CSW 59: “Les femmes sont réduites au silence par les principaux médias »

CSW 59: “Les femmes sont réduites au silence par les principaux médias »


Date: March 13, 2015
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New York, 13 mars: Les activistes du genre attendaient beaucoup des Objectifs du Développement Durable, suite logique des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) qui arrivent Á  échéance en 2015. Or, lorsque les mouvements de femmes et les journalistes qui croient dans la représentation égale de la femme et de l’homme dans les médias ont pris connaissance des ODD, ils ont réalisé qu’aucun d’eux n’a trait au genre et les médias. Les membres de la Global Alliance on Media and Gender (GAMAG), réseau mondial des médias constitué lors d’une rencontre organisée par l’UNESCO en décembre 2013 Á  Bangkok en ThaÁ¯lande, ont décidé d’ouvrir un front et de tout faire pour qu’un ODD soit consacré au genre et aux médias.

Ce sujet a fait l’objet de présentations hier lors d’une session de la 59e conférence de la commission sur la condition de la femme Á  New York. Outre la présence de l’actrice Geena Davis, qui a mené une recherche sur la façon dont la femme est dépeinte dans les émissions pour enfants et dans les dessins animés, l’intervention la plus applaudie a été celle de Colleen Lowe Morna, directrice exécutive de l’organisation non-gouvernementale de l’Afrique australe, Gender Links, qui est aussi présidente du GAMAG. Elle a livré son constat et sa vision.

Il y a 20 ans, alors qu’elle était une jeune journaliste travaillant pour le compte du Women Feature Service, basé Á  New Delhi et qui produisait un journal quotidien sur la conférence des femmes Á  Beijing, le courriel n’existait pas encore. Les journalistes devaient quitter Hourou, ville qui est située Á  environ trois heures de Beijing en autobus pour rallier la salle de conférence principale des Nations Unies afin de pouvoir rédiger et envoyer leurs articles. «LÁ , nous avons découvert qu’il y avait des forces conservatrices variées qui Å“uvraient dur pour réduire les fragiles gains obtenus par les femmes. Tant de choses ont changé depuis mais en même temps, tellement de choses demeurent inchangées ! »

La directrice de GAMAG estime que diverses forces rétrogrades sont encore Á  l’Å“uvre aujourd’hui Á  New York, tentant par tous les moyens de dépouiller les femmes de leurs fragiles gains. Un des gains les plus fragiles est la section J de la plateforme d’action de Beijing qui a trait aux médias et Á  la communication. «Pour des raisons qui nous dépassent, les médias et les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont inexistants dans les ODD couvrant 2015 Á  2030. Le genre et les médias sont totalement invisibles des ODD en dépit des faits ».

Elle a rappelé que depuis 1995, le projet de monitorage global des medias (GMMP) évalue le temps d’un jour les informations relayées par les médias. L’exercice se pratique tous les cinq ans. Le dernier monitorage a indiqué que comparativement au total des sources sollicitées par les journalistes, les sources féminines (les opinions et les voix) n’ont augmenté que de 7%, passant de 17% Á  24%. «Cela signifie que les femmes qui représentent plus de la moitié de la population mondiale, comptent pour moins d’un quart de ceux dont les vues et les voix sont entendues. A une époque où l’on parle de voix égales, de choix et de contrôle pour les femmes, le fait brut est que les femmes sont chaque jour réduites au silence par les principaux médias ».

Citant Agnès Callamard, directrice exécutive d’Article 19 qui fait la promotion de la liberté d’expression Á  l’échelle mondiale, la présidente de GAMAG a rappelé comment celle-ci était devenue subitement impopulaire auprès de la presse nationale anglaise lorsqu’elle a déclaré en lançant le GMPP de 2010 que les médias pratiquent une forme de censure silencieuse. Les médias occidentaux qui pratiquent la censure? C’était impensable. “Oui, la censure. Car autrement comment qualifier cette mise en touche systématique des femmes et les stéréotypes discriminatoires Á  leur égard dans les médias? » Chaque année Á  l’occasion de la Journée mondiale de la Femme, l’UNESCO anime une campagne intitulée Les femmes font l’information et une fois l’an, les médias sont appelés Á  laisser les femmes journalistes planifier, produire, réaliser les informations dans leurs perspectives.

Il y a une dizaine d’années, Gender Links a poussé la campagne plus loin en mettant les rédacteurs en chef au défi d’enlever leur dernière page généralement barrée par des blondes graciles aux yeux bleues et très légèrement vêtues, qui ne représentent pas la majorité des femmes, pour célébrer plutôt les femmes dans toutes leurs diversités – des Noires, des Blanches, des brunes, des élancées, des grosses, des maigres et dans toutes les teintes de leur beauté, quoi que signifie ce mot. «Mon adjointe et moi avons été vertement critiquées par les principaux médias d’une façon qui nous a choquées. Ils nous ont affublées de toutes sortes de noms allant de mamapara, c’est-Á -dire idiotes de la semaine, Á  des lesbiennes incapables de se trouver des maris. Un journal, le Sunday Times, a même fait une éditorialiste écrire un article Á  l’effet que la mère Mac Miche aurait dÁ» vivre sa vie, » a raconté Colleen Lowe Morna, qui a ajouté que pour la première fois de sa vie, elle a dÁ» exhiber son curriculum vitae personnel pour justifier sa prise de position publique.

«J’ai dÁ» faire ressortir que j’étais détentrice d’une maîtrise en communication auprès de l’université de Columbia, une des plus prestigieuses des cercles médiatiques, que j’étais mariée et heureuse en ménage, que j’avais deux filles Á  qui je souhaitais offrir le monde sur un plateau d’argent. J’ai souligné que le fait de donner une voix égale aux femmes comme aux hommes et de célébrer les femmes dans leur diversité est un des règles journalistiques de base que l’on apprend Á  l’université où j’ai aussi appris Á  rechercher toutes les opinions pertinentes Á  chaque article, d’accorder la parole Á  ceux qui sont marginalisés, de défier les stéréotypes, de rechercher ce qui est nouveau et différent et d’établir l’ordre du jour de l’avenir. C’est un argument qui gagne du terrain, même si nous avons encore du chemin Á  faire ».

Depuis la conférence de Beijing et sa plate-forme d’action, les activistes du genre et des médias poursuivent deux vastes stratégies : faire leur propre média : la révolution des technologies de l’information a apporté beaucoup de perversités, d’autres divisions et de nouvelles formes de violence basée sur le genre. «Mais il s’agit d’un espace public que nous pouvons aussi réclamer. A Gender Links, nous avons un programme qui s’intitule Faire les technologies de l’information Å“uvrer pour la justice du genre. De plus en plus, nous vivons dans le monde du journalisme citoyen. La première personne qui est présente sur une scène n’est pas un journaliste mais l’homme de la rue. Cela a été par exemple le cas lors du Printemps Arabe. Nous pouvons envoyer des informations et nous informer Á  travers nos téléphones mobiles. Nous pouvons et nous devons raconter nos histoires. Nous devons tisser notre histoire Á  travers les médias alternatifs qui s’ouvrent Á  nous ».

L’autre grande stratégie est de transformer les médias principaux de l’intérieur. On ne peut remettre en question la domination et l’influence des médias principaux. « A Gender Links, nous avons une devise : ne nous mettons pas en colère, devenons plus intelligents. Les médias, c’est du business. Les femmes constituent 52% des consommateurs des informations, un fait que les responsables des médias commencent lentement Á  réaliser. Faire abstraction du genre n’équivaut pas Á  faire de bonnes affaires. Par exemple, durant la Coupe du Monde en Afrique du Sud, il a été noté que les publicitaires sont passés Á  côté de la plaque lorsqu’ils n’ont ciblé que les hommes dans leurs publicités alors que les femmes constituaient 40% des téléspectateurs regardant les matchs. Nous savons par notre travail auprès de 100 entreprises de presse Á  travers la région de l’Afrique australe qui ont été nommés Centres d’Excellence du Genre dans les Médias que développer des politiques du genre, travailler avec les responsables des médias et former les journalistes pour qu’ils enlèvent leurs visières du genre, peut apporter des changements. Nous savons aussi que les entreprises de presse qui ont choisi de reconnaître l’existence des femmes dans et Á  travers les médias ont récolté des bénéfices qui découlent de toute forme de réactivité au genre. »

Elle estime qu’un des développements les plus prometteurs des deux dernières années est la constitution du GAMAG qui rassemble sous les auspices de l’UNESCO plus de 500 organisations des médias de par le monde. «Elles se sont réunies pour dire que cela suffit maintenant. Elles comprennent les principales associations de diffusion, les instituts de formation des médias, des syndicats de journalistes, des fédérations des femmes journalistes, des instituts de recherches et de plaidoyers. GAMAG demande qu’il y ait parmi les ODD un objectif qui ait trait aux médias et aux TIC et Á  leurs dimensions du genre. Nous demandons aussi qu’il y ait un objectif dédié au genre et aux médias sous l’objectif 5 qui a trait Á  l’égalité du genre. Et nous réclamons aussi que les indicateurs axés sur la liberté d’expression sous l’objectif 16 comprennent des indicateurs du genre ».

Pour conclure, Colleen Lowe Morna a rappelé que lorsqu’un enfant naît, on sait qu’il est vivant quand il émet son premier cri. Les autres questions que l’on se pose alors, c’est est-ce une fille ou un garçon ? « Le genre, les médias, les voix, la communication sont intrinsèques Á  qui nous sommes. Ce ne sont pas des questions secondaires auxquelles nous pouvons répondre en passant dans la course jusqu’Á  2030. Si nous devons démanteler le patriarcat durant les 15 prochaines années, pour reprendre l’expression de Phumzile Mlambo-Ngcuka, directrice exécutive d’ONU Femmes, nous serions bien avisées de mettre la section J au centre de nos débats Á  New York ».

Colleen Lowe Morna est la directrice exécutive de Gender Links et la présidente de la GAMAG. Cet article fait partie de la série spéciale consacrée au CSW59.

 


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