissement.

«Ce n’est pas facile, et cela ne se fera pas en un jour. Mais si tout le monde y participe, nous en arriverons facilement Á  bout », a-t-il dit lors de son discours Á  l’occasion de la cérémonie de présentation de vÅ“ux devant une palette d’invités en janvier 2015. Quelques mois ont passé depuis et tout le monde attend encore la concrétisation de ce plan d’action gouvernemental. Souhaitons que cela ne soit pas que du vent…

Fanja Razafimahatratra est journaliste en freelance Á  Madagascar. Cet article fait partie du service d’information de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles Á  l’actualité quotidienne.


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