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Cotonou, 25 mars 2015: Sont flagrantes, au Bénin, les inégalités du genre dans la participation au processus décisionnel. Pourtant, il existe un arsenal juridique qui reconnaît l’égalité de la femme et de l’homme. Il suffit pour s’en convaincre, de jeter un simple regard sur la configuration par sexe de quelques institutions du pays.
Sur les 27 ministres qui composent l’actuel gouvernement, seulement quatre sont du sexe féminin. On dénombre deux femmes sur sept membres Á la Cour Constitutionnelle, huit femmes députés pour 83 députés Á l’Assemblée nationale et une femme préfet sur les six préfets de départements. La situation n’est pas mieux au niveau local où on retrouve une seule femme sur 77 maires et 60 femmes élues sur 1435 conseillers communaux. Pour les prochaines élections législatives qui auront lieu le 26 avril 2015, moins de 10% de femmes sont positionnées sur les listes de candidatures et le pire est qu’elles sont placées Á des positions très peu favorables Á leur élection.
La principale cause de cette faible représentation des femmes au sein du Parlement ainsi qu’au niveau local, s’explique par le fait qu’en dépit de leur forte présence dans les mouvements et partis politique, elles ne sont pas nommées Á des postes de responsabilités. Par conséquent, au moment de l’établissement des listes électorales, elles sont très peu prises en compte et lorsqu’elles le sont, elles se retrouvent Á des positions où elles ont très peu de chance d’être élues.
Henri Médrid, acteur politique et expert consultant en éducation et en développement social, estime que les femmes sont entièrement responsables de leur marginalisation. «En politique, tout est question de rapport de forces. Si vous ne faites pas la politique, elle vous fera et vous détruira. Il faut que les femmes se réveillent. La balle est dans leur camp » affirme-t-il.
Eléonore Yayi Ladékan, directrice des Å“uvres universitaires et sociales (D/COUS) au ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, lui fait écho. «Les femmes ne sont pas souvent bien positionnées parce qu’elles n’innovent pas. Il faut qu’elles apportent des idées nouvelles et spéciales, quelque chose de concret car si c’est la même chose que ce que les hommes disent, c’est difficile pour elles de se faire élire ».
Pour Antoinette Dadjo, vice-présidente du Réseau pour l’Intégration des Femmes des Organisations Non Gouvernementales et Associations africaines au Bénin (RIFONGA-Bénin), «c’est une situation déplorable. Cela n’honore pas le Bénin qui se dit portant un pays démocratique. Une meilleure représentativité des femmes dans les instances de décision accélèrera le développement du Bénin et renforcera sa jeune démocratie ». RIFONGA-Bénin est d’ailleurs l’une des organisations engagées dans la lutte pour un meilleur positionnement des femmes sur les listes de candidats aux élections. Dans le cadre du projet «Zenzen » qui vise Á encourager l’égalité femmes-hommes en politique, ce réseau implique davantage des journalistes dans la lutte afin qu’ils s’engagent un peu plus dans la sensibilisation des partis politiques et des femmes elles-mêmes.
L’autre facteur qui explique la sous-représentation des femmes dans le processus décisionnel malgré qu’elles constituent 52% de la population béninoise, est la persistance de préjugés socioculturels défavorables Á la femme. En effet, dans les traditions courantes du pays, on ne conçoit pas que la femme ait une vie publique et qu’elle ait les mêmes droits que les hommes.
«Laissons les pesanteurs Á leur place. Le problème c’est plutôt nos habitudes rétrogrades, notre insouciance, notre indifférence. Il faut miser sur l’éducation des filles », souligne Henri Médrid.
La mise en Å“uvre de l’objectif 3 des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) au Bénin consiste Á promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. A ce niveau, on observe de réels efforts par rapport au cadre juridique de la promotion de la femme, les mécanismes institutionnels de la promotion de la femme et la réduction de la pauvreté. Le fait brut est que les ONG montrent plus de dynamisme que le gouvernement.
Pour appliquer les OMD qui arrivent Á échéance Á la fin 2015, les organisations et associations de femmes ont mis en place un projet dénommé Plateforme des femmes aux instances de prise de décisions au Bénin (Pfid-Bénin). Ce projet vise Á créer une synergie en vue d’assurer une meilleure participation des femmes aux instances de prise de décisions, de développer des actions de plaidoyers et de mobilisation des ressources humaines et financières afin d’assurer une présence pertinente des femmes dans toutes les instances de prise de décisions et de renforcer les capacités des réseaux et associations de la plateforme.
Le mécanisme national chargé des questions du genre est le ministère de la Famille, de la Solidarité nationale, des Handicapés et des Personnes du troisième âge. Il a pour mission, de coordonner les politiques et programmes orientés vers les femmes et les rapports de genre. Sur papier, il fonctionne comme « un espace d’intégration et d’articulation horizontale des interventions du gouvernement relatives Á la problématique de la promotion de la femme dans le développement et l’égalité d’opportunités entre l’homme et la femme ».
Dans l’optique de cette dynamique de la promotion de la femme, le ministère de la Famille a organisé le 6 mars 2015, le premier forum national de la femme béninoise. Pendant deux jours, les participants ont réfléchi sur « la participation des femmes dans les instances de prise de décisions, facteur du développement durable », pour rester fidèle au thème retenu pour la célébration de la 20e édition de la Journée internationale de la Femme au Bénin qui était: Autonomisation des femmes, autonomisation de l’humanité. Selon la ministre de la Famille, Naomie Azaria Hounhoui, ce forum s’inscrit dans un vaste programme d’actions pour améliorer les conditions de la femme béninoise.
La question de l’éducation de la fille en particulier et de la femme en général constitue aussi un prérequis Á la participation des femmes dans les instances décisionnelles. C’est du moins ce que pense le chef d’Etat béninois, Thomas Boni Yayi. Pensée qu’il a exprimée Á l’occasion de la cérémonie d’ouverture du forum national sur la promotion de la femme béninoise. « Les femmes ou les jeunes filles qui ne savent ni lire et écrire, même dans leurs propres langues nationales, ne peuvent pas participer aux prises de décision et restent en arrière », a affirmé le président Thomas Boni Yayi.
Les faibles taux de scolarisation des filles indiquant de façon évidente l’insuffisance de cadres femmes potentiellement candidates aux postes de décisions, restent donc un argument facile, voire un refrain pour justifier la lenteur des réformes propres Á garantir l’équité et l’égalité du genre au Bénin.
En dépit du déséquilibre du système scolaire resté trop longtemps en défaveur des filles, Vicentia Boco, présidente de l’Institut National pour la Promotion de la Femme (INPF), souligne «qu’il ne manque pas de compétences dans ce pays. Le problème, c’est qu’on ne met pas toujours les femmes qu’il faut Á la place qu’il faut ».
Eléonore Yayi Ladékan affirme pour sa part que « Même parmi les femmes analphabètes, il y en a qui ont un savoir-faire Á ce niveau-lÁ et on doit les associer car il y a plusieurs niveaux de prise de décisions ».
Au Bénin, de nombreuses dispositions légales ont été élaborées en relation avec la Constitution de la République pour sauvegarder et protéger le principe de la non-discrimination entre les sexes, l’égalité des droits et des devoirs et l’égalité des chances. Le cadre juridique qui garantit les droits fondamentaux des hommes et des femmes se compose d’instruments tant nationaux qu’internationaux.
Il s’agit entre autres de la Charte Africaine des droits de l’Homme et des Peuples, ratifiée par le Bénin en 1986 et dont l’article 18 fait état de la protection de la famille et particulièrement les droits de la femme et de l’enfant, la Convention sur l’Elimination de toutes les Formes de Discrimination Á l’Egard des Femmes (CEDEF), ratifiée par le Bénin en 1992, la Déclaration de Mexico sur l’égalité des femmes et leur contribution au développement et Á la paix datant de 1976 et le Protocole Á la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples, relatif aux droits des femmes en Afrique datant 2003. Au niveau national, on peut citer la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 et le Code des personnes et de la famille du 24 aoÁ»t 2004.
Malgré ce cadre législatif relativement favorable Á l’égalité entre les femmes et les hommes, les disparités entre les deux sexes sont pourtant notoires. Elles handicapent le développement du pays en général et le respect des droits des femmes en particulier. L’application de ces textes continue Á poser problème. L’ancrage profond de certaines coutumes et habitudes fait que les lois, même adoptées, rentrent trop lentement et très difficilement dans la pratique administrative.
Les hommes doivent reconnaître la valeur de la femme et sa contribution au développement pour lui faire de la place. Ensuite, des stratégies de communication appropriées, conçues pour lever les obstacles de nature non juridique qui entravent la femme dans la jouissance de ses droits, devraient lui permettre de passer de l’étape de reconnaissance consacrée par la loi Á celle d’une jouissance effective. Le Bénin va y arriver. Lentement mais sÁ»rement.
Isabelle Otchoumare est journaliste radio au Bénin. Cet article fait partie du service d’information de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles Á l’actualité quotidienne.
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Comment on Bénin : la femme reste marginalisée dans le processus de prise de décisions