Bénin: Femmes chefs de ménages: quand les femmes tiennent le gouvernail!


Date: July 28, 2015
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Cotonou, 24 juillet: Traditionnellement, les ménages sont dirigés par les hommes. Mais cette tendance s’inverse progressivement au Bénin. Petit Á  petit, des Béninoises passent du statut de marginalisées et de dominées Á  celui de responsables des ménages. Appelées «femmes chefs de ménages », elles détiennent le pouvoir de décision économique au sein du ménage et y exercent l’autorité morale. Elles sont 22% de Béninoises Á  être dans ce cas. Parmi ce nombre, un tiers sont chefs de ménages polygames et près d’un quart chefs des ménages monogames.

Parmi ces femmes chefs de ménages monogames, il y en a qui vivent encore avec leur mari. Elles se chargent souvent de toutes les dépenses du foyer Á  cause du faible revenu de l’homme ou lorsque ce dernier se retrouve en situation de chômage. C’est le cas d’Yvette, une femme de 32 ans. « Mon mari est diplômé sans emploi. Il n’arrive pas Á  subvenir Á  mes besoins et Á  ceux de nos deux enfants. Je me suis lancée dans un petit commerce pour pouvoir faire face aux charges de la famille. C’est très dur pour moi ».

Dans la catégorie de femmes mariées unies sous le régime de la polygamie, c’est plutôt l’irresponsabilité du mari qui les contraints souvent Á  prendre les rênes du ménage. Dans la plupart des cas, les époux polygames finissent par laisser leurs femmes, notamment les premières Á  leurs propres charges. Gildas, un garçonnet de 11 ans, issu d’une famille polygame, raconte comment sa mère s’échine seule Á  assurer son éducation «Mon père a cessé de s’occuper de nous depuis qu’il a épousé une autre femme. Il nous a abandonnés et il est parti s’installer avec elle. Maman s’occupe seule de ma sÅ“ur, de mes deux frères et de moi. C’est vraiment difficile pour elle. Parfois ça va mais Á  des moments, nous avons du mal Á  nous en sortir. Si j’étais adulte, j’aurais cherché un emploi pour lui venir en aide car elle souffre ».

D’autres facteurs sont Á  la base du phénomène des « femmes chefs de ménages ». Il s’agit entre autres du divorce et du veuvage. Des femmes peuvent également devenir temporairement chefs de ménage en l’absence de leur mari. L’exode rural ou la migration de l’homme vers des milieux urbains peut donc contraindre la femme Á  diriger le ménage. « Mon mari est allé Á  Cotonou pour gagner de l’argent afin de nous offrir une meilleure situation. Cela a été le début de ma souffrance. J’étais livrée Á  moi-même. Je devrais assumer seule toutes les responsabilités du ménage et assurer l’éducation de nos cinq enfants. Ce n’est pas du tout facile », raconte Ruth Ibidun, rencontrée Á  Akuègba, un village situé dans la commune de Glazoué au centre du Bénin.

Le nombre de ménages dirigés par des femmes est plus élevé dans les zones Á  fort niveau d’éducation. Comme par exemple Á  Cotonou où le pourcentage est de 31%. En milieu rural par contre, les femmes chefs de ménages sont difficilement acceptées par la société. Pour Albert, conducteur de taxi moto, la femme rurale ne doit pas diriger le ménage. «Dans notre tradition, la femme normale est la femme qui se retrouve sous le toit d’un homme. Si elle est veuve et s’oppose au lévirat, ou si elle divorce et garde son indépendance, la famille dans certains cas lui laisse la charge des enfants en guise de punition. Elles se retrouvent donc chefs de ménage. Mais cette situation devrait être exceptionnelle ».

Le lévirat est une coutume selon laquelle les veuves d’un mari défunt deviennent les épouses de ses frères. Cette pratique existe dans plusieurs départements du Bénin. La veuve est soumise aux décisions de la famille et se voit imposer un nouveau mari qui est souvent le frère ou le cousin du défunt. Dans ce contexte, la femme privée de sa liberté de choix, est contrainte d’obéir aux diktats de sa belle-famille sous peine de perdre ses enfants et les biens de son mari, bref Á  ce qui ne contribue pas Á  son épanouissement. La veuve qui décide de quitter la famille de son mari défunt et qui refuse de se remarier devient automatiquement chef de famille. Ce qui l’oblige Á  faire face toute seule Á  l’éducation de ses enfants et Á  leur devenir.

«Suite au décès de mon mari, mon beau-frère voulait hériter de moi, conformément Á  la coutume. Mais j’ai catégoriquement refusé. Il a insisté pendant plusieurs mois sans que je donne suite Á  ses demandes. Et pour se venger, il a cessé de nous fournir des vivres. Comme si cela ne suffisait pas, il revendique actuellement la terre laissée par mon défunt époux. Le dilemme d’une veuve, c’est d’être héritée ou être abandonnée », confie une veuve de 35 ans rencontrée Á  Iganba, un village situé dans la commune de Dassa-Zoumé, département des collines.

En dépit de leurs efforts d’autonomisation, la plupart des femmes qui dirigent leur ménage sont confrontées Á  d’énormes difficultés socio-économiques. Elles subviennent difficilement aux besoins du ménage. Yvette affirme que ses revenus ne couvrent pas les charges et qu’elle est obligée de faire des emprunts pour pouvoir joindre les deux bouts.

Certaines femmes réussissent tout de même Á  s’en sortir malgré leur statut de chef de ménage. Elles développent donc des stratégies pour y parvenir. Ce sont souvent de riches commerçantes. «Je ne me plains pas. Au contraire je suis fière de supporter seule les charges du ménage et de prêter main forte Á  mon mari », soutient El Hadja Nafissath, commerçante au marché Dantokpa Á  Cotonou.

Ces femmes ont beau jouer ce rôle traditionnellement dévolu aux hommes mais les lignes de la domination masculine restent toujours rigides et elles sont de plus en plus vulnérables dans la société béninoise. Le gouvernement béninois devrait en être conscient et prendre des mesures pour les protéger.

Isabelle Otchoumaré est journaliste radio au Bénin. Cet article fait partie du service d’information de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles Á  l’actualité quotidienne.


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