Mariage islamique Á  Maurice: une loi qui prive la femme de ses droits élémentaires d’épouse


Date: February 19, 2013
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Démocratie, sécularité, égalité des droits, égalité des chances, liberté de conscience. Ce sont lÁ  quelques idéaux auxquels aspirent le gouvernement mauricien et, qui sont a priori, des concepts analogues et naturellement compatibles. Pas tout Á  fait, cependant, quand il s’agit du mariage islamique Á  Maurice. Ce mariage a fait dans le pays l’objet de débats intenses et fort bruyants pendant de longues années, avec pour revendication principale de la part d’une bonne partie de la communauté de foi islamique, la reconnaissance de la Charia, loi islamique, par le législateur mauricien comme étant le régime légal prescrit pour règlementer les mariages conclus par les personnes de confession islamique Á  Maurice.

Ce débat ne date pas d’aujourd’hui. Il découle d’un malaise au sein de cette communauté mauricienne. Beaucoup de Mauriciens de foi islamique refusent d’admettre qu’ils puissent être gouvernés dans leur vie sociale par une loi qu’ils ne reconnaissent pas comme la leur. Ce débat a, cependant, au fil des années, changé de visage, étant tantôt revendiqué par des religieux dans leurs discours, tantôt débattu en termes légaux et constitutionnels mais a été entendu plus souvent dans les discours politiques où il figure généralement en bonne place Á  l’agenda, surtout Á  l’approche de chaque élection générale, pour tenter d’amadouer les Mauriciens de foi islamique et d’obtenir leurs précieux votes.

Ce qui ne change pas, c’est la revendication de cette communauté envers la promulgation de la Muslim Personal Law, une loi entièrement calquée sur la Charia, loi islamique, pour régir certains aspects de leur vie sociale, dont le mariage et la succession entre autres. C’est leur droit, affirment-ils.

Ils n’ont d’ailleurs pas tout Á  fait tort. La Constitution de Maurice, loi suprême du pays, consacre dans son article 11, la liberté de conscience, un droit qui englobe aussi la liberté de religion, assurant Á  toute personne, le droit de choisir et de pratiquer une religion sans discrimination. C’est d’ailleurs sur ce principe constitutionnel que reposent les réclamations des chefs religieux musulmans (pour la plupart, des hommes) militant pour la reconnaissance de la Charia.

C’est même ainsi que le législateur mauricien a jugé bon, en 1981, de promulguer la Civil Status Act de 1981, stipulant que la Muslim Personal Law serait applicable dans tous les cas où les mariés déclarent, au moment de la célébration de leur mariage religieux, leur souhait que leur mariage soit gouverné par la loi Islamique.

Cette même loi prévoit la mise en place d’une commission de juristes islamiques ayant pour but de plancher sur la promulgation de règles islamiques régissant le mariage qui seront incluses dans le droit mauricien. Cette commission de juristes serait guidée par un rapport établi par le professeur Ansari, éminent expert en Charia.

Ce rapport, qui a été jugé rétrograde car constituant un pas en arrière pour des milliers de Mauriciennes de foi islamique, contient des provisions telles que le droit du mari mais pas de la femme, de se remarier au moins quatre fois, ou même de répudier une de ses quatre épouses s’il veut en épouser une cinquième ou encore le droit du mari de battre sa femme pour la “corriger” et le devoir pour la femme d’assouvir tous les besoins sexuels de son mari mais aussi le droit incontestable du mari de prononcer le divorce alors que la femme n’a le droit de demander le divorce qu’avec le consentement de son mari, ou Á  défaut, avec un ordre émanant d’un juge mais ceci n’étant possible que dans les cas où elle a été abusée par son mari. Tout comme cette loi n’assure pas équitablement la succession de la femme Á  l’héritage de son mari.

Ainsi, c’est au grand soulagement de plusieurs militants des droits de la femme qu’en 1987, malgré les maintes protestations des chefs religieux islamiques du pays que le législateur a abrogé l’ancien Civil Status Act pour statuer Á  nouveau Á  l’effet que chaque mariage célébré religieusement, qu’il soit ou non un mariage islamique, doit faire, pour être reconnu en droit, au préalable l’objet d’un mariage civil. Cependant, face aux pressions religieuses et politiques exercées par l’électorat musulman, en 1990, les décideurs ont statué que le mariage islamique peut se faire sans l’obligation d’un mariage civil préalable, avec un simple enregistrement du mariage religieux dans les registres de l’Etat civil.

C’est un arrangement délicat auquel est arrivé le législateur dans un souci d’accommoder les exigences de la Charia et de ne pas enfreindre le droit mauricien. En n’exigeant pas le mariage civil pour les Mauriciens de foi islamique, le législateur ouvre la porte au second, troisième, quatrième, voire cinquième mariage chez les personnes de cette communauté et ce, en toute impunité.

Or, pour rappel, la bigamie est un acte criminel punissable par servitude pénale pour une période n’excédant pas 20 ans mais selon les dispositions actuelles de la Civil Status Act, les Mauriciens de foi islamique pourraient se marier plusieurs fois sans risquer des poursuites légales, et encore moins, de poursuites civiles par les épouses s’estimant lésées. D’autre part, la commission des juristes n’a jamais pu obtenir le consensus et le rapport Ansari n’a jamais été codifié et traduit dans la législation mauricienne.
Il existe donc un flou concernant le mariage islamique Á  Maurice, ce dernier ne tombant pas tout Á  fait, sous le régime de la Charia, tout comme il s’écarte en même temps du régime protecteur du mariage civil.

Cela fait 23 ans que ce compromis difficile perdure et entre les joutes verbales des politiciens et le discours des chefs religieux, ce sont les Mauriciennes de foi islamique qui souffrent de cette vie entre parenthèse. Leur situation est alarmante. Malgré les dispositions du Civil Status Act, très peu de Mauriciens de foi islamique se donnent la peine de contracter un mariage civil ou même d’enregistrer leur mariage religieux dans les registres de l’Etat civil, privant du coup, leurs épouses de la protection qu’offre le régime du mariage civil Á  la femme mariée.

Ainsi, pendant la durée du mariage, le Code civil prévoit que les époux se doivent mutuellement fidélité, secours et assistance, et met en place un régime matrimonial égalitaire en accordant Á  la femme, par exemple, un droit de facto sur le logement familial ou même le droit d’entamer une action en justice quand son conjoint met en péril les intérêts de la famille.

Ce régime de protection subsiste même après la dissolution du mariage civil, qu’il soit par la mort du conjoint ou par le divorce. Dans le cadre d’un divorce, la femme obtient une protection accrue et le juge a l’autorité d’ordonner le versement d’une pension alimentaire ou même de lui accorder l’usage exclusif du toit matrimonial. En cas de décès, la conjointe survivante succède Á  son mari en tant qu’héritière de premier rang et la loi lui accorde le droit de vivre dans la maison de son mari jusqu’Á  sa mort, tout en percevant du gouvernement une pension de veuve.

La Mauricienne de foi islamique qui n’a pas contracté un mariage civil et qui n’a pas enregistré son mariage religieux n’est, aux yeux de la loi, pas reconnue comme une femme mariée et elle est reléguée au statut de concubine, Á  qui le droit mauricien n’accorde qu’une protection sommaire. Entre les règles implacables de la Charia et la protection quasi-inexistante que lui accorde le régime légal actuel, c’est elle qui s’efface inéluctablement devant son mari, qui, dans chacune des deux situations qui lui sont proposées, détient en toutes circonstances les cartes maîtresses.

Ce vide dans le mariage et dans nos lois ne peut perdurer, même si Maurice n’est pas signataire du Protocole de la SADC sur le Genre et le Développement, qui stipule dans son article 15 que chaque pays membre doit assurer l’adoption des lois accordant aux femmes des droits égaux Á  ceux des hommes dans tous les domaines, y compris dans celui du mariage. Il est temps d’ôter Á  ce débat toute coloration politique et religieuse et le reconnaitre sous son vrai visage: celui de veiller Á  ce que la femme ait des droits égaux Á  ceux des hommes, quelque soit sa confession religieuse.

Atisha Roopchand exerce une profession légale Á  Maurice. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links.

 


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