La femme handicapée au Bénin est souvent doublement victime

La femme handicapée au Bénin est souvent doublement victime


Date: July 27, 2015
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Cotonou, 24 juillet: La discrimination manifestée Á  l’égard des personnes handicapées est monnaie courante au Bénin. Aucune statistique n’existe d’ailleurs pour mesurer les différents appuis apportés Á  cette catégorie de personnes par les pouvoirs publics et les organisations non-gouvernementales. On estime par contre que la majorité d’entre elles se heurte Á  des discriminations diverses. DéjÁ  reconnues comme exclues des postes de prise de décisions au niveau local et étatique, les Béninoises handicapées se retrouvent prises au piège d’une double discrimination liée Á  leur sexe et Á  leur handicap physique.

En dépit de l’adhésion du Bénin Á  plusieurs traités protégeant les personnes handicapées, notamment la Déclaration universelle des droits de l’Homme en ces articles 1, 2, 7, et 25 qui stipule que: «Tous les êtres humains naissent libres et égaux en liberté, en dignité et en droit … Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés… sans distinction aucune … tous sont égaux devant la loi. Tous ont droit Á  une égale protection de la loi. Tous ont droit Á  une protection égale contre toute discrimination … et contre toute provocation Á  une telle discrimination … », et la récente adoption d’une Politique Nationale pour la Protection et l’Intégration des Personnes Handicapées (PNPIPH), le tableau de vulnérabilité des femmes en situation de handicap demeure inquiétant.

La Convention relative aux Droits des Personnes Handicapées (CDPH) quant Á  elle énonce clairement et sans réserve que «les personnes handicapées ont droit Á  un plein accès et Á  une égale jouissance effective de tous les droits de l’Homme ». Mais depuis le 8 novembre 2011, date Á  laquelle le Bénin a ratifié cette convention, la question des personnes handicapées reste encore d’actualité.

S’il est clairement accepté de tous que les personnes handicapées doivent avoir accès aux soins médicaux et chirurgicaux, Á  l’éducation, Á  la formation professionnelle, Á  l’emploi, et parfois aux biens de subsistance, etc., c’est aussi une réalité que les mentalités et les comportements ne leur ont pas encore accordé le droit Á  une pleine participation au processus de développement de notre pays. Dès leur bas âge, elles ont peu d’espoir de fréquenter l’école. Mais quand elles réussirent Á  y être, après plusieurs années d’études et de formation, elles sont généralement confrontées aux problèmes de recrutement et d’insertion. Alors même que l’article 31 de la loi No 98-004 du 27 janvier 1998 portant code du travail en République du Bénin édicte que « les personnes handicapées ne doivent faire l’objet d’aucune discrimination en matière d’emploi ». L’effectivité de leur employabilité est mise en mal par les préjugés. Ce qui crée une confusion entre elles et les mendiants et elles se retrouvent donc en proie Á  l’exclusion sociale et Á  la pauvreté.

Les appels Á  candidature pour les concours de recrutement dans la Fonction publique précisent clairement et Á  chaque fois la mention suivante: «Etre physiquement apte ». A l’occasion de certains concours de recrutement dans la Fonction publique, des personnes handicapées visuelles mais intellectuellement aptes ont donc vu leurs dossiers rejetés tout simplement parce qu’elles auraient dÁ» composer en braille.

Ainsi, les 18 et 19 juin 2011, alors qu’un concours de recrutement d’auditeurs de justice, c’est-Á -dire de magistrats, a été lancé, les malvoyants qui ont voulu y participer n’ont pas été les bienvenus. Jéronime Tokpo, une handicapée visuelle et titulaire d’une maitrise en droit des affaires et carrière judiciaire, a postulé au concours de recrutement en pensant qu’elle était une citoyenne Á  part entière comme toutes les autres.

«J’ai déposé mon dossier comme tout le monde avec la petite particularité que je devrais composer en braille. Le jour du dépôt, j’ai rencontré une résistance de la part de celui qui devait réceptionner les dossiers. Mais, il a finalement accepté. Et le mercredi qui a suivi, c’est-Á -dire après le dépouillement, mon dossier a été rejeté tout simplement parce que j’aurais dÁ» avoir composé en braille. Le motif marqué était Rejet pour écriture braille non ouverte », raconte-t-elle. Précisons qu’elle n’est pas la seule Á  subir ce traitement inhumain et méprisant qui met en déroute le respect des droits humains et de surcroît la CDPH.

Selon Boniface Gnonlonfoun, président de l’Association pour la promotion et l’intégration sociale des aveugles et amblyopes du Bénin (APISAAB), «les organisations des personnes handicapées ont rencontré le chef de l’Etat, le Boni Yayi, le 31 décembre 2011, pour lui exposer leurs préoccupations. C’est d’ailleurs Á  la suite de cette rencontre qu’il y a eu l’élaboration d’une politique nationale de promotion et d’intégration des personnes handicapées dont la mise en Å“uvre semble ne pas rencontrer l’assentiment général. Mais les pratiques même au niveau étatique font peur ».

Sur le plan humain et relationnel, cette exclusion est aussi très visible. Awa, apprentie coiffeuse Á  Cotonou explique que ses consÅ“urs bénéficient d’une plus grande attention de la part des hommes qu’elle. « Les hommes me jettent un regard de pitié », confie-t-elle. Comme elle, beaucoup de femmes handicapées soutiennent qu’on leur donne généralement peu d’attention.

Il est Á  préciser toutefois qu’il y a des exceptions. Diane, étudiante Á  l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature (ENAM) qui s’est récemment mariée lors d’une pompeuse cérémonie précise avec un sourire au coin des lèvres que son mari fait fi de son handicap. Il ne la regarde pas comme une handicapée mais comme une femme tout simplement.

Le Bureau du travail, relevant du ministère du Travail et de la Fonction publique, ainsi que le ministère de la Famille, des Affaires Sociales, de la Solidarité Nationale, des Handicapées et des Personnes de Troisième Age (MFASSNHPTA) sont chargés de protéger les droits des personnes handicapées. Mais dans un contexte où les projets et programmes Á  l’endroit des personnes en situation de handicap souffrent de pérennisation, il est difficile de dire si les handicapées béninoises franchiront un jour la frontière de la discrimination hommes-femmes d’une part et celle de la frontière apte-handicapée d’autre part pour enfin se réaliser. Sans un sursaut de l’Etat, elles seront toujours doublement victimes.

Isabelle Otchoumaré est journaliste radio au Bénin. Cet article fait partie du service d’information de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles Á  l’actualité quotidienne.


One thought on “La femme handicapée au Bénin est souvent doublement victime”

kpanoukpè says:

La chanson de Zomadokokpon ‘Etre handicapé n’est pas une fatalité” en dit long

Comment on La femme handicapée au Bénin est souvent doublement victime

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