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Les grossesses précoces sont en passe de devenir un fléau social au sein des communautés de base malgaches. Toutes les parties concernées, Á savoir les parents des jeunes filles, les pères biologiques et les jeunes filles elles-mêmes ignorent dans la plupart des cas que les grossesses précoces constituent une forme de violence basée sur le genre. En effet, en acceptant d’épouser ces jeunes filles qui ne sont pas encore nubiles ou qui le sont Á peine, les jeunes hommes concernés commettent l’équivalent d’un viol sur mineure. D’autres parents ferment les yeux sur les dangers potentiels pour la santé de leurs filles et acceptent un mariage arrangé car ils ont surtout les yeux rivés sur la dot qu’ils empocheront. Ce faisant, ils deviennent des complices de cette forme de violence. Les jeunes filles quant Á elles ne voient que leur statut de futures mères de famille, abandonnant leurs études.
Les traditionnalistes associent cette notion de mariage et de grossesse précoces aux pratiques culturelles en vigueur dans certaines régions de la Grande Ile. « Dans la partie nord de Madagascar, par exemple, les parents ne sont pas intéressés Á ce que leur fille se marie. Si celle-ci tombe enceinte, ils ne cherchent pas Á savoir qui est le père. Le fait que leur fille porte un enfant est ce qui compte le plus dans cette communauté. Cela veut dire que leur enfant est une femme capable de concevoir et c’est ce qui est valorisé, » explique la sociologue Ambinina Ramanantsoa.
Dans la région rurale Sofia, les jeunes filles sont actives sexuellement dès leur puberté. Dans le district de Mandritsara, les adolescentes accouchent de leur premier enfant quand elles sont dans la tranche d’âge des 12 Á 15 ans. Monica, âgée de 16 ans, est enceinte de son deuxième enfant. Elle a accouché d’un premier fils Á 14 ans. « J’ai abandonné l’école alors que j’étais en classe de cinquième car je me suis amourachée du père de mon enfant. Nous avons décidé de nous marier de façon traditionnelle: sa famille devait faire don d’un zébu Á la mienne mais elle n’a rien offert au final. Lasse d’attendre cette dot, j’ai quitté le père de mon enfant et j’ai refait ma vie avec un autre homme. J’attends un enfant de mon deuxième compagnon », raconte-t-elle. Pour subvenir aux besoins de ses enfants, cette jeune femme pratique l’agriculture, surtout qu’elle ne sait pas si le père de son deuxième enfant va l’épouser ou non.
Laurencia, une collégienne de 15 ans, qui habite la commune urbaine de Mandritsara, a abandonné l’école en classe de cinquième. Elle mentait Á sa mère et celle-ci a découvert la grossesse de sa fille alors qu’elle écoutait une émission radiophonique sur la chaîne nationale. Laurencia y donnait une interview et sa mère a reconnu sa voix. « Je l’avais vue flirter avec un garçon et elle m’a dit qu’elle voulait emménager avec lui. Je le lui ai interdit ce mode de vie car une mineure est toujours sous la protection de ses parents et n’a donc pas le droit de quitter le cocon familial avant d’être majeure et d’avoir une situation stable. LÁ , je suis tombée des nues car je ne savais pas qu’elle était enceinte de trois mois et qu’elle avait abandonné l’école alors que je m’acquitte des frais de scolarité pour elle. En retour, elle me réserve ce genre de surprise, c’est inadmissible », dit cette maman, des larmes roulant dans ses yeux. Elle reproche surtout Á sa fille son manque de confiance et de franchise Á son égard alors que celle-ci s’en est ouverte Á des amies.
Dans cette localité comme dans d’autres zones rurales, les familles vivent dans la pauvreté. Quand les jeunes filles grandissent, elles ne se concentrent plus sur leur scolarisation. Les parents les marient Á des jeunes hommes pour une dot sous forme de zébus ou pour une modique somme en Ariary, monnaie nationale. « Ils osent sacrifier l’avenir de leurs filles. Pourtant, les corps de ces adolescentes ne sont pas assez développés pour supporter une grossesse. C’est ce qui explique les complications obstétricales, les avortements spontanés, les fistules etc. J’ai opéré une jeune fille de 12 ans et pratiqué une césarienne sur une adolescente de 13 ans. Cette année, j’ai pris en main 110 cas de grossesses précoces », relate le Dr Adrien Ralaimiarison, directeur général de l’hôpital Vaovao Mahafaly de Mandritsara dans la région Sofia. Lorsque les complications sont extrêmes, notamment lorsque le fÅ“tus meurt, les médecins sont obligés de recourir Á l’ablation de l’utérus pour éviter une septicémie Á la mère. Et une fois cette intervention pratiquée, les jeunes femmes ne peuvent plus enfanter. Tout cela explique les souffrances qu’endurent les jeunes mères.
Malgré cette situation, les parents ne réagissent pas. Ils préfèrent arranger un mariage avec la famille du père biologique que de le dénoncer Á la police pour rapports sexuels avec une mineure. Ils ignorent que la législation n’autorise le mariage légal qu’Á partir de 18 ans.
Madagascar a signé et ratifié le Protocole de la SADC sur le Genre et le Développement qui demande Á ce que d’ici 2015, toutes les formes de violences basées sur le genre dont les mariages précoces, soient réduites de moitié. Ce document demande aussi aux Etats membres que les filles puissent être scolarisés et terminer leurs cycles éducatifs au même titre que les garçons afin qu’elles puissent être autonomes financièrement Á l’avenir. En tant que futures actrices du développement, les jeunes filles malgaches sont appelées Á s’épanouir et Á contribuer Á l’essor de leur pays. « Les leaders traditionnels doivent ouvrir leurs yeux, compte tenu des dangers des grossesses et des mariages précoces. Il leur appartient de sensibiliser les chefs des fokontany et les maires afin de faire bannir le mariage précoce dans les localités lointaines. Il est inconcevable de voir une enfant enfanter et élever un bébé, un rôle qui devrait revenir Á une adulte mature et responsable de ses actes », estime Sophie Ravelomanantsoa, animatrice d’une émission radiophonique sur la chaîne nationale.
S’il est bon de réhabiliter les jeunes filles qui survivent aux grossesses précoces, il vaut mieux aborder le problème des grossesses et mariages précoces en amont afin qu’elles puissent terminer leur scolarité et prendre leur vie en main comme des adultes responsables.
Farah Randrianasolo est journaliste Á Madagascar. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links.
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— Gender Links (@GenderLinks) March 5, 2025
Comment on Grossesses précoces Á Madagascar : une autre facette de la violence basée sur le genre qui a toujours cours