Maurice: modèle de démocratie?


Date: September 26, 2014
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Port-Louis, 26 septembre: Le poème intitulé « La complainte du vieux marin », Å“uvre de Samuel Taylor Coleridge se lit comme suit: « De l’eau, de l’eau, partout de l’eau, Nulle goutte ne nous restait ». Ces vers paraissent prophétiques lorsque l’on songe Á  l’agitation et aux inégalités du genre persistantes dont nous sommes témoins Á  Maurice actuellement. Les femmes sont représentées presque partout dans divers secteurs de la vie publique et privée mais elles restent invisibles Á  la table des négociations des partis politiques.

Les deux partis politiques majeurs dans ce pays, le Parti Travailliste (PTr) et le Mouvement Militant Mauricien (MMM) ont contracté une alliance. Au cours de leur conférence de presse conjointe samedi dernier, il n’y a eu aucune mention du genre parmi les neuf priorités officiellement citées par les deux leaders, Navin Ramgoolam et Paul Bérenger. C’est uniquement lorsque les Mauriciens verront la liste des partis pour les élections générales qu’ils sauront si le slogan de l’alliance PTr/MMM, « Un peuple uni, un pays moderne » deviendra réalité.

Chaque parti est tombé d’accord pour aligner 30 candidats dans chaque circonscription, soit un total de 60 candidats et de nommer 12 ministres chacun. Cependant, ils n’ont pipé mot sur le nombre de femmes candidates qu’ils aligneraient ou le nombre de femmes ministres qu’ils nommeraient. En termes d’égalité du genre, Maurice affiche la désolation avec seulement 18.8% de femmes au Parlement et seulement 8% de femmes au conseil des ministres, le taux le plus bas dans toute la région de la SADC. Nommer des femmes Speaker, adjoint au Speaker ou encore Chief Whip est une mascarade de la volonté politique et de l’engagement en faveur de l’égalité du genre. Que l’on cesse d’essayer de nous embêter car nous savons que ce ne sont pas des postes de prise de décisions.

Avec l’imminence des élections générales, les Mauriciens et les médias examinent de près l’arène politique. Radio Plus diffuse une émission quotidienne sur les élections Á  venir alors que la presse écrite publie chaque jour des articles et des interviews hebdomadaires sur la politique. Mais tout ce discours politique est saturé avec des formes subliminales de sexisme et de discrimination Á  l’égard des femmes. Jusqu’Á  l’heure, il ne s’est trouvé aucun politique, expert, politologue ou activiste politique Á  mentionner le mot « femme », et encore moins Á  aborder le sujet des femmes candidates aux prochaines élections. Le mot « femme » fait apparemment défaut dans le vocable de ceux qui prétendent unir le peuple. C’est curieux lorsque l’on tient compte du fait que 51% des personnes constituant la nation, ce sont des femmes.

Le 24 mars dernier, le Premier ministre, Navin Ramgoolam, a présenté un Livre Blanc sur la réforme du système électoral qui démontrait un haut niveau d’engagement politique en faveur de l’égalité du genre. Ce document soulignait le fait que la représentation féminine au Parlement a légèrement augmenté de 5.7% en 1983 Á  17.1% en 2005 et Á  18.8% en 2010. Lors de la présentation dudit document, le Premier ministre a déclaré que «Nous sommes en 2014. Les espoirs et aspirations de notre peuple comprennent ceux de la moitié de notre population qui a été historiquement sous-représentée Á  l’Assemblée nationale et dont la contribution potentielle Á  notre culture politique et Á  notre société n’est pas optimisée et je parle lÁ  des femmes ».

Dans notre soumission Á  ce document relatif Á  la réforme électorale mais dans une perspective du genre, envoyée au Premier ministre, Gender Links et la SADC Gender Protocole Alliance ont argué que Maurice doit saisir cette opportunité unique en 1) optant pour le pourcentage plus élevé de sièges de représentation proportionnelle dans n’importe quel système électoral mixte et 2) augmenter le ratio de son quota du genre neutre d’un tiers de chaque sexe Á  la moitié de chaque sexe, soit 50/50. Ce qui est triste, c’est que ce document ne sera présenté au Parlement qu’après les élections, signifiant qu’une sphère politique plus égalitaire au niveau du genre ne sera atteinte qu’Á  la suite des élections générales de 2020.

Alors que le compte Á  rebours a commencé pour l’échéance du Protocole de la SADC sur le Genre et le Développement en 2015, Maurice est Á  une unique croisée des chemins avec aussi bien l’application de quotas pour les femmes dans la nouvelle législation sur les administrations régionales adoptée en 2012 et les leçons tirées des autres pays de la SADC. Les dernières élections des collectivités locales ont indiqué une quadruple augmentation des femmes, soit de 6.4% Á  26% en décembre 2012 Á  la suite de l’adoption de mesures spécifiques. Bien que Maurice n’ait pas encore signé le Protocole de la SADC sur le Genre et le Développement, le pays a signé le document précurseur, soit la Déclaration de la SADC sur le Genre et le Développement en 1997, qui comme le Protocole, demande aux Etats membres d’assurer une représentation égale des femmes et des hommes Á  des postes de décision et ce, Á  tous les niveaux.

Il est temps pour les partis politiques de tenir compte de cet engagement et de faire avancer au niveau national, les progrès réalisés au niveau local. Gender Links a formé des femmes pour être candidates. Plusieurs d’entre elles sont disposées Á  relever le défi. Si nos partis politiques sont si sÁ»rs du nombre de sièges qu’ils remporteront, ils devraient aligner des femmes afin qu’elles soient élues. Des femmes conseillères comme Meera Ramgutty, Priscilla Bignoux et Nirmala Mohur, pour ne citer que celles-lÁ , sont en train de changer les vies dans leurs communautés. Pourquoi ne pas leur donner la chance de le faire au niveau national ?

La politique doit être faite par le peuple et pour le peuple. Plus de la moitié de ces personnes sont des femmes. C’est seulement lorsque les partis politiques montreront un engagement réel envers l’égalité du genre que Maurice pourra prétendre qu’elle est un modèle de démocratie dans la région de l’Afrique australe. Car il n’y a pas de démocratie sans la participation égale des femmes.

Loga Virahsawamy est l’ancienne directrice du bureau francophone de Gender Links. Elle est membre du conseil d’administration de cette organisation non gouvernementale de l’Afrique australe. Cet article fait partie du service d’information de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles Á  l’actualité quotidienne.

 


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