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Cotonou, 8 décembre: L’accès au monde de l’emploi n’est pas facile au Bénin mais il l’est plus encore pour une femme. Le quotidien des femmes en milieu professionnel peut être sujet Á des pressions et le harcèlement fait partie de ces pratiques qui compliquent la vie aux femmes.
Selon la base de données de la Banque Mondiale sur les statistiques du genre, la population féminine du Bénin est de 5 315 341. Dans ce pays, deux tiers des femmes en âge de travailler font partie de la main d’Å“uvre, et plus de la moitié de la main d’Å“uvre employée dans l’industrie des services. Le taux officiel de chômage des femmes est très bas, soit seulement 1%. Malheureusement, les données sur les dimensions du genre de la main d’Å“uvre informelle ne sont pas disponibles. Dans ce contexte, la question du traitement subi par la femme sur son lieu de travail demeure une préoccupation, notamment par rapport au harcèlement dont sont victimes les femmes en situation professionnelle.
Les anecdotes illustrant les situations vécues par les femmes béninoises sont légion, et relèvent pour certains cas du harcèlement sexuel verbal, c’est-Á -dire des blagues Á caractère ou connotation sexuelle, des conversations téléphoniques avec des intentions sexuelles, des propositions sexuelles ouvertement exprimées, l’insistance pour inviter Á dîner après les heures de bureau, des remarques sexuelles sur l’apparence ou l’insistance pour que la vis-Á -vis porte des vêtements provocateurs. La plupart des services commerciaux des entreprises basées Á Cotonou versent dans cette culture d’insister pour le port de tenues provocantes pour les accueils ou pour les sorties avec la clientèle.
Une Béninoise actuellement consultante auprès des Nations Unies raconte qu’alors qu’elle était en train de suivre ses cours de Masters Á l’université et qu’elle était enceinte, un de ses professeurs l’a coincée dans les toilettes et lui a fait une proposition sexuelle. Elle lui demande alors s’il ne voit pas son état de gestation avancée mais ce dernier lui répond que c’est une occasion pour «arroser ». La remarque lui a fait l’effet d’une gifle et même des années après, elle raconte cet incident avec peine, dénonçant ce cynisme dont font preuve certains hommes.
Pour d’autres, c’est carrément des menaces de défavoriser la femme si la faveur sexuelle n’est pas obtenue et si elle l’est, il y a des promotions Á la clé. Sous le couvert de l’anonymat, un cadre du ministère des Transports raconte comment une collaboratrice d’un directeur qui coordonnait un projet a été exclue des missions Á l’étranger pendant plus de cinq ans en raison de son refus de céder aux avances de son directeur. Pour avoir la paix, cette mère de trois enfants a fini par accepter une mission en solo au Canada avec ce directeur. Il dit ne pas savoir comment la collaboration s’est effectuée une fois lÁ -bas mais au retour, une complicité s’était installée et peu après la femme divorçait de son mari. Un exemple qui illustre comment le harcèlement peut se prolonger sur la durée et mener Á des suites incertaines et parfois dommageables aux femmes et Á leur couple.
Bertille confie qu’elle a été victime de harcèlement sexuel par son employeur alors qu’elle travaillait comme secrétaire dans une société privée Á Cotonou. «Je me suis catégoriquement opposée Á sa demande et cela a été le début de mon calvaire. Il m’a alors trouvé tous les péchés de la terre, Á commencer par des retards Á l’arrivée au bureau puis une insouciance dans l’exécution des tâches et d’autres faiblesses. J’ai plusieurs fois subi des humiliations. Mon salaire ne tombait même plus régulièrement ». Ne pouvant plus supporter la situation, elle a fini par démissionner.
Le harcèlement sexuel peut être non verbal, et consister Á montrer des images ou des contenus sexuels, des messages ou lettres Á caractère sexuel ou provocateur, des gestes suggestifs ou même une invasion dans la vie privée sur les réseaux sociaux Facebook, Whatsapp et de nombreuses femmes reçoivent des photos de leurs collègues dans des poses plus qu’explicites.
Au Bénin, heureusement le monde législatif n’est pas resté silencieux face Á ces agissements relevant de la violence envers le genre. C’est pour réguler ce mal que la loi n °2006-19 du 05 septembre 2006 portant répression du harcèlement sexuel et protection des victimes en république du Bénin a été votée et promulguée. Elle définit le harcèlement sexuel comme «le fait pour quelqu’un de donner des ordres, d’user de paroles ; de gestes, d’écrits, de messages et ce, de façon répétée, de proférer des menaces, d’imposer des contraintes, d’exercer des pressions ou d’utiliser tout autre moyen aux fins d’obtenir d’une personne en situation de vulnérabilité ou de subordination des faveurs de nature sexuelle Á son profit ou au profit d’un tiers contre la volonté de la personne harcelée. »
Une position qui signale le sens de fermeté avec lequel la législation béninoise traite ce mal qui agresse l’évolution et la stabilité des femmes au sein des sociétés modernes. Cette même loi dispose «qu’au Bénin, toute forme de harcèlement constitue une infraction et est donc punie par la loi. La qualité de l’auteur ou de celle de la victime ne peut empêcher ou effacer les sanctions. La situation de vulnérabilité de la victime peut résulter de son âge, de son statut social et économique, ainsi que de son état physique ou mental ou de toute autre situation connexe laissée Á l’appréciation du juge. »
On trouve quelques réponses institutionnelles au harcèlement des femmes, essentiellement de la part des organisations non-gouvernementales (ONG). Il y a par exemple RIFONGA Bénin, avec ses activités sur la violence liée au travail, l’Association des femmes juristes du Bénin, qui s’illustre avec ses activités de sensibilisation sur la violence sexuelle et les grossesses dans les écoles. L’ONG WANEP-Bénin, située Á Cotonou, entreprend aussi des activités liées Á la violence au travail. Elle a, entre autres, développé des activités de sensibilisation sur les sanctions des différentes formes de violence envers les femmes et les filles.
La liste des institutions qui se battent pour la protection de la femme au travail, Á travers différentes activités telles que la communication pour le changement de comportement, la poursuite criminelle des auteurs de violence, ainsi que l’assistance aux victimes Á travers la réhabilitation physique et morale et Á travers le soutien psychologique, légal, économique, et social, est longue. Toutefois le chemin reste encore bien long en raison des pesanteurs sociales et la méconnaissance des textes et d’autres outils de répression de cette pratique. Ce qui fait que les Béninoises sont encore empêtrées dans cette situation de violence.
Isabelle Otchoumaré est journaliste radio au Bénin. Cet article écrit dans le cadre de la campagne des 16 jours contre la violence basée sur le genre, fait partie du service d’information de Gender Links, qui apporte des perspectives nouvelles Á l’actualité quotidienne.
Comment on Bénin : Les femmes toujours harcelées sexuellement malgré les instruments juridiques