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Des tas de femmes pensaient, avec la validation du Protocole sur le Genre et le Développement par presque tous les pays membres de la Communauté de Développement de l’Afrique australe, exception faite de Maurice et du Botswana, qu’elles trouveraient finalement une lumière au bout du tunnel. Mais y a-t-il vraiment de l’espoir pour celles et ceux qui vivent en marge de la société?
Alors que Maurice est cité comme modèle de la démocratie dans la région, le pays est aussi connu pour sa piètre performance Á combattre la violence basée sur le genre. A ce jour, il n’y a jamais eu de recherches pour quantifier, mesurer et prévenir la violence basée sur le genre. Celle-ci est en hausse mais les autorités ne sont pas intéressées Á financer une telle recherche. Celle-ci prendrait trop de temps alors qu’elles veulent des résultats dans l’instant. Sommes-nous une nation de pompiers qui circonscrivent l’incendie une fois qu’il s’est déclenché au lieu de trouver des solutions pour la prévenir?
Les articles 20 Á 25 du Protocole de la SADC sur le Genre et le Développement stipulent que « d’ici 2015, les Etats membres doivent promulguer et appliquer des législations interdisant toute forme de violence basée sur le genre ; s’assurer que les lois contre la violence basée sur le genre fassent provision pour des tests de dépistage, des traitements et des soins aux survivantes d’agressions sexuelles ; réviser et réformer leur Code Pénal et les procédures s’appliquant aux délits sexuels et Á la violence basée sur le genre, promulguer des dispositions législatives et adopter et appliquer des politiques, stratégies et des programmes qui définissent et interdisent le harcèlement sexuel dans toutes les sphères sociales et prévoir des sanctions dissuasives pour les auteurs de harcèlement sexuel. »
Bien qu’il y ait des mesures d’accompagnement et d’aide aux survivants, la loi prohibant toutes les formes de violences basées sur le genre n’est pas prise en compte dans le Protection from Domestic Violence (Amendment) Act. Le Sexual Offence Bill a été mis au placard. Il y avait malheureusement des femmes parmi les opposants de cette législation et ce, parce qu’elle autorisait Á tout individu le droit de choisir son orientation sexuelle.
Comme le travail sexuel est illégal Á Maurice, les travailleuses du sexe ne sont protégées par aucune loi. Ces dernières sont arrêtées et emprisonnées alors que leurs clients agissent en toute impunité. Les travailleuses du sexe ne peuvent même pas se rendre Á l’hôpital pour se faire soigner. La stigmatisation et la discrimination étant le revers et l’avers d’une même pièce, il leur est difficile de l’assumer. «Les antirétroviraux sont gratuits Á Maurice mais les travailleuses du sexe qui sont séropositives ont peur d’aller Á l’hôpital pour se faire soigner. Parfois, elles s’y rendent pour faire un test de dépistage mais ont peur d’aller chercher le résultat, préférant vivre avec le virus plutôt que de subir la stigmatisation, » raconte Marlène Ladine, directrice de La Chrysalide, centre résidentiel de réhabilitation et de réinsertion de travailleuses du sexe usagères de drogue par voie intraveineuse. «Nos adhérentes sont d’anciennes travailleuses du sexe et toxicomanes qui sont aujourd’hui en pleine forme car nous prenons bien soin d’elles. Notre approche est globale et notre programme couvre la qualité de la vie, les antirétroviraux gratuits, une alimentation saine, le développement des compétences, un suivi médical par des médecins et des psychologues et nos adhérentes sont accompagnées lorsqu’elles doivent se rendre Á l’hôpital, » précise encore Marlène Ladine.
Il n’est pas étonnant que La Chrysalide ait remporté le trophée Ruban Rouge des Nations Unies en juillet 2009 lors de la conférence mondiale sur le VIH/SIDA Á Vienne. «J’ai eu la chance d’y rencontrer des personnes fantastiques, des travailleurs sociaux et des organisations non-gouvernementales travaillant avec les travailleuses du sexe. Nous avons échangé nos expériences respectives et c’est lÁ que j’ai découvert l’organisation internationale Le Parapluie Rouge, implantée dans plusieurs pays du monde, incluant l’Italie, l’Espagne, la Grande Bretagne, la France, les Balkans mais pas dans ceux de la région de l’Océan Indien. C’est une organisation qui lutte pour que les travailleuses du sexe puissent jouir de leurs droits humains, de l’éducation, de la santé et être protégées par des lois. »
A son retour au pays, Marlène Ladine a démarré le processus pour regrouper des travailleuses du sexe et sonder leurs besoins. Deux anciennes travailleuses du sexe vont désormais sur le terrain et entreprennent un audit sur les travailleuses du sexe, les problèmes qu’elles rencontrent et ce qui doit être fait pour les aider. «Nous encourageons d’autres pays de la région Á faire de même. Chaque pays a ses propres défis. A Madagascar par exemple, les mamans ne sont pas autorisées Á nourrir leurs bébés au lait de substitution. Ceci est un problème majeur pour les mères qui sont séropositives. Heureusement que les Seychelles ont réalisé qu’il y a un lien entre les usagers de drogue par voie intraveineuse et le VIH/SIDA et qu’ils ont rapidement mis en place un programme de prévention, » poursuit la directrice de La Chrysalide.
Avec ces réalités Á l’esprit, un réseau des pays de l’Océan Indien s’est constitué. Dans ce contexte, deux représentantes de l’Association des Femmes Samaritaines (AFSA) qui travaille avec les travailleuses du sexe Á Madagascar, étaient Á Maurice durant la campagne des 16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre Á la fin 2010. Ils ont eu la chance d’évoquer leurs expériences avec les travailleuses du sexe lors d’un cyber échange de Gender Links. Aux Seychelles, La Chrysalide travaille en collaboration étroite avec CARE, association qui encadre également les travailleuses du sexe.
Grâce Á la Commission de l’Océan Indien, plusieurs ONG et travailleurs sociaux sont en train de mettre sur pied une branche de l’ONG Parapluie Rouge dans chaque pays de la COI. «Ces ONG se concentreront sur la formation des travailleuses du sexe, renforceront leurs capacités afin qu’elles puissent se protéger des proxénètes et d’autres formes de violences basées sur le genre. Elles seront formées quant Á leurs droits. Ces ONG les orienteront vers les centres de soins et leur faciliteront l’accès Á la distribution de médicaments. Elles seront autonomisées afin qu’elles puissent postuler pour n’importe quel emploi si elles le désirent. »
L’autre aspect lugubre Á propos de violence basée sur le genre est le nombre de cas non-rapportés. Derrière des portes closes, des milliers de femmes gardent le secret sur les violences qu’elles subissent. Des 3440 cas de violences basées sur le genre rapportés officiellement Á la police entre janvier et septembre 2010 et les 2215 cas rapportés au ministère de l’Egalité du Genre en 2010, il est improbable qu’une des victimes ait été une travailleuse du sexe. Les statistiques sont muettes quand cela concerne ces femmes. Il y a une perception générale que le viol et la violence font partie de leur travail.
Il n’est pas trop tard pour sauver des vies humaines. Les travailleuses du sexe sont des êtres humains aussi et elles aussi ont des droits. Ne l’oublions pas.
Loga Virahsawmy est directrice du bureau francophone de Gender Links Á Maurice. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links.
Comment on Les travailleuses du sexe sont aussi des êtres humains