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Maurice, 8 juillet: Il est un fait que dans le monde du travail, plus on monte dans la hiérarchie, moins les femmes sont présentes. Ce phénomène s’observe dans tous les secteurs, sans distinction, et dans de nombreux pays. C’est lié au fameux “plafond de verre”, barrière invisible empêchant les femmes d’atteindre des postes de direction et héritage de préjugés et de stéréotypes propres aux sociétés patriarcales.
Mais il n’y a pas que le plafond de verre. Il y a aussi ce que les Canadiens qualifient de « plancher collant », expression désignant les freins que les femmes se mettent elles-mêmes en se trouvant toutes sortes d’excuses pour ne pas faire acte de candidature et remplir un poste important.
Dans son livre intitulé « En avant toutes », Sheryl Sandberg, ancienne vice-présidente du Global Online Sales and Operations Á Google, qui est depuis aoÁ»t 2013 Chief Operating Officer Á Facebook, explique que « les femmes se sous-estiment constamment. Plusieurs études et dans divers secteurs révèlent que les femmes jugent leur travail de façon nettement plus défavorable qu’il ne l’est en réalité alors que pour les hommes, c’est le contraire qui se produit ».
Gunneeta Aubeeluck, première femme nommée assistante commissaire des prisons Á Maurice, ne s’est mis aucune limite lorsqu’elle a rejoint le service pénitencier en 1987 après avoir été embauchée comme Recuit Female Officer. Elle a gravi les échelons au fil des années avec une bonne dose de persévérance. Après avoir occupé toutes les fonctions au sein du milieu pénitencier, elle écrit aujourd’hui une nouvelle page de sa carrière mais aussi de l’histoire carcérale de Maurice. Car c’est après 127 ans d’existence que le service pénitencier nomme une femme assistante commissaire des prisons. A 50 ans, c’est un exploit.
Cette nomination va dans le sens de l’article 12 du Protocole de la SADC sur le Genre et le Développement qui encourage les Etats membres Á assurer une représentativité égale d’hommes et de femmes Á des postes de décision dans les secteurs public et privé d’ici 2015. Et même si Maurice n’est pas encore signataire de cet important instrument régional, le pays se conforme Á bon nombre de dispositions de ce Protocole.
La nomination de Gunneeta Aubeeluck est clairement une victoire de l’égalité du genre dans le monde du travail. Pourtant, rien ne laissait présager qu’elle allait un jour accéder Á un tel poste. « Tout a commencé lorsque j’ai postulé pour devenir Senior Cadet Officer. C’était un poste qui était uniquement réservé aux hommes. Mais je ne n’étais pas au courant de ce petit détail quand j’ai envoyé ma candidature. Une de mes collègues en a fait autant en ne sachant pas non plus qu’il en était ainsi. Nous avons été deux femmes Á postuler. Ce n’est qu’après avoir été interviewées pour le poste en question et après que nos candidatures aient été retenues que nous avons su que le poste était en fait au départ réservé aux hommes », explique Gunneeta Aubeeluck qui démarre alors une nouvelle aventure au sein de la prison.
C’est une nouveauté dans la mesure où Á l’époque, les Recuit Female Officer n’avaient pas accès Á la prison des hommes. « On ne pouvait même pas visiter cet espace. On devait rester dans le bloc réservé aux détenues. Mais en devenant Senior Cadet Officer, j’ai eu accès Á l’ensemble de la prison, dont celle des hommes », se souvient-elle avec une précision déconcertante car elle n’a pas oublié la tournure prise alors par sa carrière.
Après sa nomination comme Senior Cadet Officer, elle parcourt les prisons de l’île pour parfaire sa formation. « J’ai connu toutes les prisons de l’île, Á l’exception de celle de Phoenix, considérée Á l’époque comme un établissement haute sécurité. Il fallait entre autres choses connaître le fonctionnement de ces prisons. La formation dure généralement deux ans. Mais au bout d’une année, mon supérieur m’a dit que j’avais déjÁ toutes les qualités pour le poste. Au départ, j’ai hésité en me demandant s’il ne commettait pas une erreur », avance notre interlocutrice.
Encouragée par son supérieur hiérarchique, elle se lance le 25 janvier 1993 et décide de relever le défi avec un seul objectif en tête : « se surpasser et donner le meilleur de soi. Je n’ai jamais cessé de me battre. Surtout lorsqu’on m’a nommée pour travailler Á la prison de Richelieu, la première prison où j’ai exercé mon métier de Senior Cadet Officer pendant trois ans et demi. J’étais la seule femme qui travaillait dans l’administration, entourée de collègues hommes. Il me fallait faire des tournées et parcourir les couloirs de la prison remplie de détenus. C’était une première pour moi. Mais Á aucun moment, les détenus ne m’ont manqué du respect. Par contre, chez mes collègues hommes, je sentais comme un malaise car ils n’étaient pas habitués Á travailler avec une femme Á leurs côtés », fait ressortir la Deputy Commissionner of Prisons. Elle prend progressivement ses marques, fait ses preuves et se donne encore et encore les moyens de réussir.
« Peu importe ce que l’on peut penser et dire, les femmes sont de nature très travailleuses, des hard workers et surtout, elles aiment la perfection. Je suis de cette trempe-lÁ . Peu de temps après, j’ai été nommée Assistant Superintendant of Prisons, puis Superintendant of Prisons et Assistant Commissionner of Prisons. Durant ma carrière, j’ai également travaillé avec les enfants Á problème au Rehabilitation Youth Centre, sections filles et garçons respectivement. » Et l’an dernier, lorsque l’opportunité de postuler pour accéder au poste de Deputy Commissionner of Prisons se présente, Gunneeta Aubeeluck ne recule pas et envoie sa candidature. « Je savais que j’avais toutes les chances de décrocher ce poste. Après l’interview, j’étais Á 90% sÁ»re que ma candidature allait être retenue car j’avais toutes les qualifications et les compétences requises », explique-t-elle. Mais sa déception est totale lorsqu’elle apprend que ce n’est pas le cas.
« Deux collègues hommes avaient été choisis. J’ai pensé qu’on n’avait pas retenu ma candidature parce que j’étais une femme. Cette idée m’a hantée durant des mois. » Elle n’a pas baissé les bras pour autant. Et cette année, lorsque la Disciplined Forces Services Commission se met en quête de candidats pour remplir le même poste, Gunneeta Aubeeluck postule Á nouveau. L’espoir est Á nouveau au rendez-vous comme lors de sa première tentative. Et sa persévérance porte des fruits. « Aujourd’hui, je suis fière d’occuper ce poste. Mes efforts et mes capacités ont été reconnus. D’ailleurs, j’encourage toutes les femmes Á se donner les moyens de réussir. Il ne doit plus y avoir de métiers réservés aux hommes et d’autres aux femmes, Le métier transcende le genre de nos jours. Et je suis très fière lorsque je vois des receveuses ou encore des femmes chauffeurs d’autobus. Ce sont des secteurs où l’on voit de plus en plus de femmes et c’est tant mieux. »
Suite Á sa nomination en tant que DCP, elle est responsable de l’administration de la prison centrale et des projets en cours, notamment la construction de la Pirate Wing destinée Á accueillir les pirates somaliens, du Men Power Planning Unit, de l’Inspectorate Team et de l’Emergency Planning Unit. Sans compter les 200 gardes-chiourmes tombant sous sa responsabilité.
Jean Bruneau, le Commissaire des Prisons, se dit très fier du chemin parcouru par Gunneeta Aubeeluck. « Notre philosophie Á la prison est que les hommes comme les femmes soient complémentaires. Nous avons donc Á cÅ“ur l’épanouissement de nos collègues féminins car nous voulons qu’elles soient égales aux hommes. Actuellement, il y a un homme responsable de la prison des femmes Á Beau Bassin qui compte 140 détenues. Gunneeta Aubeeluck est responsable de la prison des hommes, soit d’un total de 825 détenus », précise le Commissaire des prisons.
Le prochain défi de Gunneeta Aubeeluck? « Accéder un jour au poste de Commissionner of Prison lorsque le poste sera libre. Pourquoi pas ? » En tout cas, une chose est sÁ»re. Le mot « impossible » ne fait pas partie de son vocabulaire.
Laura Samoisy est journaliste Á Maurice. Cet article fait partie du service d’information de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles Á l’actualité quotidienne.
Comment on Gunneeta Aubeeluck, première femme assistant commissaire des prisons Á Maurice