Les travailleuses sexuelles malgaches: des esclaves affranchies!


Date: January 29, 2011
  • SHARE:

Il y a une compétition féroce entre toutes ces jeunes femmes qui arpentent les rues et ruelles de Tananarive chaque soir dans le but de trouver un ou plusieurs clients et gagner un peu d’argent pour acheter de quoi se nourrir et sustenter leurs familles. Si les travailleuses du sexe malgaches exercent leur métier comme tous les autres travailleurs du sexe au monde, elles ont quand même un avantage, si l’on peut parler ainsi, sur les autres: elles sont libres et ne sont pas sous la coupe d’un proxénète.

A l’instar de Sarah qui vient de Fort Dauphin et qui vit dans une banlieue de Tananarive depuis maintenant cinq ans. «Toute ma famille vit dans la pauvreté Á  Fort Dauphin. C’est Á  l’extrémité sud de Madagascar. Il faut au moins deux jours en voiture pour y arriver et le voyage coÁ»te cher. Donc cela fait très longtemps que je n’ai pas vu mes parents. Ils pensent que j’exerce un travail respectable ici parce que je leur envoie de l’argent. Initialement, c’était mon but quand je suis arrivée Á  Tananarive mais je ne trouvais aucun boulot ou si j’en trouvais, c’était très mal payé, voire moins de deux dollars par jour. Une fois, j’ai rencontré un Français dans une boite de nuit et je pensais qu’il me draguait. Finalement, j’ai atterri dans sa chambre d’hôtel et nous avons eu des relations sexuelles. Et au petit matin, je ne m’attendais pas Á  ce qu’il me tende 20 dollars. Sans m’en rendre compte, c’était du travail sexuel. »

Le lendemain, le Français l’a appelée pour lui dire que son collègue cherchait une fille pour passer du bon temps. «Au début, cela m’a surpris mais après je me suis dis pourquoi pas. J’ai couché avec cet autre Français. En l’espace de deux nuits, j’avais obtenu l’équivalent de ce que j’ai l’habitude de gagner en un mois. Et lÁ , j’ai commencé Á  fréquenter une boite dans le centre ville. Elle est très fréquentée par des étrangers tous les soirs mais il y a quand même une grande compétition entre les filles. Des fois, je rentre bredouille. Mais la plupart du temps, j’arrive Á  trouver un client ».

Nirindra, 23 ans, est différente de Sarah. Originaire de Tananarive, elle est éduquée et vient d’une famille aisée. Elle s’est retrouvée Á  pratiquer le travail sexuel malgré elle. C’est sa relation avec un homme qui en est la cause. «Mes parents n’avaient pas approuvé l’homme que j’avais choisi d’aimer et avec qui je me suis mariée. Je vivais bien dans ma famille. On ne manquait rien mais quand j’ai connu cet homme, mes parents étaient furieux. Je me suis donc enfuie. Mes parents sont décédés par la suite Á  quelques mois d’intervalles. Entre temps, j’ai eu deux enfants. Mais mon compagnon m’a abandonnée pour une Italienne et a émigré en Italie en me laissant seule avec les enfants. Malgré mon niveau d’éducation, je ne suis pas arrivée Á  trouver un emploi qui paie bien. La crise politique n’a fait qu’empirer les choses ».

Une amie lui explique qu’il y a un moyen de se faire facilement de l’argent. «Je n’étais pas du tout d’accord mais comme je n’avais plus de ressources et que je ne voulais pas que mes enfants en pâtissent – le propriétaire de notre maison menaçait de nous expulser – je n’avais pas le choix. Donc, j’ai commencé Á  faire le trottoir. J’essaie d’avoir au moins deux clients par nuit parce que je dois rétribuer une amie qui veille sur mes enfants la nuit. Le travail sexuel n’est pas facile. Je me suis fait violer deux fois. Je parle de viol car je n’étais pas d’accord avec certaines pratiques sexuelles que les clients me demandaient. Mais dans les deux cas, ils m’ont forcée Á  le faire. Une fois, je suis sortie avec un client. Il a permis Á  son ami d’abuser de moi. Ils étaient ivres tous les deux. Ils m’ont frappée et ne m’ont même pas payée. Ils m’ont traitée de tous les noms. Je suis restée chez moi pendant 15 jours. Traumatisée, j’avais peur mais après je suis retournée sur le trottoir car je n’ai pas le choix. Je sais qu’un jour, je sortirai de cette galère et que je pourrai gagner honnêtement ma vie. Actuellement j’économise de l’argent pour ouvrir une petite épicerie. »

La pauvreté Á  Madagascar reste la raison première de la prostitution dans ce pays. Et dans la majorité des cas, les Malgaches ne jugent pas les travailleuses du sexe. Hanitra, 22 ans habitant Itaosy, explique que certaines de ces filles n’ont pas le choix. « En tant que Chrétienne, je n’approuve pas cela. Moralement, c’est mauvais de vendre son corps mais quelles solutions ont-elles? Sans le travail sexuel, elles n’auraient pas un repas chaud pour se sustenter et un toit pour dormir ».

Certaines villes malgaches sont réputées pour la prostitution et les étrangers y vont pour s’amuser et profiter de ce trafic sexuel. Madagascar est aussi devenue la cible de pédophiles. Plusieurs ressortissants étrangers ont été écroués pour cela. «Nous ne sommes pas contre les filles de joie mais les étrangers doivent savoir que les enfants malgaches ne sont pas des souvenirs de voyages », explique Rija, un policier affecté sur le littoral.

Les prostituées malgaches restent donc libres de leur choix de vie mais il s’agit lÁ  d’une liberté forcée, motivée par des conditions de vie difficiles, dans un pays où la crise politique semble partie pour s’enliser.

Paul Sophonie est journaliste Á  Maurice. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links.

 


Comment on Les travailleuses sexuelles malgaches: des esclaves affranchies!

Your email address will not be published. Required fields are marked *