Côte d’Ivoire : Une vague d’enlèvements d’enfants créé la psychose au sein de la population

Côte d’Ivoire : Une vague d’enlèvements d’enfants créé la psychose au sein de la population


Date: February 25, 2015
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Abidjan: Depuis quelques mois en Côte d’Ivoire, on assiste Á  une vague d’enlèvements et de meurtres d’enfants. Ce qui crée une psychose au sein de la population, non seulement Á  Abidjan mais aussi dans des villes de l’intérieur du pays, suscitant émoi et indignation dans les médias et sur les réseaux sociaux qui se mobilisent de plus en plus contre ce fléau.

Lorsque les réseaux sociaux ivoiriens ont commencé Á  relayer des informations faisant état de disparitions mystérieuses d’enfants dans plusieurs régions de la Côte d’Ivoire et qui étaient retrouvés sans vie quelques jours plus tard, de nombreuses personnes pensaient Á  des rumeurs et Á  des montages. Mais lorsque des proches des victimes ont témoigné dans les medias, tout le monde a pris la pleine mesure du phénomène qui s’est amplifié avec le temps.

De décembre 2014 Á  février 2015, la police ivoirienne a traité 25 dossiers d’enlèvements d’enfants dont la plupart ont été tués, parfois même mutilés au préalable. Des photos choquantes d’enfants morts, vidés de leur sang ont même circulé sur les réseaux sociaux. D’autres photos présentaient parfois des enfants Á  qui les meurtriers avaient enlevé des organes. On pouvait même voir des images d’enfants amputés de certains membres et décapités.
« Le samedi 6 décembre 2015, une école m’appelle pour m’informer qu’un enfant portant un kaki a été retrouvé par les pêcheurs Á  Lokoua au bord de la lagune. Je me suis rendu sur les lieux et lÁ , j’ai vu que c’était mon fils. Vous imaginez mon choc et mon désarroi. Sur les photos prises par les pêcheurs, on voit l’enfant couché sur la berge, la tête plongée dans l’eau. (…) Après l’autopsie, on a réalisé qu’aucune partie de son corps n’avait été emportée, mais qu’il a été torturé car il avait des contusions sur le corps et des marques au niveau de l’abdomen qui montrent qu’ils lui ont prélevé du sang », raconte le père d’Aurélien, écolier en classe de CM1 qui a été enlevé au début de décembre dernier devant son établissement scolaire par des inconnus avant d’être découvert mort cinq jours plus tard. La scène macabre s’est déroulée non loin de Yopougon, la plus grande commune d’Abidjan, la capitale.

Qui peut bien se livrer Á  ce genre de crimes odieux ? Quel est leur mobile ? Quels sont les auteurs ou les commanditaires ? Autant de questions qui hantent la population et en particulier les parents de ces enfants. Les Ivoiriens pensent que ces enlèvements d’enfants sont le fait d’hommes cupides se livrant Á  des crimes rituels. «Ce sont des cybercriminels qui pour mieux ensorceler leur victime, offrent du sang humain Á  des marabouts » explique-t-on Á  Abidjan où l’on a récemment découvert le corps d’un élève dont les organes génitaux, le bras droit et la jambe droite et la tête ont été emportés. Le reste du corps a été retrouvé Á  la base navale de Locodjoro, un quartier populaire d’Abidjan.

La population désigne comme auteurs de ces crimes crapuleux mais sans preuve aucune, des délinquants spécialisés dans les escroqueries sur Internet et surnommés les “brouteurs”. Ceux-ci se livreraient Á  des pratiques occultes pour s’enrichir. A en croire d’autres personnes, Á  la demande des marabouts, des cybercriminels font des sacrifices humains pour avoir le pouvoir mystique d’extorquer de l’argent Á  des Occidentaux via Internet. Avoir le pouvoir donc serait Á  l’origine de cette série d’enlèvements et de meurtres d’enfants.

D’autres personnes lorgnent du coté de certains hommes politiques car ces enlèvements, suivis de meurtres, seraient observés Á  l’approche des élections. Et en cette année 2015, la Côte d’Ivoire entre dans un cycle électoral. Ce serait ainsi qu’on assisterait Á  des tueries massives d’enfants. Les mêmes personnes, pour corroborer leur thèse, nous renvoient Á  trois ans en arrière quand un phénomène identique a été observé mais pas aussi médiatisé que ces derniers mois.

Le ministre de la Poste et des Technologies de l’Information et de la Communication, Bruno Nabagné Koné, s’est prononcé sur le phénomène d’enlèvements d’enfants Á  Abidjan et dans certaines villes Á  l’intérieur du pays et qu’il impute aux brouteurs. «On peut se faire des milliards avec les technologies de l’information et de la communication (Tic) et non avec des organes humains. Il faut éviter ces amalgames. Ce n’est pas avec des organes humains qu’on peut gagner de l’argent. Il faut chercher ailleurs la cause de ces meurtres macabres », indique-t-il.

Devant les proportions alarmantes que prennent ces enlèvements, le gouvernement ivoirien a pris une série de mesures. Ainsi, 1500 agents des forces de sécurité ont été déployés autour des zones Á  risque comme les écoles et les forêts. Des numéros verts sont disponibles pour signaler toute disparition d’enfant. Près de 1000 personnes ont été interpellées jusqu’ici dans le cadre d’une enquête sur ces cas d’enlèvements et meurtres d’enfants dans le pays. Ces personnes sont «essentiellement des individus fréquentant les cybercafés et rôdant autour des écoles », affirme Paul Koffi Koffi, ministre de la Défense. Pour l’heure, les autorités n’ont pas établi de lien entre les différents enlèvements mais le ministre a évoqué la piste de «cybercriminels », ainsi qu’une «filière de crimes rituels ».

Un tueur ‘fou’ qui a tenté de décapiter deux enfants avec sa machette est actuellement incarcéré et attend d’être jugé. Le gouvernement tente tant bien que mal de faire face Á  cette situation. Mais le plus difficile demeure les rumeurs. Celles-ci sont largement propagées via des SMS et les réseaux sociaux tels que Facebook et Twitter. Des alertes d’enlèvements d’enfants très détaillées s’y multiplient avec des appels au meurtre aux «tueurs d’enfants ».

La conséquence est que des groupes au sein de la population ont commencé Á  se faire justice par des lynchages de suspects. Rien que sur la base de rumeurs, les personnes suspectées de tuer des enfants sont systématiquement prises Á  partie. Bilan: deux hommes lynchés Á  mort et «Á  tort » selon la police. A Yopougon, un homme suspecté d’enlèvements d’enfants a été passé Á  tabac par une foule en colère. Il doit son salut grâce Á  l’intervention de la police. Présenté Á  la télévision nationale, l’homme porte encore les séquelles de la sévère bastonnade reçue mais sa vie n’est plus en danger. Un autre homme Á  Port Bouet, autre commune d’Abidjan, n’a pas eu cette chance. Il a été lynché Á  mort.

La police ivoirienne ne cesse d’appeler la population au “calme et Á  la retenue”. Elle lui demande de «faire confiance aux forces de sécurité et de défense qui font des patrouilles régulières sur tout le territoire”. Mais c’est peine perdue car il ne se passe pas de jour sans que les medias ne rapportent çÁ  et lÁ  des cas de lynchage de personnes suspectées d’enlever des gamins.

Les mamans de Côte d’Ivoire, regroupées au sein de «Sauvons nos enfants », une structure née Á  la faveur de la situation, paniquent et veulent retirer leurs enfants des écoles où l’on pourrait enregistrer un fort taux d’enlèvements d’enfants. Elles entendent, Á  travers cette action, dénoncer cette pratique odieuse mais également pousser les autorités ivoiriennes Á  traquer les malfrats qui sèment la mort dans les familles. Plusieurs organisations de défense des droits humains sont montées au créneau pour s’indigner de ces actes de barbaries.

Le Réseau Ivoirien pour la Défense des Droits de l’Enfant et de la Femme (RIDDEF) condamne, par la voix de sa présidente, Chantal Ayémou, de tels actes qui ne sauraient être justifiés et qui constituent des violations graves des droits de l’Homme et spécifiquement des droits de l’Enfant « Les enfants, aussi vulnérables soient-ils, ont le droit de vivre, d’aller et de venir librement sans être inquiétés et représentent l’avenir du pays. Nous avons donc le devoir de les protéger et de les éduquer », souligne-t-elle avec force.

Les parents restent vigilants. Même ceux qui n’accompagnaient pas leurs enfants Á  l’école le font désormais. Dans certains quartiers populaires de la capitale économique, des comités de surveillance voient le jour. Ceux qui les animent pensent qu’ils doivent se prendre en charge puisqu’on ne peut pas mettre un policier derrière chaque enfant. On le voit, le phénomène suscite une psychose au sein de la population, qui est gagnée désormais par une sorte de paranoÁ¯a. Dieu seul sait où tout cela s’arrêtera.

Augustin Tapé est journaliste radio et web, spécialisé en genre et coordonateur de site d’information www.newsivoire.com. Cet article fait partie du service d’information de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles Á  l’actualité quotidienne.

 


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