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Maurice, 23 aoÁ»t: 1835-2015. Cela fait 180 ans que les chaines de l’esclavage ont été brisées et que cette pratique a été abolie dans l’ile. Une date commémorative lui a même été attribuée, soit le 1er février, décrété jour férié dans l’ile. Mais entre 1835 et 2015, force est de constater que certaines formes d’esclavages perdurent toujours. Ce, même si les personnes qui sont plongées dans cet enfer ne portent pas de lourdes chaines aux chevilles et aux poignets. Et le dernier rapport du département d’Etat américain, intitulé Trafficking in person report 2015 le démontre clairement. Il égratigne même Maurice.
Selon ce document rendu public en juillet dernier, le pays ne figure plus sur la liste jaune de ce rapport comme c’était le cas l’année dernière. Il a basculé sur la liste orange, soit le Tiers 2 Watch List. Ainsi, si le gouvernement ne revoit pas sa politique et ne vient pas de l’avant avec des lois spécifiques en vue de faire reculer le trafic humain dans l’ile, Maurice risque malheureusement de se retrouver sur la liste rouge dans ce même rapport l’année prochaine.
Pour cause, plusieurs facteurs soulignés dans ce document ne font pas honneur au pays.
D’entrée de jeu, le pays est cité comme un lieu de transit et de destination pour des victimes de travaux forcés et de prostitution. Des collégiennes et des jeunes filles issues de diverses régions de l’ile sont poussées dans l’enfer de la prostitution soit par leurs familles, leurs amis ou par des hommes d’affaires. Il y est dit que certains chauffeurs de taxi agissent comme démarcheurs/souteneurs et présentent des jeunes filles Á des hommes influents dans l’unique but de les exploiter sexuellement.
Quoiqu’il en soit, le rapport souligne aussi l’engagement du gouvernement mauricien Á lutter contre la prostitution infantile et salue les efforts de la Brigade pour la protection des mineurs qui travaille en étroite collaboration avec le ministère de l’Egalité du genre pour combattre ce problème. Ainsi, le rapport mentionne que pour l’année 2013, sept cas de trafic d’enfants ont été identifiés par les autorités contre deux en 2014. Cette baisse est attribuée aux campagnes intensives du ministère du Tourisme qui distribue des pamphlets aux opérateurs touristiques sur les risques qu’ils encourent s’ils entrainent des enfants dans la prostitution infantile, ainsi qu’aux campagnes de sensibilisation de la Brigade pour la protection des mineurs et de la Police Family Protection Unit.
Mais lÁ où le bât blesse est que lorsqu’il s’agit d’identifier les adultes victimes de la prostitution, le gouvernement peine Á le faire, encore moins Á poursuivre en justice leurs bourreaux et les responsables de ces réseaux qui tiennent leurs victimes pour esclaves. Car selon le Trafficking in person report 2015, les législateurs n’arrivent pas Á proposer une loi appropriée par rapport aux victimes adultes entrainées dans l’enfer de la prostitution.
Alors qu’au chapitre du travail forcé chez les enfants, le ministère du Travail est mis Á l’index. Car si la Brigade de la protection des mineurs a référé 14 cas potentiels de travaux forcés des enfants Á ce ministère, force est de constater que cette instance n’a cependant mené aucune enquête en ce sens. Et n’a donc pas logé des plaintes et envoyé les affaires en cour en vue de poursuivre ceux impliqués dans l’exploitation des enfants. Contacté Á cet effet, un haut fonctionnaire du ministère du Travail a tout bonnement avancé que son ministère n’a aucune information en ce sens. «On va vérifier d’où sortent ces chiffres. A notre niveau, nous avons mené 691 inspections dont un seul cas s’est avéré être du Child Labour. L’affaire est en Cour », a-t-il indiqué.
Les choses se corsent quant aux travailleurs venant de l’Inde, de la Chine, du Bangladesh, du Sri Lanka et de Madagascar, entre autres. Ces derniers, au nombre approximatif de 37 000 Á Maurice, sont employés dans les secteurs de l’industrie et de la construction. Et certains sont soumis Á des travaux forcés. Lorsqu’ils revendiquent leurs droits en menant des actions concrètes, comme par exemple des manifestations ou des grèves dans le but de faire entendre leur voix par leurs employeurs ou par les autorités concernées, ils sont expulsés sans qu’une enquête ne soit menée au préalable pour situer les responsabilités, trouver des solutions Á leurs problèmes et améliorer leurs conditions de travail. De ce fait, le rapport mentionne une quinzaine de travailleurs étrangers expulsés en 2013 après qu’ils aient manifesté pour dire non Á l’esclavagisme moderne dont ils faisaient l’objet.
Dans le sillage de cette affaire, plusieurs travailleurs étrangers ont décidé de rentrer dans leurs pays de leur propre gré, ne pouvant plus supporter les mauvais traitements dont ils faisaient l’objet Á Maurice. La plupart d’entre eux travaillaient plus de 15 heures par jour. Et s’il y a une personne qui connait bien la réalité des travailleurs étrangers dans l’ile, c’est bien la syndicaliste Jane Ragoo et présidente de la CTSP.
« Ce rapport reflète bel et bien la réalité de ces travailleurs étrangers Á Maurice. Et ce ne sont pas les exemples qui manquent. Lorsqu’un travailleur étranger est souffrant, il ne peut même pas se reposer. Les dortoirs se trouvant souvent dans l’enceinte même de l’usine, il n’est pas rare de voir les surveillants débarquer et obliger la personne souffrante Á se mettre au travail. Et si elle refuse, elle est battue et maltraitée », soutient Jane Ragoo qui déplore également le fait que les travailleurs étrangers ne soient pas bien informés de leurs droits une fois qu’ils débarquent Á Maurice.
Car premièrement, dans le but de les exploiter, certains employeurs ne traduisent pas les contrats d’embauches des travailleurs étrangers dans une langue qu’ils sont en mesure de comprendre, comme mentionné dans le rapport. De ce fait, ils signent sans même savoir Á quoi ils s’engagent. Et pour remédier Á cette situation, la syndicaliste est d’avis qu’une Foreign Worker Regulation doit être établie afin que les droits des travailleurs étrangers soient respectés. Mais pas seulement. Allant plus loin dans sa réflexion, elle fait ressortir qu’un bureau spécialement consacré aux travailleurs étrangers doit être l’une des priorités du gouvernement si le bien-être des travailleurs étrangers dans l’ile lui tient Á cÅ“ur.
Car selon elle, seule la Special Migrant Unit du ministère du Travail ne pourra identifier les victimes de travaux forcés chez les travailleurs étrangers. Le rapport avance que cette unité, qui fonctionne avec seulement quatre fonctionnaires, ne peut mener Á bien sa mission en raison du manque d’effectifs. Ces fonctionnaires ne peuvent pas visiter tous les travailleurs, noter leurs doléances et identifier les victimes des travaux forcés. Au ministère du Travail, on se veut rassurant après que ce rapport ait été rendu public. «Ce rapport ne fait pas honneur au pays. Il est vrai que cette unité est en sous-effectif. Mais nous allons rectifier le tir en recrutant trois fonctionnaires supplémentaires dans un premier temps », laisse-t-on entendre. Mais outre les travaux forcés, les conditions de vie des travailleurs étrangers dans l’ile laissent Á désirer. Souvent entassés dans de minuscules dortoirs, certains peinent également Á se nourrir. Alors que ceux qui se retrouvent employés dans des familles sont souvent maltraités et battus.
Et si le rapport mentionne le mauvais traitement des travailleurs étrangers venus de loin, nos voisins de l’ile Rodrigues qui fait partie de la République de Maurice ne sont pas épargnés. Le départ massif des Rodriguais Á destination de Maurice pour cause de chômage dans leur pays natal est la première raison qui les pousse Á aller chercher un meilleur avenir loin de leur terre. Mais ils sont vite rattrapés par la réalité comme le précise le rapport sur le trafic humain de 2015 du département d’Etat américain. Selon ce document, les Rodriguaises sont réduites Á un état d’esclavages chez ceux qui les engagent comme domestiques alors que dans d’autres cas, elles sont entrainées dans l’enfer de la prostitution.
Maurice est signataire de plusieurs Conventions sur le respect des droits humains. Elle a même une législation contre le trafic des êtres humains. Mais sans un plan d’action concret, l’île peinera toujours Á tenir ses engagements.
Laura Samoisy est journaliste Á Maurice. Cet article fait partie du service d’information de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles Á l’actualité quotidienne.
Comment on Maurice : Le pays est égratigné par le département d’Etat américain par rapport au trafic humain