La parité dans les médias ivoiriens: une douce illusion !


Date: December 30, 2014
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Abidjan, 30 décembre: La parité est une douce illusion dans le monde des médias ivoiriens. Si le nombre de femmes journalistes augmente dans ce milieu, c’est surtout pour grossir l’armée des présentatrices et animatrices audiovisuelles. Mais on en trouve peu comme rédactrice en chef, directrice des publications ou responsable de rédactions.

A Fraternité Matin, le plus ancien des quotidiens ivoiriens, on compte cinq femmes sur un effectif de 47 journalistes. Le tableau est le même dans les autres quotidiens tels que Nord-Sud (cinq femmes sur 20 journalistes), Le Patriote (20 journalistes, trois femmes), L’Inter (15 journalistes, trois femmes), Le Nouveau réveil (20 journalistes, aucune femme), ou encore Notre voie (30 journalistes, aucune femme). Directrice des publications de L’Expression, Touré Yelly, qui détaille ces chiffres ne compte que deux femmes pour 14 journalistes qui constituent sa rédaction.

Les raisons de cette faible présence et de l’influence minime des femmes dans les postes Á  responsabilités dans le monde des médias sont multiples mais deux d’entre elles paraissent plus déterminantes. La première, qui sous-tend toutes les autres, reste le reflexe patriarcal fondé sur les préjugés de genre. Ainsi, dans la gestion de l’information, certains sujets seraient des sujets d’hommes et d’autres plus légers et moins valorisants relèveraient des femmes. «On nous confie des postes d’animatrice ou de reporter de sujets sociaux. On nous laisse rarement traiter de sujets politiques ou économiques », dénonce une journaliste qui préfère s’en tenir Á  l’anonymat.

La seconde raison tient au fait que les femmes ne se responsabilisent pas assez pour prendre toute la place qui pourrait leur revenir dans les medias. Ceci contribue encore Á  l’attitude de dévalorisation de la part des hommes qui détiennent le pouvoir dans les rédactions. Combien de femmes s’intéressent Á  des reportages dans les zones de conflits et sur des lieux de manifestations ? Combien de femmes acceptent « d’aller au charbon » ? La réponse se trouve dans les propos d’Amos Béonaho, ancien président de l’Union nationale des journalistes de Côte d’Ivoire (UNJCI). Pour lui, il s’agit d’une responsabilité partagée entre les femmes qui refusent de travailler dans certains services et les patrons qui sont réticents Á  confier aux femmes certains reportages et Á  les nommer Á  des postes de responsabilité.

Pour Touré Yelly, « Malgré leur nombre réduit, les femmes journalistes doivent savoir qu’elles ne sont pas moins journalistes que les hommes. Elles doivent pouvoir opérer une rupture entre la vision traditionnaliste qui offre tout Á  l’homme et presque rien Á  la femme. Dans les rédactions, elles doivent pouvoir s’imposer par leur travail. Surtout qu’on est dans un milieu où règne la complémentarité. Mais il faut aussi dire que les rédactions sont comme des «jungles » où les femmes doivent se battre pour s’imposer. Les hommes ne leur passeront jamais la balle. C’est Á  elles de saisir la balle au bond en étant bien formées, en ayant une maîtrise réelle de l’outil rédactionnel, en étant alertes, battantes et surtout entreprenantes. Mais en sus de tout cela, elles doivent connaître leurs droits pour pouvoir s’affirmer. »

Ministre de la Solidarité, de la femme, de la famille et de l’enfant, Anne Désirée Ouloto estime qu’une plus forte représentativité des femmes Á  des postes de décision dans les médias est nécessaire. «Chaque fois que des femmes accèdent Á  des postes de responsabilité, les analyses sont mieux élaborées, les décisions sont prises avec une plus grande confiance. Elles sont mieux expliquées, mieux acceptées et leur application devient plus facile. Les conflits s’apaisent et l’équilibre revient », indique-t-elle.

Les femmes journalistes elles-mêmes ont pris la mesure de la situation. En témoigne la multiplication des plateformes de réflexion initiées régulièrement Á  Abidjan. Ces cadres d’échanges visent, selon Agnès Kraidy, présidente du Réseau des femmes journalistes et des professionnelles de la communication de Côte d’Ivoire, Á  sensibiliser les responsables du secteur médiatique Á  la lutte contre les discriminations affectant les femmes dans leur milieu professionnel. Dynamiser le leadership féminin afin de contribuer Á  une professionnalisation plus accrue des femmes et améliorer leurs conditions de travail et de vie. Ce sont lÁ  les challenges que les femmes des médias veulent relever.

La parité hommes et femmes dans les médias que prône le Protocole de la SADC sur le Genre et le Développement, de même que les Objectifs du Millénaire pour le Développement, relève d’abord d’une mobilisation de ces dernières. «C’est en occupant les postes de responsabilités que les femmes pourront faire entendre les voix de leurs sÅ“urs, faire ressortir leurs préoccupations et cela dans des espaces négociés intelligemment. C’est lÁ  qu’elles peuvent rendre plus visibles les activités des femmes », estime Touré Yelly.

Augustin Tapé est journaliste en Côte d’Ivoire. Cet article fait partie du service d’information de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles Á  l’actualité quotidienne.

 


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