Députés vente Á  l’encan: les politiques mauriciennes déterrent la hache de guerre


Date: September 7, 2011
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La vente Á  l’encan correspond Á  une vente publique aux enchères. Cette expression s’est frayé un chemin dans le landerneau politique mauricien récemment secoué par des turbulences. C’est Pravind Jugnauth, le leader du Mouvement Socialiste Militant (MSM) et ministre démissionnaire des Finances et de l’Alliance au pouvoir, qui l’a utilisée pour dénoncer la défection de Mireille Martin, membre de son parti, fraîchement nommée vice-présidente. Celle-ci a rejoint les rangs de la majorité gouvernementale. Ce faisant, elle a obtenu un maroquin ministériel et est la nouvelle ministre de l’Egalité du Genre. A-t-il insulté une politicienne avec un tel qualificatif? Doit-il lui présenter des excuses ? Ces questions ont déterré la hache de guerre entre les politiques mauriciennes.

La première Á  réagir a été Sheila Bappoo, ministre de la Sécurité sociale et présidente de la Women’s League du Parti Travailliste. Elle a affirmé que «c’est un déshonneur pour la classe politique. Je ne m’attendais pas Á  de telles références en 2011. C’est injuste et insultant de la part d’un leader qui a des aspirations de devenir le Premier ministre de ce pays. Cela porte atteinte Á  la dignité de la femme. DéjÁ  au Parlement dans le passé, il y a eu des remarques sexistes de l’ex-ministre Showkutally Soodhun, également membre du MSM. Pravind Jugnauth et le MSM doivent présenter des excuses Á  Mireille Martin. Je condamne avec force ce langage infect. Cela démontre l’état d’esprit des membres du MSM, qui ont développé une attitude rétrograde Á  l’égard des femmes. C’est inacceptable. Que Pravind Jugnauth retire ses propos! »

Lui donnant la réplique, la député Leela Devi Dookhun-Luchoomun, présidente de l’aile féminine du MSM et ministre démissionnaire de la Sécurité sociale, est d’un avis contraire. Elle estime que c’est l’acte politique qui a été critiqué et non la personne. « Je trouve que Sheila Bappoo est très sélective dans ses arguments. Pourquoi n’a-t-elle pas réagi de la même manière quand son leader, Navin Ramgoolam, a tenu un propos déplacé envers la député Nita Deerpalsing lors d’un rassemblement public le 1er mai. Or dans le cas dont il est question, c’est Mireille Martin elle-même qui a accusé les Travaillistes de tentative de débauchage en lui faisant miroiter des cadeaux et pas même dix jours après, elle rejoignait leurs rangs. Je dis qu’elle est une traître. Pravind Jugnauth a critiqué les transfuges en général comme l’ont fait Mireille Martin et Jim Seetaram en disant qu’ils sont des députés vente Á  l’encan. »

Même si Maurice n’a pas signé le Protocole de la SADC sur le Genre et le Développement, qui prévoit dans ses articles 20 Á  25 l’application d’une variété de stratégies visant Á  éliminer toutes les formes de violences basées sur le genre, ces propos relèvent de la violence verbale.

Celle par qui le scandale est arrivé, Á  savoir Mireille Martin, estime que c’est «chagrinant » que son ancien leader, Pravind Jugnauth, ait «tenu de tels propos Á  l’égard d’une femme ». «Toutefois, je ne descendrai pas aussi bas que lui pour polémiquer sur le sujet », a-t-elle déclaré Á  l’issue de sa cérémonie d’assermentation comme ministre de l’Egalité du Genre. Sa priorité est l’unité et l’épanouissement de la famille, dont les valeurs se perdent de nos jours. « Je me concentrerai sur les mesures pour améliorer la situation de l’homme, de la femme et de l’enfant au sein de la famille, » a-t-elle dit.

Mireille Martin a essayé de faire comprendre son geste avec la déclaration suivante: «Je me suis engagée en politique comme jeune et comme femme pour me mettre au service des autres afin de contribuer Á  la construction d’une société meilleure. Je veux aussi respecter cet engagement. »

Son ex-leader, Pravind Jugnauth, n’en démord pas. Sa démission de toutes les instances du parti qu’il estime qu’elle a troquée contre un maroquin ministériel, constitue un «véritable coup de poignard dans mon dos. Elle avait été jusqu’Á  dénoncer Á  la radio la manière dont certains Travaillistes la harcelaient pour qu’elle rejoigne le camp gouvernemental. Tout cela pour cross the floor quelques heures plus tard ».

Certaines organisations socioculturelles se sont mises de la partie. Selon Jean Marie Richard, « Mireille Martin a été victime de propos que je trouve révoltants de la part du leader du MSM. » Selon lui, de tels propos rappellent des réflexes d’un autre temps, lesquels ont toujours stigmatisé le Créole et la femme créole en particulier. « Il se peut que Pravind Jugnauth ait perdu son sang-froid. Mais il sait ce qu’il a Á  faire dans ce genre de situation », a-t-il fait ressortir.

Les activistes du genre pensent que les femmes politiques feront la différence. Or, lorsque l’on considère la défection de Mireille Martin, on est loin du compte. Le fait brut demeure que bien que Maurice ne soit pas signataire du Protocole de la SADC sur le Genre et le Développement qui demande aux Etats-membres d’aligner 50% de femmes dans toutes les instances de décision, le pays a en 1997 signé la Déclaration de la SADC sur le Genre et le Développement qui demande Á  tous les Etats membres d’avoir 30% de représentation féminine au Parlement. Or, 14 ans après la signature de ce document, les femmes ne sont représentées qu’Á  18.1% au Parlement et Á  6.4% au sein des administrations régionales. L’affaire Mireille Martin doit nous rappeler qu’il nous faut désormais nous atteler Á  cette sous représentation féminine dans les instances de décision…

Jimmy Jean-Louis est journaliste Á  Maurice. Cet article fait partie du service d’opinions et de commentaires de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles Á  l’actualité quotidienne.

 


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