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Maurice, 26 novembre: Si un Mauricien sur quatre a admis avoir été violent avec sa partenaire dans l’étude War@home menée par Gender Links, très peu d’hommes violents en couple acceptent de se remettre en question. Et ceci parce que beaucoup d’entre eux trouvent que le fait de frapper leurs femmes est une chose tout Á fait normale. Cette conviction erronée qui se perpétue dans un contexte culturel précis, Á savoir le patriarcat, aveugle l’homme et l’enferme dans une spirale de violence. Ceux-lÁ refusent de se faire aider ou encore de suivre une formation qui leur permettra de comprendre d’où vient cette violence et d’y mettre un terme. C’est ainsi que la violence gangrène nos sociétés. Les hommes violents qui sont conscients du mal qu’ils font autour d’eux n’osent pas s’exprimer car ils ont honte de leurs agissements. Ce sentiment les empêche de parler et de se libérer. Un ancien mari violent a toutefois décidé de sortir de l’ombre pour raconter le calvaire qu’il a fait subir Á sa femme et Á ses enfants avant d’avoir pu accepter de se faire aider.
Il s’agit de Selven Amédée, 38 ans, marié et est père de trois enfants. Sa vie a basculé il y a huit ans. « J’étais alors papa d’un petit garçon de six ans et mon épouse était enceinte de notre deuxième enfant. Nous venions d’emménager dans un quartier des hautes Plaines-Wilhems où je m’étais fait quelques amis. Un jour, l’un d’entre eux m’a proposé gratuitement une dose d’héroÁ¯ne. J’ai accepté par curiosité, pour voir ce que cela allait me faire comme sensations », raconte-t-il.
D’une première dose gratuite, il est passé Á une deuxième, puis Á une troisième et ainsi de suite au point de développer une addiction Á cette substance. Pour obtenir ses doses quotidiennes, il n’a pas hésité Á puiser dans le budget alimentaire du ménage. « Au départ, je dépensais environ Rs 500. Puis mes besoins en héroÁ¯ne n’ont fait qu’augmenter. Donc, pour me procurer la drogue, j’utilisais l’argent devant servir Á l’achat des provisions et des affaires du bébé qui venait de naître. Je me souviens qu’une fois, mon fils m’a demandé de lui acheter une glace lorsque le marchand faisait sa tournée. Je lui ai dit que je n’avais pas d’argent sur moi alors que c’était faux. J’avais gardé les sous pour m’acheter une dose d’héroÁ¯ne ».
A force de n’être centré que sur la drogue, il finit par perdre son emploi. «J’étais électricien. Quand je me droguais, je ne pouvais presque plus travailler. Je m’absentais souvent. Au final, on m’a licencié. Du coup, je volais des objets précieux dans la maison que je revendais par la suite. Puis ma femme qui était jusque-lÁ au foyer, a été obligée de trouver un emploi. C’est elle qui me nourrissait. Je l’obligeais même Á me donner de l’argent lorsqu’elle recevait son salaire pour que je puisse m’acheter ma drogue. Lorsqu’elle refusait, je la frappais » raconte Selven Amédée.
Lorsqu’il n’a pas ce qu’il veut, il va jusqu’Á tout mettre en pièces. « J’entrais dans des colères noires. Je cassais tout dans la maison, les meubles, la vaisselle, bref tout ce qui pouvait être brisé. Personne ne pouvait me contrôler. Et c’est mon épouse qui subissait cette violence presque quotidiennement. Mais malgré les coups, ma femme ne m’a jamais quitté. Même lorsqu’un jour, la police m’a pris en flagrant délit de vol. Cela m’est arrivé deux fois et j’ai payé les amendes. Puis un jour, je n’ai plus eu d’argent pour m’acheter de la drogue. J’avais une fois de plus saccagé la maison et hurlé si fort que ma femme avait dÁ» trouver refuge chez des voisins pour ensuite rentrer Á la maison tard dans la nuit une fois que je m’étais calmé. Ce soir lÁ , j’avais tellement honte de moi que je me suis réfugié dans les toilettes et j’ai pleuré. »
Honte, culpabilité… Selven Amédée réalise tardivement, soit après quatre ans d’addiction qu’il a un sérieux problème. « J’ai eu beaucoup de mal Á admettre que j’étais devenu un bourreau. Mais je ne voulais pas accepter l’aide de quiconque jusqu’Á ce que mon épouse et une proche me parlent d’un centre de réhabilitation. C’est avec beaucoup de difficultés que je me suis laissé convaincre de m’y rendre. Le premier jour, ma femme m’a accompagné Á ce centre connu comme Centre de Solidarité. Une fois sur place, je voulais fuir lorsque l’on m’a demandé quel était mon problème, que j’ai admis que je frappais ma femme et que je volais pour pouvoir me procurer mes doses d’héroÁ¯ne. Je me souviens qu’un des animateurs s’est montré sarcastique en disant qu’il fallait appeler la police. J’avais l’impression que l’on se moquait de moi. »
C’est avec un goÁ»t amer qu’il est rentré chez lui ce jour-lÁ , complètement abattu et découragé. « Mais une fois de plus, ma femme m’a conseillé d’y retourner. Je l’ai écoutée. Et de lÁ , ma reconstruction a commencé. Je me rendais au centre trois fois la semaine pour ma thérapie. Puis j’ai été placé pendant six mois dans un centre résidentiel. Ma famille venait me rendre visite uniquement les dimanches. Je n’avais pas le droit de sortir. Le fait d’être coupé du monde m’a aidé Á en finir avec ma dépendance. Après cette étape, j’ai été autorisé Á retrouver les miens, Á condition que je sois suivi par le centre. C’est ainsi que mon programme de réinsertion a duré un an et demi. Maintenant que je suis sevré et libéré, je peux dire que la drogue est le plus grand poison qui puisse exister. A un moment, elle m’a fait faire des choses horribles. J’ai frappé mon épouse. Je lui ai fait vivre un enfer. J’ai privé mes enfants de nourriture, bref, la drogue m’avait transformé en monstre. »
Grâce Á ce programme de réinsertion et Á sa détermination, Selven Amédée est aujourd’hui un autre homme qui jouit pleinement de la vie. Et surtout de sa famille. « Maintenant, je suis capable de faire des projets d’avenir et de penser Á l’éducation de mes enfants. Il y a huit ans, cela aurait été impossible. Mon message Á ceux qui vivent une situation semblable est de ne pas avoir honte d’accepter de se faire aider. Seul, on ne s’en sort pas. Il n’est jamais trop tard pour changer et devenir meilleur. »
Pour conscientiser les hommes et les aider Á sortir des griffes de la violence conjugale, Selven Amédée se dit prêt Á témoigner ouvertement lors d’un forum basé sur le sujet si jamais on fait appel Á lui. Il a même accepté qu’on le photographie. Son courage de s’en sortir et sa volonté d’aider autrui méritent d’être salués.
Laura Samoisy est journaliste Á Maurice. Cet article du service d’information de Gender Links fait partie de la campagne des 16 jours d’activisme contre la violence envers les femmes et les enfants.
Comment on Le Mauricien Selven Amédée : « la drogue a fait de moi un monstre »