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C’est une idée qui est encore solidement ancrée au Bénin: les femmes sont Á exclure de certains métiers considérés exclusivement réservés aux hommes. Mais petit Á petit, les lignes de démarcation bougent et se brouillent. Des femmes se lèvent pour montrer qu’elles peuvent bel et bien exercer des métiers qui, sont restés pendant longtemps, l’apanage des hommes. Ainsi, elles sont conductrices de taxi-moto, garagistes, peintres ou vitrières. Ce sont des femmes qui ont fait leurs preuves et qui ont su gagner le respect de leurs collègues masculins. Sans compter qu’elles suscitent l’admiration de leurs proches. Découvrons ces battantes qui refusent le favoritisme.
Chantal Ahéhéhinnou Adjissé est l’une des rares femmes Á avoir embrassé une activité qualifiée de «métier d’hommes ». Elle dirige un garage Á Cotonou baptisé ” le Garage du centre “. Tous les jours, Chantal n’hésite pas Á enfiler son bleu de mécanicien et mettre la main dans le moteur, sans craindre de se salir avec le cambouis. En sus de dépanner et de réparer un véhicule, elle le repeint aussi. D’ailleurs, son talent en peinture-automobile est son atout-maître.
«Elle travaille aussi bien qu’un homme et je la respecte pour cela. J’ai beaucoup appris d’elle, de petites astuces pour mieux effectuer les réparations », raconte Frank Marius Wannou, un de ses apprentis.
Exemplaire parcours que celui de Chantal: «J’ai été scolarisée jusqu’en classe de 4ème, et ensuite mon père a décidé de me lancer dans la mécanique. Métier que lui-même exerçait. Cela fait 34 ans que je fais ce métier en tant que professionnelle. J’ai eu mon diplôme en 1981 et j’ai également fait un stage au garage Peugeot en France ».
Chantal est donc devenue garagiste selon la volonté de son défunt père. Et le destin faisant bien les choses, son mari est lui aussi mécanicien. Même si Chantal ne regrette pas le choix paternel, elle avait une autre ambition: elle rêvait d’être hôtesse. Mireille Houngbédji, par contre, a choisi de maîtriser plusieurs métiers dont certains dits masculins non par obligation mais plutôt par passion. Elle a d’abord commencé son apprentissage Á Cotonou dans la peinture en bâtiment avant d’embrayer avec le dessin et le graphisme sur toutes les surfaces, la sérigraphie et l’enseigne lumineuse. Ensuite, elle est partie pour Lomé, la capitale du Togo, pour renforcer ses capacités en dessin et plus précisément, le dessin sur t-shirts. Elle a donc Á son actif deux diplômes délivrés par deux différents patrons, l’un béninois et l’autre togolais.
La trentaine, originaire de la capitale historique du Bénin, Ouidah, Mireille est aujourd’hui responsable d’un atelier de peinture Á Agla, un quartier de Cotonou, la capitale économique du Bénin. «C’est un travail que j’exerce depuis sept ans environ. Contrairement aux autres femmes, je n’ai jamais voulu faire de la couture, ni la coiffure, ni les autres métiers auxquels s’adonnent généralement les femmes. Ainsi, en dehors de ma passion pour ce métier, mon principal objectif était de marquer la différence et de faire un métier que l’on estime réservé aux hommes ».
Comme Mireille Houngbédji, Louise Bidouzo n’a pas voulu s’orienter vers des métiers typés pour les femmes. Vitrière de profession, Louise est actuellement ouvrière dans un atelier de miroiterie-aluminium au quartier Sikèkodji Á Cotonou. Elle confie ne pas regretter ce choix professionnel. Elle y trouve de grandes satisfactions.
« La vitrerie est un métier qui m’a beaucoup intéressée. J’ai voulu apprendre et exercer un travail que beaucoup de filles ne font pas, d’autant plus que nous sommes dans une ère où l’on promeut la parité entre les hommes et les femmes. Personnellement, les métiers de femmes ne me plaisent pas », affirme-t-elle.
Louise exerce ce métier avec dextérité et dévouement. Kassim Alassane Tokou, un de ses collègues, raconte que «elle s’impose par son travail. Elle travaille dur et avec application et ne bénéficie d’aucun coup de pouce en tant que femme. Elle prouve ainsi que la femme peut bel et bien exercer les métiers que l’on croyait réservés aux hommes ».
C’est par un concours de circonstances que Blandine Ahouansou est devenue conductrice de taxi-moto. En effet, au début des années 1990, elle démarre un commerce de vêtements entre le Togo voisin et le marché international Dantokpa Á Cotonou. Mais la hausse du prix du transport et des taxes douanières la contraignent Á abandonner cette activité au bout de quelques mois. Elle se lance alors dans la vente de carburant, ce qui lui permet d’acheter une moto japonaise Mate 50 qu’elle a décidé de louer pour 1.500 FCFA, soit deux euros par jour. Le locataire n’honore pas ses engagements et, face au manque de ressources, Blandine décide alors de conduire elle-même la moto.
« Il n’y a pas un travail réservé uniquement aux hommes, et un autre aux femmes », insiste-t-elle en souriant. Mère de six enfants, Blandine qui es quadragénaire, est depuis plus de dix ans conductrice de taxi-moto Á Cotonou. Le taxi-moto est en vogue depuis les années 80. Et avec la crise économique au Bénin, plus de 30 000 taxi-motos, communément appelés « Zémidjans », ont fait leur apparition dans le pays. Dans la capitale, elle est la seule femme Á exercer ce métier. Elle surprend plus d’un par son professionnalisme et son courage. Alphonse Hounsa, l’un de ses collègues, la décrit comme « un homme qui vit dans la peau d’une femme ». Pour Bertin Attanladjou, autre conducteur de taxi-moto, « c’est une amazone, qui exerce son métier avec passion, tout en s’occupant Á merveille de ses enfants ».
Mais malgré ces exemples de femmes qui défient les stéréotypes, les Béninoises se heurtent toujours Á des difficultés, surtout lorsqu’elles tentent d’exercer des métiers traditionnellement dévolus aux hommes. Elles font face Á de fortes résistances. La vitrière Louise évoque par exemple le problème du harcèlement, notamment sexuel, qu’elle a rencontré. « Des collègues ouvriers me dérangent souvent. Certains clients me demandent même des faveurs sexuelles avant de me confier des travaux mais je ne cède pas Á leurs pressions », raconte-t-elle.
Les difficultés prennent des formes différentes selon le secteur d’activité. Et Mireille, peintre-dessinatrice-graphiste assure qu’elle en rencontre pas mal. «D’une part, je suis une femme allaitante. Ce qui m’oblige Á m’occuper simultanément de mon enfant et de ma peinture pour ne pas perdre ma clientèle. D’autre part, certains clients passent des commandes mais ils ne viennent pas la récupérer par la suite. Ce qui entraîne en général d’énormes pertes de temps, de matériel et d’argent ». Mais elle est consciente qu’aucun métier n’est exempt de difficultés.
Cumuler le travail et les devoirs de femme au foyer n’est pas chose aisée. Mais Mireille sait bien s’organiser pour y arriver. Elle affirme ne rien attendre de quiconque pour vivre car son métier lui permet de subvenir Á la plupart de ses besoins. «Ce métier me permet de subvenir Á mes besoins quotidiens sans rien attendre de qui que ce soit. Avec ce que je gagne, il m’est possible d’aider mon mari en cas de besoin ».
La conductrice de taxi-moto quant Á elle a du mal Á joindre les deux bouts. Deux fois divorcée, privée de tout soutien financier, Blandine a ses enfants Á sa charge, même si elle est déjÁ grand-mère. Elle prend également soin de sa mère avec qui elle vit. Travailler sans relâche pour nourrir cette famille nombreuse est donc devenu son exigence quotidienne. Mais avec l’explosion du nombre de conducteurs de taxi-motos au Bénin, la concurrence est rude. Ses revenus sont en baisse. De 10.000 FCFA, soit 15 euros par jour qu’elle gagnait en l’an 2000, c’est Á peine si sa recette journalière atteint aujourd’hui 4000 FCFA, soit 6 euros.
Et WaÁ¯di, son fils trouve le travail de sa mère éprouvant et périlleux. « Lorsque je vois des Zémidjans en difficulté sur les routes, je pense Á maman et j’ai peur pour elle », confie-t-il. Face Á ses déboires actuels, Blandine envisage cependant de changer de métier. Elle a passé le permis D et son rêve est de transporter en minibus des passagers sur la ligne Cotonou-Lomé. Un autre métier entièrement masculin.
Contrairement Á Blandine, Chantal, la garagiste ne se plaint pas. Son métier lui a permis de réaliser beaucoup de projets qui lui permettent de vivre confortablement et de contribuer aux charges familiales. «J’ai réussi Á économiser pour m’offrir des parcelles de terre. J’ai également construit une maison et acheté une voiture. De plus, je contribue Á la scolarisation et aux études supérieures de mes enfants dont certains sont Á l’étranger », assure-t-elle.
Son dévouement et sa rigueur au travail lui ont déjÁ valu des reconnaissances sur le plan national. Elle a reçu en 1997, le Prix d’excellence Á l’occasion du 30ème anniversaire de la Loterie nationale du Bénin, en 2000, le Prix d’excellence féminine dans le domaine de la profession libérale et en 2001, le Certificat d’appréciation du Peace Corps pour le projet ” Amenons nos enfants au travail “. En mars 2015, elle a reçu le trophée « Femme de Feu » dans la catégorie « Femme d’exploit ».
Ainsi se présente l’univers de ces vaillantes béninoises. Elles sont la preuve vivante qu’il n’y a pas de métier réservé aux hommes et que la femme peut y également se faire une place et gagner sa vie. Ce ne sont ni des féministes, ni des garçons manqués mais des femmes audacieuses, ouvertes, capables de faire front Á tous les aléas et difficultés. Ces femmes méritent donc d’être encouragées et valorisées. Comme quoi, le développement n’a pas de sexe.
Isabelle Otchoumare est journaliste radio au Bénin. Cet article fait partie du service d’information de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles Á l’actualité quotidienne.
Comment on Les Béninoises dans le monde du travail: le développement n’a pas de sexe