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New York, 14 mars: Qu’est-ce qu’un nom, se demandent souvent certaines personnes. Or, un nom comme une terminologie, peuvent en dire long. C’est le cas d’expressions comme « travail sexuel » et « travailleuses du sexe », utilisées dans le but de «normaliser » la prostitution alors qu’il s’agit en réalité d’exploitation sexuelle et commerciale des femmes et l’équivalent d’une forme de violence Á leur égard. C’est ce que se sont évertuées Á expliquer Natasha Falle, Rachel Moran, Beatriz Elena Rodriguez Rengifo, des personnes qui ont été prostituées dans le passé et qui, sorties de cette impasse, militent aujourd’hui Á visage découvert contre cette violation des droits humains. Elles étaient hier les invitées de la Coalition contre le trafic des femmes lors de la quatrième journée de la 58e conférence de la Commission sur la condition de la femme des Nations Unies.
«Prostitution ou travail sexuel ? Quand la terminologie et la légalisation se heurtent aux droits humains ». Avec un tel thème, il était clair que cette conférence organisée par la Coalition contre le trafic des femmes, dirigée par Taina Bien-Aimée, attirerait du monde. Mais personne ne s’attendait Á ce que la salle du deuxième étage du Church Centre soit remplie comme un Å“uf. Or, tel a été le cas et par des femmes de tous âges. Et c’est dans un silence quasi-religieux que les survivantes susmentionnées ont pu s’exprimer, le débat étant relancé régulièrement par Vednita Carter, survivante et abolitionniste, qui a fondé Breaking Free, association basée dans l’Etat du Minnesota qui secoure et réhabilite les personnes qui ont été prostituées par d’autres.
Pour que l’assistance ait une compréhension plus graphique de la situation, Vednita Carter a déclaré que la majorité des hommes n’iront pas payer pour avoir des relations sexuelles et que dans la pratique, cela ne concerne qu’une minorité d’hommes. « Essayez d’imaginer que vous ayez des relations sexuelles quatre, cinq, six, dix, vingt fois par jour avec votre mari. Le pourriez-vous? » a-t-elle demandé Á une assistance horrifiée. « Maintenant imaginez faire cela avec un étranger ? Qui peut encore penser qu’une femme puisse aimer ça? »
Natasha Falle, Rachel Moran et Beatriz Elena Rodriguez Rengifo ont toutes rejeté les expressions « travail sexuel » et « travailleuses du sexe ». «Lorsque l’on parle du travail sexuel, cela implique qu’il s’agit d’un emploi régulier. Or, la prostitution n’a rien Á voir avec un travail productif. Les femmes qui sont prostituées par leur partenaire ou proxénètes sont maltraitées et violentées. Beaucoup en sortent blessées physiquement quand elles ne souffrent pas de stress post-traumatique et de toutes sortes de troubles mentaux. C’est faire du tort Á une personne qui a été prostituée que d’utiliser cette terminologie. La prostitution est un cercle vicieux », ont tour Á tour insisté ces trois femmes qui ont alors évoqué leur vécu.
Rachel Moran trouve regrettable que des personnes bien intentionnées utilisent ces expressions en croyant faire preuve de respect Á l’égard des femmes qui sont prostituées par d’autres. «Ils croient que c’est les respecter. En fait, involontairement, ils leur font du mal car ce faisant, ils obstruent la vérité et cette vérité est qu’il s’agit d’exploitation sexuelle et commerciale des femmes ».
Vednita Carter a expliqué qu’il n’y a pas de différence entre le strip-tease, la pornographie et l’exploitation sexuelle et commerciale des femmes. «Ce n’est pas parce que le strip-tease et la pornographie sont acceptés qu’ils sont inoffensifs. C’est toujours de l’exploitation sexuelle et commerciale des femmes et des portes d’entrée vers la prostitution car les hommes qui sont lÁ Á regarder ces femmes se déshabiller, sont en train de penser qui ils paieront pour passer la nuit avec eux. Ce n’est pas un jeu. Je le répète, ce n’est pas parce que c’est légal que c’est acceptable. La prostitution signifie que des femmes et des filles sont des commodités qui vont être achetées et vendues. C’est l’équivalent de l’esclavage », a-t-elle dit.
Abondant dans son sens, Natasha Falle a expliqué que la prostitution ne se produit pas que dans les rues. Même quand c’est entre les quatre murs d’un club de strip-tease ou d’un salon de massages, ce sont « toujours des femmes qui sont exploitées sexuellement et commercialement ».
Béatrice Elena Rodriguez Rengifo, qui est originaire de Colombie en Amérique du Sud, a raconté que sa mère l’a emmenée travailler dans un bordel alors qu’elle n’avait que 14 ans parce qu’elle avait eu des rapports sexuels avec son petit ami et qu’elle n’était plus considérée comme « mariable ». Elle a été prostituée pendant des années avant de pouvoir s’en sortir. « L’expression travailleuse du sexe n’est pas exacte car elle masque la réalité de la violence subie. J’ignore qui a inventé cette expression mais elle va Á l’encontre des droits humains ».
Appelées Á dire ce qui doit être modifié dans les législations pour protéger les personnes qui sont prostituées par d’autres et combattre la demande, Rachel Moran a expliqué que la demande peut se résumer Á l’orgasme des hommes qui est une libération physique. « Et au nom de la satisfaction de cette libération physique, nombre de massacres sont commis. Pour arrêter cela, nous devons criminaliser la demande en la pénalisant plus sévèrement ». De son côté, Béatrice Elena Rodriguez Rengifo a ajouté qu’il faut impliquer des hommes dans ce combat contre l’exploitation sexuelle et commerciale des femmes en éduquant les jeunes filles Á respecter leurs corps et aux garçons Á respecter les femmes.
Toutes sont en faveur de la promulgation de lois calquées sur le modèle nordique, c’est-Á -dire que les femmes et les filles qui ont été prostituées et prises en flagrant délit ne soient pas arrêtées mais que les clients le soient. La Suède, la Norvège, l’Islande ont voté et promulgué une loi allant dans ce sens, l’Irlande et la France aussi. «Souhaitons que le modèle nordique s’étende au monde entier ».
Finalement, toutes ont demandé Á UN Women d’émettre un avis officiel par rapport Á l’exploitation sexuelle et commerciale des femmes Á la suite d’une note envoyée en octobre 2013 par cette instance des Nations Unies Á certaines organisations. Dans cette note, la terminologie employée est plus qu’ambigÁ¼e car il y est question de « travail sexuel qui ne doit pas être considéré de la même manière que le trafic ou l’exploitation sexuelle qui sont des abus et des crimes contre les droits humains ». Or, pour la Coalition contre le trafic des femmes et ses invités d’hier, la prostitution est un abus et un crime contre les droits humains. Bien que UN Women ait réagi et expliqué qu’elle faisait dans cette note une «clarification technique » pour rapport certaines ONG, elles veulent d’une position officielle claire. En attendant, elles ont demandé aux femmes dans l’assistance d’envoyer une pétition en ce sens Á cette instance des Nations Unies.
Marie-Annick Savripène est la rédactrice du service francophone de Gender Links (GL). Cet article fait partie de la couverture médiatique spéciale de la 58e conférence de la Commission sur la condition de la femme des Nations Unies, assurée par le service d’information de GL, qui apporte des perspectives nouvelles Á l’actualité quotidienne.
Comment on CSW58 : Exploitation sexuelle commerciale : Pénaliser plus sévèrement la demande