Le paradis perdu!

Le paradis perdu!


Date: April 27, 2015
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Une société dans l’incapacité de protéger ses enfants est une société malade. Combien d’autres petites victimes devront encore perdre la vie dans des conditions atroces Á  Maurice pour qu’il y ait un réel éveil des consciences et l’application d’actions concrètes? Car hélas, Á  Maurice, on sombre trop vite dans l’oubli après avoir mené des actions ponctuelles suite Á  un drame terrible ayant secoué le pays. Comme cela a été le cas en 2005 pour le meurtre et le viol de la petite Anita Jolita, âgée de deux ans seulement ou encore de Joanick Martin, sept ans, battue, violée et brulée vive en 2010.

Bon nombre de Mauriciens étaient descendus dans les rues pour dire STOP Á  ces viols d’enfants associés aux meurtres. La découverte macabre du petit corps sans vie d’Edouarda Gentil, portée disparue depuis le 5 avril 2015 et retrouvée morte dix jours plus tard nous renvoie inévitablement aux tragiques destins de ces deux fillettes et nous laissent surtout sur un sentiment d’échec. Echec parce-que malgré tout ce qui a été accompli jusqu’ici, nous n’avons pu sauver Edouarda qui était livrée Á  elle-même. Echec parce-que notre société a failli Á  ses responsabilités, que nos institutions ont failli Á  leurs devoirs, que le citoyen lambda a choisi l’inaction au lieu de la dénonciation.

Car la protection de nos petites filles, de nos petits garçons, qu’ils vivent dans des milieux précaires, rongés par la pauvreté, n’est pas que l’affaire du gouvernement, encore moins uniquement des organisations non-gouvernementales et des travailleurs sociaux. Mais de tout un chacun. A Cité Anoska où vivait Edouarda en compagnie de ses grands-parents maternels depuis qu’elle était bébé, ce n’était un secret pour personne que cette petite était livrée Á  elle-même. Mais personne n’a osé dénoncer aux autorités les conditions dans lesquelles elle vivait.

Idem pour les travailleurs sociaux qui visitaient cette famille de temps en temps afin de leur apporter des vivres. Mais voilÁ , le dimanche 5 avril, étant une fois de plus livrée Á  elle-même lors d’une fête familiale Á  quelques pas de sa maison et au beau milieu de la nuit, Edouarda a disparu et son absence n’a été remarquée par ses proches que le lendemain matin vers huit heures. C’est dire Á  quel point le mode de fonctionnement de cette famille qui croule sous le poids de la pauvreté, méritait une attention particulière.

Si la responsabilité parentale soulève bien des interrogations, rien ne peut toutefois justifier l’acte barbare qu’Edouarda a subi. L’autopsie pratiquée sur elle n’a pas permis de préciser si elle a été abusée sexuellement. Mais les policiers n’écartent pas cette hypothèse vue que la petite était partiellement nue lorsqu’elle a été retrouvée.

Dans le cadre de cette affaire, plusieurs personnes ont été interrogées. Certains ont dÁ» se soumettre Á  des prélèvements d’ADN qui seront analysés par le laboratoire scientifique de la police. Il y a aussi eu l’arrestation d’un premier présumé suspect âgé de 36 ans nommé Arnaud Boodram. Si pour l’heure, il a nié les faits qui lui sont reprochés, ses démêlés avec la justice en disent long du personnage. Pour cause, il a Á  deux reprises été poursuivi pour relations sexuelles avec mineure. Il a eu des rapports avec une fille de 14 ans, aujourd’hui âgée de 20 ans et mère d’un enfant en bas âge. Mais il y a pire encore. Car il y a deux ans, il n’a pas hésité Á  abuser de sa propre fille alors que la petite dormait dans la même chambre que lui.

« Mon fils Kevin qui dormait dans une autre chambre a entendu les cris de ma petite fille. Il est allé voir ce qui se passait et il m’a raconté que cette dernière se faisait violer par son père. On a porté plainte Á  la police et Arnaud a été arrêté. Il a entretemps recouvré la liberté sous caution », confie la mère du présumé suspect. Il a repris ses activités, c’est-Á -dire professeur de danse. Donc, il était en tout et pour tout, un potentiel danger public en liberté, qui plus est, donnait des leçons de danse Á  des enfants qui ont été exposés somme toute Á  un prédateur sexuel.

Sur la base de plusieurs blessures relevées sur lui et en raison de sa présence Á  la fête où se trouvait Edouarda le soir de sa disparition, il a été arrêté. Et pour justifier ses nombreuses blessures Á  la police, il a même laissé entendre et sans la moindre gêne qu’il avait été tabassé par plusieurs femmes pour avoir caressé les parties intimes de l’une d’elles.
Ceci dit, la prison n’a aucun effet dissuasif sur les prédateurs sexuels, toujours en quête d’une proie facile pour assouvir leurs plus bas instincts. Après le décès tragique de cette enfant de la Cité Anoska, les Mauriciens ont été nombreux Á  réclamer la réintroduction de la peine de mort. Mais est-ce la solution pour répondre Á  ce problème sur lequel une réflexion profonde mérite d’être faite et des actions concrètes engagées?

En tout cas, Bruneau Woomed, de Men Against Violence, ne cache pas sa colère quant Á  l’absence de prise en charge des prédateurs sexuels. « Ils sont des dangers publics. Ils sont toujours Á  la recherche de proie facile pour faire ce dont ils en ont envie avec elle. Ils n’éprouvent aucune pitié, aucun sentiment vis-Á -vis de leurs victimes. Ce sont des personnes malades qui ont besoin que l’on s’occupe d’eux. Ce n’est pas possible qu’après deux ou trois cas d’abus sexuels sur son casier judiciaire, le prédateur sexuel soit remis en liberté conditionnelle sans qu’il y ait eu au préalable, un bilan psychologique. Il est grand temps d’introduire un système qui répondra aux besoins de notre société afin de mieux protéger nos femmes, nos enfants et les plus vulnérables de notre société. »

Tout comme Edouarda, Joanick Martin et Anita Jolita étaient issues de cités pauvres du pays, ravagées par des maux sociaux tels que la drogue, l’alcool, les grossesses précoces pour ne citer que ceux-lÁ . Des localités où tous les ingrédients propices au drame étaient réunis et y sont toujours. Mélanie Vigier de Latour-Bérenger, psychosociologue, précise toutefois que «la violence sexuelle n’est absolument pas liée aux conditions de vie, de précarité. Ce lien existe avec la violence, mais pas la violence sexuelle. »

Et malgré ce qui pourrait être traduit comme une volonté du gouvernement Á  vouloir faire avancer les choses en donnant aux parents des outils nécessaires pour mieux protéger leurs enfants et les encadrer Á  travers le programme « Ecole des parents », tout porte Á  croire que tout reste encore Á  faire. Le ministère de l’Intégration sociale et de l’autonomisation économique a décidé de passer Á  l’offensive et se penche sur les problèmes sociaux qui gangrènent la Cité Anoska. Ainsi, ce ministère a réuni des psychologues, des économistes, des professionnels en matière de développement social entre autres et ceux-lÁ  ont fait un premier état des lieux. Le manque d’infrastructures et de logements décents ont été signalés, ainsi que l’absence d’encadrement social pour les familles en difficulté. Un plan d’action sera bientôt avalisé pour répondre aux besoins spécifiques de cette localité.

Mais il serait injuste que ces actions soient concentrées uniquement sur la Cité Anoska alors qu’elles devraient s’étendre un peu partout dans l’ile. Surtout dans des endroits frappés par les problèmes sociaux semblables Á  ceux de la Cité Anoska. Ce, dans le but de prévenir et d’éviter que des drames s’y déroulent et que des innocents perdent la vie dans des conditions atroces.
Aurore Perraud, ministre de l’Egalité du genre, du développement de l’Enfant et du bien-être de la Famille va dans le même sens. « Le cas de la Cité Anoska n’est pas un cas isolé. Car il existe beaucoup d’endroits comme cela Á  Maurice. L’extrême pauvreté est souvent la cause de nombreux problèmes. Les enfants vivent dans des conditions précaires et sont exposés au danger constant et Á  l’insécurité. Ils sont alors des proies faciles pour les prédateurs. La protection des enfants est ma priorité. Elle est aussi l’affaire de tous. »

La protection des enfants est l’affaire de tous. Surtout des adultes qui ont le devoir de les protéger de tout danger et de les encadrer. Mais c’est souvent lÁ  où le bât blesse car les adultes eux-mêmes ne respectent pas ce devoir. Comment ne pas évoquer le cas d’une fillette de dix ans, harcelée sexuellement par l’ami de son père et qu’elle a finalement poignardé Á  mort en 2013? Vivant en milieu très précaire et dans la promiscuité la plus totale, elle avait expliqué Á  la police qu’elle était régulièrement harcelée sexuellement par l’ami de son père que ce dernier avait accueilli sous son toit.
Si dans un premier temps, le harceleur a été chassé par son ami après qu’il ait écouté le témoignage bouleversant de sa fille, il avait toutefois accepté que ce dernier revienne vivre sous son toit quelques mois plus tard. La raison évoquée : «Il nous aidait Á  faire bouillir la marmite », a raconté le père de la fillette. Mais hélas, la pauvreté ne justifie pas tout. Et victime d’une énième pression de son harceleur sous les yeux de ses parents, l’enfant a poignardé ce dernier Á  mort. Heureusement que la justice s’est montrée indulgente. Si aucune poursuite n’a été entamée contre l’enfant, elle sera entendue Á  dans une enquête judiciaire Á  huis clos initiée par le directeur des poursuites publiques.

Pour la psychosociologue, Mélanie Vigier de Latour-Bérenger, tout abus sexuel laisse des traces dans la vie de toute personne qui en est victime. « Mais cette fillette a aussi tué un être humain et c’est important qu’elle prenne conscience de l’acte commis. Plusieurs facteurs interagissent pour expliquer le recours Á  la violence. Il s’agit de facteurs biologiques, psychologiques, sociaux et environnementaux. Parmi les facteurs psychologiques, il peut y avoir un attachement insécurisant Á  la personne responsable de l’enfant, une perception de menace, une faible estime de soi, le vécu d’un traumatisme important – abus sexuels, maltraitance, abandon – que la personne n’a pas pu mettre en mots », souligne-t-elle.

Elle affirme qu’il est capital qu’un bilan psychologique et psychiatrique soit effectué sur cette enfant et qu’elle ait un accompagnement thérapeutique de qualité pour qu’elle mesure la gravité de l’acte qu’elle a commis « Dans cette situation, cette enfant a dit ce qu’elle subissait et elle n’a pas été protégée. C’est grave. C’est aux parents et aux éducateurs de protéger les enfants victimes de violences. En éloignant l’agresseur qui est un danger. ET en le signalant Á  la Child Development Unit, Á  la Police et au bureau de l’Ombudsperson For Children. » Autant de cas qui interpellent, qui choquent! Nous ne sommes pas en enfer. Mais nous ne sommes pas au paradis non plus!

Il est temps de venir avec des actions concrètes et sur le long terme afin de mieux protéger et encadrer les enfants et les familles vivant dans des poches de pauvreté Á  Maurice. Le Protocole de la SADC sur le Genre et le Développement demande Á  ses Etats membres d’adopter des stratégies et des plans d’actions pour la protection des femmes et des enfants afin de réduire de moitié la violence envers elles d’ici la fin de cette année. Et même si Maurice n’a pas signé, ni ratifié ce document régional, de manière générale, l’Etat mauricien respecte la plupart de ses dispositions. Mais ne nous voilons pas la face. Car en termes de stratégies et de lutte contre la violence envers les femmes et les enfants, le pari est loin d’être gagné.

Laura Samoisy est journaliste Á  Maurice. Cet article fait partie du service d’information de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles Á  l’actualité quotidienne.

 


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