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Johannesburg, 5 décembre: Lorsque des amis et la famille me demandent pourquoi je suis plus occupée que d’habitude ces temps-ci, ma réponse plutôt morose et un rien amère est: «Les 16 jours de paroles en l’air me donnent beaucoup Á faire ».
Engorgée de courriers indésirables, le téléphone qui n’arrête pas de sonner, ce sont les médias qui se réveillent et s’intéressent subitement Á la violence basée sur le genre et Á l’égalité du genre. Les discours gouvernementaux qui commencent Á ressembler aux commentaires monotones des matchs de cricket, sont indiscutablement recyclés Á partir de ceux des années précédentes. Mais pour leur donner un air de nouveauté, ils l’assaisonnent ça et lÁ d’un faux pas sexiste – pour nous tourmenter ou nous divertir, je n’en ai aucune idée.
Toute cette répétition, l’absence de changement, la pure forme et les paroles en l’air vous font vous demander si vous regardez une horrible reprise ou un film d’horreur Á répétition. Cela commence Á ressembler soit Á quelque chose d’Orwellien, une satire sardonique, une tragédie absurde ou Á un mélange déformé des trois. L’intrigue se situe tellement au-delÁ du réel que vous ne savez pas si vous devez en rire ou vous apitoyer de misanthropie.
Durant un meeting public Á l’occasion des 16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre, la ministre sud-africaine de la Femme et ses fonctionnaires qui avalisent tout, ont parmi d’autres bourdes, applaudi les suggestions des leaders traditionnels Á l’effet qu’il faut arrêter de financer les centres de réhabilitation pour les femmes et les enfants abusés car il faut résoudre ces problèmes entre les quatre murs du foyer. C’est oublier un peu vite que 50% des Sud-Africaines interrogées dans le cadre de l’étude de Gender Links sur les indicateurs de violence ont rapporté avoir vécu une forme de violence durant leur existence et la forme la plus prédominante est celle de la violence entre partenaires intimes et la violence interpersonnelle qui ont principalement lieu Á la maison justement. Le travail du conseil national contre la violence basée sur le genre est gelé jusqu’Á ce qu’un autre département l’adopte. Apparemment le nouveau ministère ne traite pas de violence basé sur le genre.
Si le gouvernement sud-africain peut appeler en renfort sa police anti-émeute au Parlement, tout est alors possible. L’histoire peut se répéter et les auteurs de violence s’en sortir d’une pirouette.
Nous avons eu droit Á une répétition de l’affaire Marikana – la grève sauvage des mineurs de 2012 au cours de laquelle 32 ouvriers de mines ont été tués par la police – il y a deux jours lorsque des policiers ont ouvert le feu sur des personnes en tuant deux et en blessant 11 dans la province de Eastern Cape. Le service de police sud-africain (SAPS) se surpasse vraiment en ce moment. Il se peut qu’ils essaient d’entrer en compétition avec les policiers de l’affaire Michael Brown, jeune Noir de 18 ans abattu en aoÁ»t dernier par un policier Á Ferguson dans le Missouri aux Etats Unis ou Á la police d’Etat de New York – une vidéo de trois policiers agressant brutalement une femme âgée, se propage depuis hier sur la toile. Cela ne donne pas uniquement l’impression d’avoir fait un retour en arrière dans les années 60 aux Etats Unis car il y a quelques jours, un groupe d’hommes blancs s’en sont pris Á un caissier noir et le tout a été filmé par une caméra. Cette agression survient moins d’un mois après qu’un homme blanc ait battu une femme noire avec une baguette parce qu’il l’avait pris pour une femme prostituée.
En 1990, l’Afrique du Sud a organisé sa première marche homosexuelle, la Gay Pride. Cette année, ce pays a été le seul pays d’Afrique Á être présent Á Genève et Á voter en faveur d’une résolution condamnant la violence et la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité du genre. Alors que la ville de Port-Elizabeth a fait flotter le plus grand drapeau gay en Afrique pour marquer les célébrations de la Gay Pride durant le dernier week-end, nous sommes conscients que des crimes haineux, l’inégalité et l’injustice persistent dans ce pays et ailleurs.
Les 16 jours de campagne sont aussi l’occasion de considérer les personnes dont les droits sont constamment niés et violés. Lorsque ces personnes réclament leurs droits, les discussions y relatives sont rapidement renvoyés Á une date ultérieure et elles sont systématiquement exclues. Leurs droits ne sont pas considérés prioritaires mais plutôt comme une « menace » Á d’autres mouvements. Leur humanité est considérée inférieure et leur égalité un jeu Á somme nulle.
Je pense Á toute l’hypocrisie démontrée par des mouvements censés défendre l’égalité et la justice pour tous mais qui ne voient pas que ces crimes haineux sont tout aussi abominables que toute autre forme de violence infligée aux êtres humains.
Je pense Á Thembelihle ‘Lihle’ Sokhela et Skhumbuzo Harfold Mkefile, deux homosexuels du KwaNowolo qui ont été sauvagement assassinés et qui viennent s’ajouter Á la liste innombrable de personnes sur le continent et Á travers le monde qui ont été sujets Á des crimes haineux et tués parce qu’ils ne se conformaient pas aux schémas binaires et aux frontières socialement mis en place par le patriarcat. Je pense Á comment les identités de certaines personnes sont écrasées et ramenées Á des acronymes et Á caractère politique unipolaire, pour mieux contrôler leurs corps et leurs êtres.
Ces personnes sont sujettes Á du harcèlement quotidien, ont peu ou pas d’accès aux droits basiques tels que la santé, la justice, l’éducation et sont régulièrement soumis Á des violences secondaires de la part des membres du personnel dans ces secteurs alors que ceux-ci ont pour tâche de remplir leurs besoins et respecter leurs droits. Je pense aussi Á la façon dont les médias perpétuent la discrimination en les dépeignant de manière injuste ou en les ignorant totalement.
Bien que le tueur de Duduzile Zozo, lesbienne qui voulait vivre sa vie ouvertement, a été condamné Á 30 ans de prison, je pense au Juge Maumela qui a insinué que certaines personnes pouvaient être redressées et leurs « modes de vie » corrigés. Je pense Á comment Á travers le monde, en raison des partenaires de couche des personnes, de comment elles s’identifient et comment elles s’expriment, elles sont qualifiées de criminelles, de satanistes malades qui « nuisent Á l’existence humaine ».
Le thème de la Gay Pride de Johannesburg qui a eu lieu samedi dernier et qui s’intitulait « 365 jours pour dire non Á la violence envers tous les corps » a été un appel retentissant pour plusieurs activistes cette année. Nous ne pouvons plus continuer Á faire du sur place, Á prononcer des discours creux et Á nous apitoyer sur les mêmes horreurs que les générations précédentes. Nous devons en finir avec les paroles en l’air, nous déconstruire pour mieux agir. Comme l’a dit la poétesse lesbienne Audre Lorde : « L’apprentissage est quelque chose qui peut être organisée comme une émeute ». Car les vies homosexuelles comme celles des femmes et des Noirs et de toutes autres vies comptent.
Katherine V Robinson est la rédactrice et responsable des communications Á Gender Links. Cet article a été écrit en sa capacité personnelle dans le cadre de la série spéciale axée sur les 16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre du service d’information de Gender Links.
Comment on International: Quelles vies comptent vraiment?