Maryse Ngalula ou la promotion des femmes artistes en RDC

Maryse Ngalula ou la promotion des femmes artistes en RDC


Date: September 16, 2014
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Kinshasa, 31 juillet: L’Å“uvre artistique de la femme congolaise n’est pas souvent considérée comme elle le devrait, ni jugée Á  sa juste valeur car la femme artiste est souvent utilisée comme un objet et non comme un sujet Á  part entière alors qu’elle a le talent et toutes les compétences pour être le leader d’un groupe ou d’un orchestre.

La plupart du temps, elle est toujours sous la « tutelle de l’homme ». Dès lors, on la voit davantage faire office d’accompagnatrice du chef ou être cantonnée dans le rôle de choriste ou de simple danseuse. Il faut dire aussi que les us et coutumes de la société congolaise ne sont pas de nature Á  favoriser son expression individuelle. C’est justement ces multiples blocages pour les femmes artistes que l’artiste congolaise accomplie, Maryse Ngalula, veut briser.

« Les scènes musicales congolaises se vident des talents féminins. L’agence Akaçia vient Á  point nommé pour penser aux lendemains des compositeuses congolaises en mal de positionnement, de promotion et d’encadrement artistique ». Ces propos sont de Maryse Ngalula, qui a depuis quelques années fondé l’agence Akaçia, société de productions, de diffusion et de promotion de l’artiste congolaise.

Maryse Ngalula a mis du temps avant de pouvoir donner libre cours Á  son talent. Huitième d’une fratrie de huit, elle est issue de la tribu Luba établie dans la province du KasaÁ¯ Oriental au centre de la République Démocratique du Congo. Son milieu d’origine n’a au départ pas accepté qu’elle se consacre au domaine artistique. Pendant longtemps et pour cette raison, elle a fait taire son âme d’artiste et réprimé son talent.

Née Á  Kananga, chef lieu de la province, c’est auprès de son frère Bassy Kalala que Maryse Ngagula encore toute jeune, s’initie au chant et Á  la guitare. Mais Á  aucun moment elle n’envisage de faire une carrière de guitariste-chanteuse. C’est beaucoup plus tard, au début des années 90, qu’elle parvient avec succès Á  jouer convenablement de la guitare, la toute première qu’elle peut se payer et qu’elle se décide enfin Á  écrire et Á  composer ses propres chansons.

C’est en juin 1998, lors du festival Kin-Ndule, organisé par le Centre Culturel Français de Kinshasa, que le grand public et les milieux professionnels artistiques du Congo découvrent la perle qu’elle est. Entre 2002 et 2009, pour pouvoir espérer percer un jour, Maryse Ngagula s’installe en Afrique du Sud, plus particulièrement Á  Johannesburg. Elle y réalise, grâce Á  l’Alliance Française de Johannesburg, l’album « Egoli » qui signifie Terre de l’or. Album de quatre titres grâce auquel elle remporte le Prix « Découverte Francophonie 2004 » et le « Prix SABC Africa ». Elle assure alors la première partie du spectacle du musicien sénégalais Ismaël Lô Á  l’occasion d’une de ses tournées dans le pays de Mandela.

Artiste engagée et sensible Á  la violence subie par les femmes et les jeunes filles, elle devient musicienne pédagogue dans le township de Soweto et suit une formation sur la non violence auprès de l’université de Highland. Ce qui lui permet de donner des cours de résolutions de conflits dans de nombreuses écoles.

En juin 2010, elle a été invitée au Festival N’sangu Ndjindji Á  Pointe-Noire en RDC. A cette occasion, elle a rencontré le saxophoniste Jean-Remy Guédon, directeur de l’ensemble Archimusic et ancien membre de l’Orchestre National de Jazz en France. Ils se trouvent des atomes crochus et elle réalise un duo avec ce dernier en janvier 2011. S’ensuivra une tournée au Ghana en mars. En juillet, elle est primée « Artiste du Cinquantenaire » par le Centre Wallonie-Bruxelles de Kinshasa. C’est en janvier 2011 que Maryse Ngalula sort son deuxième album intitulé « Ma différence ».

Maryse Ngalula est Lauréate du Visa pour la Création 2011 de l’Institut Français du ministère des Affaires étrangères. En mars 2012, elle se rend au Vietnam pour représenter la RDC Á  l’occasion de la Journée Internationale de la Francophonie. Et c’est devant le ministre vietnamien des Affaires étrangères et d’Anissa Barrack, directrice de L’IF pour l’Asie Pacifique, que Maryse met sur pied sa propre société de production qu’elle baptise Akaçia qui oeuvre pour la promotion et l’encadrement artistique des artistes congolaises.

En 2013, l’UNESCO la nomme ambassadrice de la jeunesse, de l’éducation Á  la nouvelle citoyenneté et elle est aussi primée par la YMCA du Congo. Elle affirme que «les talents féminins, c’est ce qui manque le moins en RDC. Mais faute de structures bien organisées, toutes les richesses musicales que recèlent le pays, en particulier les femmes talentueuses, ne peuvent être mises en valeur ». A cela, il faut ajouter le manque criant d’un vrai leadership dans le milieu artistique et même sociopolitique.

Il est clair que l’Å“uvre de la femme ne peut pas émerger sans une reconnaissance préalable de la valeur des Å“uvres d’autres femmes qui ont réussi. « On ne peut pas faire un travail de qualité sans passer avant tout par des formations multiples. Et la collaboration entre les femmes doit constituer le fruit d’un réel apprentissage pour démontrer que le dicton africcain qui dit que les femmes ne construisent pas une nation, tient seulement au fait que l’effort requis n’est pas fourni », estime Maryse Ngalula.

En initiant une série de formations pour les femmes artistes dans un projet appelé «Basi Na Mizik », l’agence AKACIA a bon espoir qu’au contact de leurs pairs venus d’ailleurs, Á  travers les témoignages entendus et Á  la vue de l’épanouissement et du professionnalisme des autres, naîtra une motivation susceptible de leur faire vouloir démontrer autant de capacités et la volonté de vivre de son art. C’est donc une alternative de vie qu’elle veut proposer par le biais de ces formations. «J’ai pu construire ma carrière en faisant confiance Á  cette force intérieure qui m’a protégée, atout dont dispose chacune de nous. Donc, on peut gagner sa vie grâce Á  son talent, sans faire un mauvais usage de sa féminité », affirme la coordonnatrice d’AKACIA.

« Si nous réussissons Á  multiplier ces formations dans la durée, cela orientera le territoire musical congolais vers la parité et la musique sera beaucoup plus riche… ». La première formation de Basi na Mizika eu lieu entre novembre 2012 et février 2013 et a réuni 14 jeunes musiciennes recrutées dans les quartiers de la capitale de la RDC, Kinshasa, et les jeunes vivant dans les quartiers les plus reculés de la ville. Les six meilleures du lot ont été sélectionnées pour constituer un groupe musical baptisé au nom du projet.

Composé Á  moitié par des autodidactes, le groupe Basi na Mizik a en son sein trois musiciennes formées Á  l’Institut national des arts congolais (INA) et ce groupe reste le premier orchestre féminin Á  être dirigé par une femme, au Congo et en Afrique. « Nous aidons la femme congolaise Á  sortir de la peur, des frustrations personnelles et de celles imposées par sa société en lui inculquant une nouvelle mentalité. Il faut qu’elle sache qu’elle est un être humain aussi capable de créer et de construire », soutient Maryse Ngalula.

Le répertoire de l’orchestre « Basi na Mizik » s’est progressivement constitué pendant le projet. Il comprend des chansons originales où les membres de cette formation musicale abordent leur vécu quotidien et s’arrêtent aussi sur certaines «expériences personnelles en tant que femmes dans la société. » L’autre partie du répertoire comporte des reprises d’anciens succès congolais, notamment des tubes des pères fondateurs de la musique congolaise moderne comme Grand Kalé, Wendo Kalosoy et Papa Wemba mais arrangés selon d’autres rythmes du terroir Á  l’instar de l’Agwaya et du Mutwashi.

Le projet que mène Maryse Ngalula est conforme aux articles 14-15 de la Constitution congolaise qui assure l’égalité et l’équité entre l’homme et la femme et l’élimination de toute forme de discrimination Á  l’égard de la femme. Il s’inscrit également en droit fil du Protocole de la SADC sur le Genre et le Développement qui réclame l’égalité du genre et la participation paritaire de la femme, soit une répartition 50/50 Á  tous les niveaux.

Arthur Kayumba est journaliste en RDC. Cet article fait partie du service d’information de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles Á  l’actualité quotidienne.

 


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