Centres d’appels: Les Mauriciennes coincées entre opportunités et dures réalités


Date: July 28, 2010
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Ces entreprises, dont la plupart ont comme employeur des investisseurs étrangers, recrutent en masse. Les conditions d’embauche sont assez flexibles. Les critères académiques, qui sont assez rigoureux dans les autres secteurs, ne le sont pas dans ces centres d’appels. Ils cherchent une main d’Å“uvre jeune, dynamique et qui est surtout en quête d’un premier emploi après avoir quitté les bancs du collège.

Mais pour beaucoup de ces jeunes recrues, l’expérience s’avère mauvaise. Elsa, 21 ans, ne veut plus y retourner et préfère rester Á  la maison. «J’ai eu dÁ» mal Á  obtenir mon certificat d’études secondaires et j’ai du refaire l’examen trois années consécutives pour réussir. Mes parents n’avaient pas les moyens de payer davantage mes frais de scolarité et c’est pour cela que j’ai dÁ» arrêter l’école et chercher un emploi. Mon père ne voulait pas que je travaille comme serveuse de restaurant. Alors j’ai cherché du boulot. Je suis tombée sur une annonce dans la presse qui disait qu’un centre d’appels recrutait. Ce centre proposait aussi des formations. »

Elsa a donc postulé et a été recrutée. «Au début, tout était nouveau et beau mais le salaire de base était assez faible. Je ne percevais que Rs 3,500 pour six jours de boulot en semaine, travaillant de de midi Á  22 heures. Je rentrais Á  la maison éreintée tous les soirs. Pour gagner un peu plus, il fallait obtenir des contrats de vente. Ce qui n’est pas toujours facile. Le patron nous mettait souvent la pression et nous insultait. Cela me déprimait. J’ai commencé Á  prendre des antidépresseurs puis de l’alcool et je suis tombée malade. J’ai dÁ» quitter mon emploi, » relate t-elle.

La difficulté Á  travailler dans ces centres d’appels réside dans la culture de l’emploi Á  Maurice. Pour Dany Marie, présidente de la Union of Information, Communication and Related Services, les Mauriciens sont habitués au travail qui commence Á  9 heures et se termine Á  17 heures. Selon la syndicaliste, les femmes n’échappent également pas Á  cette tradition de travail. Dany Marie déplore néanmoins que le gouvernement ne mette pas assez de facilités pour que les femmes puissent travailler en toute quiétude dans ces centres d’appels, surtout que 80 % de l’effectif de ces centres d’appels est féminin.

«Il n’y a aucune facilités pour ces femmes-lÁ . Le gouvernement souhaite qu’elles travaillent et elles le veulent aussi. Mais c’est difficile pour celles qui sont des mamans. Les crèches et autres garderies ferment en début d’après-midi. Le gouvernement aurait dÁ» ouvrir d’autres facilités de ce type qui opèreraient jusqu’Á  tard pour s’assurer que ces enfants soient sous bonne garde le soir pendant que leurs mères travaillent. Actuellement, la femme active qui a des enfants doit payer une crèche pour la journée et assurer une autre forme de garde le soir. Ce qui est impossible dans la pratique si on prend en compte les conséquences financières. »

Dany Marie dénonce également le salaire dérisoire que touchent les femmes dans le secteur des centres d’appels et insiste pour que les barèmes soient revus. «Nous le savons tous, les femmes travaillent plus que les hommes. Outre leurs activités professionnelles, elles ont des responsabilités familiales qu’elles doivent assumer. Le secteur des centres d’appels offre des salaires dérisoires de Rs 3,500 Á  Rs 5000 aux débutants. Les possibilités que ces salaires soient revus sont minces et beaucoup de femmes sont souvent remerciées en fin d’année ou Á  la fin d’une année de service. C’est une stratégie de beaucoup d’employeurs pour ne pas avoir Á  s’acquitter du paiement de primes de fin d’année et aussi une façon de contourner les lois. Et puis, pour gagner de l’argent décemment dans un centre d’appels, on doit se fier aux commissions obtenues sur les ventes, ce qui veut dire que le gagne-pain est hypothétique tous les mois et c’est dur pour ces nombreuses femmes qui veulent pourtant être financièrement indépendantes. »

L’emploi dans un centre d’appels n’est pas sans conséquences sur la vie sociale et familiale de ces femmes. «Elles sont toujours scotchées devant leur ordinateur, téléphone Á  l’oreille. Il n’y a pas de festivités ou de congés particuliers pour elles », souligne Dany Marie.

Jessica habite la Baie du Tombeau et a travaillé pendant sept mois dans un centre d’appels. Elle parle d’insultes et de harcèlement sexuel sur sa personne. « Je serai franche avec vous. Je n’étais pas douée pour ce travail et le patron s’énervait souvent contre moi parce que je ne pouvais concrétiser une vente par téléphone. Après quelques temps, il a commencé Á  me faire des propositions indécentes et j’ai refusé. C’est alors qu’il m’a virée. Je n’ai pas porté plainte parce que ce n’est pas la première fois qu’il fait cela et il n’a jamais été inquiété par la justice jusqu’ici », explique la jeune fille.

Dany Marie reconnait avoir entendu parler de plusieurs cas de harcèlement sexuel dans les médias récemment sur les femmes qui travaillent dans des centres d’appels. «Je ne sais pas si c’est vrai ou pas car je n’ai jamais été mise en face de témoignages concrets. Mais j’invite les femmes soumises Á  ce genre de traitements honteux Á  dénoncer leurs harceleurs. »

Il faut savoir que récemment, les centres d’appels ont commencé Á  employer des étrangers. Les raisons sont cette main d’Å“uvre coÁ»te moins cher mais il y a aussi le fait qu’il est difficile de retenir les employées mauriciennes, qui refusent en général de faire carrière dans ce secteur où il y a pourtant plein d’opportunités mais où les réalités sont trop dures pour elles.

Leevy Frivet est journaliste Á  Maurice. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links.

 


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