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Cotonou: Elles sont en quête d’une dignité par le travail mais sont exposées Á toutes sortes de violences. Les travailleuses migrantes sont plus que jamais vulnérables. Elles ne bénéficient d’aucune protection juridique. La fragilité est donc une évidence pour ces femmes de plus en plus présentes dans les mouvements migratoires au Bénin. La majorité des migrants béninois en provenance du sud sont de sexe féminin, soit 51.5%. En moyenne 27% de la population des femmes migrantes ont entre 20 Á 30 ans. Cela prouve bien que ce sont des jeunes qui migrent le plus.
John, conducteur de poids lourd, rencontré sur un parc de Cotonou, affirme que ses collègues et lui sont habitués aux sollicitations de ces migrantes qui demandent leur assistance. Elles viennent de différents pays de la sous-région et rejoignent le Bénin avec peu de moyens de subsistance.
Il existe deux types de migrantes : les locales qui se déplacent des milieux ruraux vers les milieux urbains et les migrantes transnationales. Dans la plupart des cas, la migration est motivée par la pauvreté, le manque d’opportunités au niveau local et l’idée que les perspectives d’emploi sont meilleures en ville ou dans le pays de destination.
Juliette, qui est de nationalité camerounaise, est serveuse dans un bar Á Dèkoungbé, quartier populaire de Cotonou. Entre deux services, elle nous explique qu’elle est venue Á Cotonou par voie aérienne et qu’elle espérait se faire de l’argent, même si depuis un semestre qu’elle est lÁ , elle n’a pu trouver ces fameux emplois bien rétribués qu’on lui vantait alors qu’elle était encore au Cameroun. Elle se vante pourtant d’être l’une des rares Á avoir obtenu un passeport et d’autres documents officiels avant de gagner le Bénin, contrairement Á une de ses collègues, Martine, une Togolaise, qui ne détient aucune pièce d’identité mais qui travaille depuis plus d’un an dans différents bars et boites de nuit de la ville.
Clarisse, Ivoirienne d’une région rurale, espérait quant Á elle mobiliser les moyens nécessaires pour ouvrir un salon de coiffure. Mais depuis plus d’un an et demi, elle va de bars en bars et admet ses difficultés Á réaliser ses rêves dans le secteur.
Les femmes et filles migrantes se concentrent donc principalement sur la recherche d’une activité génératrice de revenus et sur la pratique du commerce (59%) afin d’améliorer leur situation économique. Elles sont souvent dans la restauration ou encore les bar-restaurants ou dans le secteur informel en tant qu’employées de maison, travailleuses agricoles et travailleuses sexuelles. Ce qui prouve bien que la migration féminine est liée Á la recherche du mieux-être ou Á la volonté d’exercer une activité rémunératrice. Mais elles sont nombreuses Á se retrouver dans des emplois mal rétribués et précaires.
Non scolarisées ou déscolarisées, elles sont sans qualifications professionnelles, ni formations. Un statut qui ne leur permet pas d’offrir un service de qualité Á des employeurs de plus en plus exigeants. Et Agathe, une propriétaire de bar-restaurant Á Cotonou, traite la plupart des filles qu’elle emploie de «paresseuses. Ce qui explique pourquoi les employeurs leur offrent un salaire dérisoire ».
Le plus désolant dans la situation de ces migrantes, ce sont les violences qu’elles subissent. Du fait de leur vulnérabilité, elles font face Á des violences et Á du harcèlement sexuel et comme elles sont solitaires, elles sont Á la merci d’exploiteurs, d’un manque de protection juridique et ont un accès limité aux autres services de protection.
Amina, une jeune migrante venue de Djougou au nord du Bénin, raconte sa mésaventure: «Je travaillais dans un ménage Á Cotonou comme domestique et je gagnais un peu d’argent que j’envoyais au village. Mais la source de mon malheur a été le mari de ma patronne. Il me forçait Á avoir des rapports sexuels avec lui. Quand je refusais, il menaçait de me renvoyer. Ce qui fait que je n’ai jamais eu le courage d’informer ma patronne de son manège ». Ne sachant plus Á quel saint se vouer, elle a dÁ» s’enfuir.
John, le conducteur de poids lourds, avoue avoir été témoin de scènes de harcèlement sexuel Á l’égard des migrantes. « A plusieurs reprises des collègues ont profité de la faiblesse des jeunes migrantes en leur demandant des faveurs sexuelles en lieu et place des frais de transport. » Il raconte aussi comment « les douaniers et autres hommes en uniforme abusent de ces migrantes » alors que certaines d’entre elles, par peur de représailles, préfèrent vendre leurs charmes, courant le risque d’être infectées au VIH/SIDA.
Ces migrantes sont vulnérables. Et pourtant le ministre béninois des Affaires étrangères, Nassirou Arifari Bako, est conscient que «les travailleurs migrants, en tant qu’acteurs individuels des relations transnationales, constituent un facteur de promotion et de brassage interculturels aussi bien qu’Á travers les flux migratoires qu’Á travers les valeurs dont ils sont porteurs en termes de facteurs de développement au bénéfice aussi bien des pays d’accueil que des pays d’origine ». Il l’a exprimé le 18 décembre 2014 Á l’occasion de la célébration de la quinzième édition de la Journée internationale des migrants.
Mais malgré qu’elles contribuent d’une façon ou d’une autre au développement du Bénin, ces migrantes sont laissées pour compte. Bon nombre d’entre elles n’ont pas accès aux soins appropriés de santé sexuelle et reproductive, ni Á d’autres services de santé. Ceci en raison de leur statut d’immigrante clandestine, de l’absence d’une assurance médicale, d’obstacles culturels ou linguistiques ou encore d’un manque d’information sur les services disponibles.
Conscient de l’ampleur de la situation, le ministre Nassirou Arifari Bako souligne que «le phénomène de migration nous concerne tous. L’autochtone d’aujourd’hui a dÁ» être un migrant hier. Et c’est pour cela que nous devons relativiser un certain nombres de contextes, de complexes et de situations qui malheureusement conduisent Á l’exclusion, Á la violence et Á des situations parfois irrémédiables ». Face Á ce phénomène, le ministre invite les uns et les autres Á se concentrer sur les différentes potentialités de l’emploi des migrants et sur leurs conditions de vie.
Les lois et les politiques devraient s’appliquer non seulement aux personnes Á l’étranger, mais aussi aux migrants et aux personnes de retour au pays. Par ailleurs, il est nécessaire que les établissements de santé mènent des actions d’approche communautaire pour identifier les travailleuses migrantes et leur venir en aide.
Parmi les lois qui protègent les migrants au Bénin, on peut citer par exemple le décret n °2006-066 portant réglementation de l’hébergement des étrangers en République du Bénin. Le pays a également ratiï¬é la plupart des conventions internationales de protection des droits de l’Homme et des travailleurs. Parmi celles-ci, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination Á l’égard des femmes, ainsi que 31 conventions de l’Organisation Internationale du Travail incluant la Convention C 143 sur les travailleurs migrants. Le Bénin a également signé la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Toutefois, Á ce jour, cette Convention n’a pas été ratiï¬ée.
Au niveau régional, quatre Protocoles additionnels ont été adoptés entre 1975 et 1980 où il est notamment dit que les ressortissants des Etats membres de la communauté bénéï¬cient de l’égalité de traitement avec les nationaux s’agissant de l’accès au marché du travail et du bénéï¬ce des droits sociaux. Ces Protocoles contiennent également des garanties contre l’expulsion.
Le Bénin dispose également d’un cadre stratégique et institutionnel régissant la migration. En l’absence d’une politique nationale clairement définie de gestion des migrations, la Déclaration de politique de population (DEPOLIPO), adoptée en 1996 et révisée en 2006, fait office de cadre stratégique. Son application relève de l’ensemble des ministères sectoriels, de la Commission nationale des ressources humaines et de la population (CNRHP) servant d’instance de coordination et de suivi. La DEPOLIPO et son cadre institutionnel de suivi semblent toutefois méconnus de nombreux acteurs en charge de la gestion des migrations au Bénin.
Pour Nassirou Afagnon, chargé de bureau de l’Organisation Internationale des Migrations (OIM) au Bénin «les migrations constituent une dimension de la mondialisation et du développement. Elles doivent être au cÅ“ur de tous les programmes de développement après 2015 ».
Une mesure importante pour assurer l’accès des migrantes aux services de santé consiste en l’application des lois et des politiques de protection qui assurent la non-discrimination envers les migrants et l’offre de programmes d’éducation des prestataires qui reconnaissent le degré de risque de violences auxquelles elles sont exposées.
Dans cette optique, la question de la protection sociale des migrantes doit être considérée comme une question de droits citoyens et de justice sociale et occuper une place plus importante dans la réflexion des chercheurs, dans les politiques publiques et dans les actions de la société civile et des syndicats. Chaque acteur doit jouer sa partition. La migration n’est pas un péché. C’est l’ignorance des droits du migrant qui en est un.
Isabelle Otchoumaré est journaliste au Bénin. Cet article fait partie du service d’information de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles Á l’actualité quotidienne.
📝Read the emotional article by @nokwe_mnomiya, with a personal plea: 🇿🇦Breaking the cycle of violence!https://t.co/6kPcu2Whwm pic.twitter.com/d60tsBqJwx
— Gender Links (@GenderLinks) December 17, 2024
Comment on Femmes et migrations au Bénin: l’herbe est rarement plus verte ailleurs!