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New York, 10 mars: L’éducation Á la sexualité intégrée dans les écoles et sur tous les lieux de vie des jeunes a fait l’objet d’interventions de haut niveau mardi matin lors de la 59e conférence de la Commission sur la Condition de la Femme au siège des Nations Unies Á New York. Bien que des plans d’action et des programmes d’éducation Á la sexualité intégrée soient appliqués dans plusieurs pays développés et en développement, cette éducation fait toujours l’objet de résistance. Or, tous les intervenants Á cette session ont fait ressortir que, appliquée comme il se doit, l’éducation Á la sexualité intégrée connaît un succès certain auprès des jeunes et constitue la clé de voÁ»te pour faire avancer l’égalité.
Les succès sont mesurables certes mais la réalité demeure implacable. C’est ce qu’a démontré la secrétaire d’Etat française aux droits des femmes, Pascale Boistard. Se référant Á des statistiques, elle a fait ressortir que les nouvelles infections au VIH touchent principalement des jeunes et surtout des filles âgées entre 15 et 24 ans. Elle a souligné qu’il y a plus de 16 millions d’adolescentes de moins de 18 ans qui mettent annuellement au monde des enfants et que parmi ce nombre, deux millions ont moins de 15 ans. Et qu’un quart des grossesses précoces ne sont pas désirées et que cela donne lieu annuellement Á 50 000 décès liés aux avortements clandestins. «Ces chiffres montrent l’enjeu de l’accès Á la contraception moderne et au droit Á la sexualité ».
Malgré qu’au cours de la conférence de Beijing, il y a 20 ans, les droits sexuels pour les femmes comme pour les hommes aient été pleinement reconnus, le bilan de l’après-Pékin appelle, selon la secrétaire d’Etat française, Á des efforts supplémentaires de la part des Etats. « Il n’est pas possible que les femmes et les adolescentes les plus pauvres subissent les conséquences. Il faut leur éviter cela. Le pari de l’éducation Á la sexualité intégrée, c’est donner aux jeunes des solutions sÁ»res et respecter un aspect essentiel de leur vie privée qui est la liberté de se marier ou non, d’avoir un enfant ou non ».
Pascale Boistard rappelle que depuis 2013 en France, les adolescents de 15 Á 18 ans ont accès Á la contraception gratuite, que l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est remboursée Á 100% et qu’un site Internet sur le sujet a même été lancé. «Le délit d’entrave Á l’IVG a été renforcé pour ceux qui veulent contester ce droit par des pressions ou par la privation d’accès aux services concernés ». Malheureusement, a-t-elle rappelé, l’éducation Á la sexualité intégrée n’est pas la même dans toutes les écoles alors qu’elle permet de discuter sans moraliser des rapports entre les filles et garçons et de mettre Á la disposition des jeunes un espace pour qu’ils puissent en discuter. «Nous avons saisi le Haut conseil Á l’égalité entre femmes et hommes Á ce sujet. L’éducation Á la sexualité intégrée, c’est un outil crucial pour lutter contre les stéréotypes et les violences qui affectent sept femmes sur dix. Il faut dénoncer la perversion des mutilations qui gagnent du terrain en France ».
Elle a aussi rappelé que la France s’est engagée, aux côtés d’autres pays, Á former des travailleurs sociaux, des professionnels de santé, des leaders religieux et de jeunes éducateurs Á cette éducation Á la sexualité intégrée. «Nous adoptons la même démarche pour l’âge légal du mariage pour l’après 2015. On soutient l’intégration nationale du genre, l’inclusion pour lutter contre la violence et un accès universel Á l’éducation sexuelle. Les droits des femmes sont redevenus une priorité dans notre politique nationale et internationale », a spécifié la secrétaire d’Etat aux droits de la femme.
Pascale Boistard explique la difficulté Á appliquer l’éducation Á la sexualité intégrée dans toutes les écoles françaises par la montée de groupes radicaux qui ne souhaitent pas qu’elle se fasse car «il s’agit d’un enjeu politique puisque grâce Á cette éducation, les femmes maîtrisent leur corps et cela modifie les rapports entre les sexes ». Elle en a profité pour réaffirmer le choix de la France en faveur de l’école publique mixte et l’éducation obligatoire jusqu’Á 16 ans. «L’éducation Á la sexualité intégrée permet de mieux se connaître, de connaître l’autre et cela génère une société plus équilibrée et fait reculer la violence. Il est hors de question qu’en France, tout ordre moral ou religieux prenne le pas sur la loi républicaine ».
Depuis la conférence de Beijing, la mortalité maternelle et celle infantile ont reculé dans le monde et la contraception est plus accessible. Mais comme l’a fait ressortir Elke Ferner, secrétaire d’Etat allemande aux affaires de la famille et des jeunes, il y a encore plus de 200 millions de femmes qui n’ont toujours pas accès Á la contraception moderne et 90% d’entre elles vivent dans des pays en développement. Cela résulte souvent en grossesses précoces, en décès Á un jeune âge, en abandon scolaire et Á une absence d’autonomisation financière. Elle a rappelé que le gouvernement allemand soutient l’éducation Á la sexualité intégrée des jeunes et que le ministère de l’Education investit plusieurs millions d’euros annuellement dans l’amélioration des programmes d’action Á cette éducation.
De son côté, Kate Gilmore, directrice du Fonds des Nations Unies pour la Population, a expliqué que le FNUAP accompagne les pays qui souhaitent appliquer des programmes et des plans d’action Á la sexualité intégrée qui permet de créer un pont entre l’enfance et l’âge adulte. «Le nier aux enfants est un crime », a-t-elle dit en rappelant que 15 millions de filles de moins de 18 ans seront mariées sans leur consentement et que plus de 16 millions de filles de moins de 15 ans accouchent. «Ce sont des enfants qui donnent naissance Á des enfants avec les conséquences graves. Il faut absolument informer les jeunes pour qu’ils prennent des décisions éclairées ».
Elle a fait état d’une série d’études réalisées sur ces programmes et plans d’actions Á la sexualité intégrée qui sont une réussite. «L’éducation Á la sexualité intégrée réduit les taux de grossesses précoces et adolescentes, les infections sexuellement transmissibles ». Elle a précisé que le FNUAP et la famille onusienne exercent des pressions par plaidoyers pour que l’éducation Á la sexualité intégrée soit inscrite dans le programme de développement de l’après 2015. Car le silence en matière de sexualité tue et détruit des vies. «La question n’est pas de se dire qu’avec l’éducation Á la sexualité intégrée les enfants deviennent des adultes trop rapidement. La vraie question est de se demander pourquoi les parents ont mis autant de temps Á en parler Á leurs enfants ? ».
Carmen Barroso, la directrice régionale de la International Planned Parenthood Federation, a abondé dans le sens de Kate Gilmore en affirmant que les programmes sur l’éducation Á la sexualité intégrée ont eu du succès, notamment en Amérique Latine et plus particulièrement au Costa Rica où l’éducation Á la sexualité intégrée fait partie du cursus scolaire et est financée par l’Etat. Autre exemple, celui du Danemark où les écoles, avec le concours des mairies et de l’IPPF, dédient une semaine Á la sexualité des jeunes. Un programme qui fonctionne très bien et que l’IPPF essaie de répliquer dans d’autres pays.
Elle a identifié les obstacles Á la réussite de cette éducation. Il y a l’ignorance des personnes qui ne connaissent pas les faits de la vie, les mauvaises conceptions des religions qui « contribuent aux peurs et au sentiment de culpabilité » et les priorités qui se font concurrence au sein des écoles. « Les responsables des écoles se demandent pourquoi faire de l’éducation Á la sexualité intégrée une priorité alors qu’il y a d’autres matières au programme d’études comme les langues étrangères, le sport et bien d’autres qui sont toutes aussi importantes. Alors que cette éducation est fondamentale dans la vie des enfants ».
Selon la directrice régionale de l’IPPF, il ne faut pas qu’intégrer l’éducation Á la sexualité dans le programme scolaire. Il faut aussi l’intégrer dans toutes les matières au programme d’études. Elle a cité le cas des mathématiques qui outre les théorèmes, permettraient aux filles de calculer leur cycle menstruel.
Faisant référence Á une méta-analyse de 61 études réalisés sur les programmes d’éducation Á la sexualité intégrée dans des pays Á faibles revenus, il a été constaté surtout en Afrique, en Amérique Latine, dans quelques pays du Pacifique et en Asie centrale qu’il y a un impact certain en matière de connaissances sur le VIH/SIDA, d’autonomisation des jeunes qui ont compris l’importance d’exiger des rapports sexuels protégés et de décider du nombre de partenaires sexuels qu’ils auront et de l’attente avant le premier rapport sexuel.
Comme de nombreux jeunes sont déscolarisés, Carmen Barroso estime que cette éducation Á la sexualité intégrée doit être tout autant formelle qu’informelle et avoir lieu dans tous les lieux de vie des jeunes. Elle doit idéalement être animée par des membres d’organisations non-gouvernementales qui ont développé des méthodologies appropriées mais aussi en partenariat avec les gouvernements. «Tout dépend des pays. Dans le futur, nous espérons qu’on n’aura plus besoin des ONG et que les enseignants bien formés pourront prendre le relais. »
Marie-Annick Savripène est le Francophone Editor de Gender Links. Cet article fait partie de la série spéciale consacrée Á la couverture de la 59e conférence de la commission sur la condition de la femme des Nation Unies, et apporte une perspective nouvelle Á l’actualité quotidienne.
Comment on CSW59: L’éducation Á la sexualité intégrée, clé de voÁ»te pour faire avancer l’égalité