Bonnes malgaches: une pratique culturelle qui dépanne les plus pauvres


Date: March 6, 2011
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Elles sont des milliers de jeunes filles mais aussi de femmes Á  travailler comme bonnes Á  tout faire Á  Madagascar. C’est pourtant le travail le plus mal payé dans la Grande Ile. Mais dans ce pays, c’est surtout une habitude culturelle que d’employer une bonne Á  domicile. Même les gens pauvres ont des bonnes. Ce qui signifie que ces dernières sont encore plus pauvres que leurs employeurs.

Les bonnes Á  Madagascar sont avant tout des personnes besogneuses et malchanceuses, issues de familles très vulnérables. Certaines sont presque analphabètes, n’arrivant même pas Á  écrire leurs noms. La plupart d’entre elles sont de très jeunes filles qui n’ont pas été au-delÁ  du cycle primaire.

Donc, il leur est impossible de s’insérer dans un milieu professionnel, d’où la raison pour laquelle elles travaillent comme bonnes chez d’autres compatriotes qui vivent aussi en-dessous du seuil de pauvreté. Ces jeunes filles qui font ce travail domestique n’ont pas le choix. A Madagascar, si on ne travaille pas, non seulement on est pauvre mais on meurt de faim ou de froid, quand ce n’est pas des deux.

Certaines de ces bonnes ont plus de chance, si l’on peut parler ainsi, que d’autres car elles ont une couverture sociale, du genre Caisse nationale de prévoyance sociale qui épargne pour elles jusqu’au moment de leur retraite. Mais c’est rare. Ce sont surtout les bonnes employées par des sociétés ou par des gens très riches qui bénéficient de cet avantage mais pour la majorité d’entre elles, c’est la galère.

Certains employeurs les traitent humainement. D’autres par contre les utilisent comme des esclaves. Elles n’ont pas droit au repos, ni Á  une journée de pause. Normalement, ces filles font tout Á  la maison: elles ne font pas que nettoyer. Elles prennent aussi soin des enfants, font le repassage des vêtements, cuisinent, bref, elles dirigent la maison dans son intégralité Á  longueur de journée.

Certains employeurs sont flexibles car ils autorisent la jeune fille qui leur sert de bonne Á  être libre le dimanche afin qu’elle aille aller voir ses parents ou amis ou même qu’elle se rende Á  la messe. Mais de nombreux patrons n’hésitent pas Á  employer des filles venant de la campagne qu’ils exploitent et rétribuent 10 dollars par mois alors que le salaire minimum Á  Madagascar est de 65 000 Ariary, soit environ 32 dollars.

En moyenne, les bonnes malgaches sont payées entre 15 et 25 dollars. Si c’est plus, c’est une aubaine. L’autre avantage qu’elles trouvent dans cet emploi est qu’elles sont hébergées, restaurées et habillées et sont Á  la charge de leur employeur lorsqu’elles tombent malades. Cette façon d’employer des jeunes issus de la campagne a toutefois un effet néfaste sur la population malgache qui se perd et se dépayse. La structure familiale éclate car les jeunes filles passent les trois quarts de leur temps loin des leurs et en ville. Mais entre rester Á  la campagne et remplir son estomac, la deuxième option est toujours préférable.

C’est le cas de Nambinina qui vient d’Ambatolampy, village en pleine campagne. Elle a cinq jeunes sÅ“urs et frères. Leur mère est malade. Seul leur père travaille comme forestier. Il faut que Nambinina travaille pour faire grossir le budget familial et vivre les siens. La totalité de son salaire va Á  ses parents.

Parfois, certains employeurs refusent de verser de l’argent aux parents et préfèrent donner les sous directement aux filles car ils estiment que ce sont elles qui travaillent et qui doivent jouir de leurs salaires. «Je suis contente que l’argent me revienne mais est-ce que je peux me montrer sans cÅ“ur et dépenser cet argent sur moi alors que mes parents n’ont rien Á  manger en brousse et ne peuvent même pas s’acheter des médicaments? C’est dur de se retrouver sans le sou quand on a trimé un mois durant mais je me bats pour la survie de mes parents, » explique Nambinina.

Le cas de Lanto est différent. Mariée et abandonnée par la suite par son mari, elle a deux enfants Á  charge, des filles de neuf et cinq ans, qui ont été placées chez sa mère. Lanto trime comme bonne Á  tout faire et gagne 25 dollars par mois, dont la totalité va Á  sa mère. Cependant, elle rentre chez elle tous les 15 jours et peut ainsi profiter d’un ou de deux jours de congé avec ses enfants.

Une autre jeune fille, Perle, n’avait jamais imaginé qu’elle aurait fini comme bonne Á  tout faire car elle avait démarré des études. Mais la misère l’a forcée Á  ne pas les poursuivre. Elle travaille depuis des mois chez un couple dans le quartier tumultueux de 67 Hectares Á  Antananarivo. Toutefois, elle se dit satisfaite de ses patrons. «Je suis traitée comme un membre de la famille. C’est vrai que je les sers du matin au soir mais je ne me suis jamais sentie esclave. On me respecte. On me paie toujours Á  temps et j’ai droit Á  mes jours de congés. Je travaille dans une famille stable, modeste et respectueuse. Je suis heureuse, même si j’ai d’autres aspirations dans la vie. »

Certains employeurs tortionnaires ont récemment fait la Une des journaux. Une patronne a tué sa bonne Á  force de coups. Une autre a brÁ»lé l’enfant qu’elle faisait travailler. Il n’y a pas eu de suite Á  ces affaires.

Mais il faut aussi souligner que dans quelques cas, certains employeurs se font voler par leurs bonnes. Mamy qui habite le quartier chic d’Ivandry a eu plusieurs bonnes. «Je suis toujours gentil et correct avec elles. Une a disparu Á  la veille de la fête de Noël sans laisser d’adresse alors que je l’employais depuis trois ans et que tout se passait très bien. Elle venait d’Antsirabe. Je ne comprends toujours pas pourquoi elle a subitement disparu. J’en ai trouvé une autre qui n’a fait que 15 jours. Mais contrairement Á  la fille d’Antsirabe, cette dernière est partie en me volant beaucoup d’objets. »

A Madagascar, avoir une bonne reste une pratique culturelle et une façon d’aider les plus pauvres mais encore faudrait-il que l’Etat s’en mêle pour éviter l’exploitation aux jeunes filles condamnées Á  faire ce métier.

Paul Sophonie est journaliste Á  Maurice. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links.

 


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