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Maurice, 28 juillet: Chances égales. Droits égaux pour tous. A travers le monde, ces slogans sont des moteurs de la démocratie de nombreux pays. Y compris de Maurice, même si la bataille contre la discrimination n’est pas toute Á fait gagnée. Et une fois n’est pas coutume, ce sont les personnes en situation de faiblesse qui sont les premières Á ne pas bénéficier d’un traitement égal, de chances égales et dont les droits constitutionnels sont parfois bafoués.
« Chances égales et droits égaux pour tous sont des slogans qui sonnent creux lorsqu’il s’agit de faire respecter les droits des personnes vivant en situation de handicap », affirme Yaaseen Edoo, 28 ans. Et il sait de quoi il parle car sa vie est un véritable défi au quotidien. Pour cause, il est atteint d’une malformation de la colonne vertébrale depuis sa naissance. Ce qui le prive de toute mobilité et le contraint Á se déplacer dans un fauteuil roulant.
Mais il ne se laisse pas abattre pour autant. Bien au contraire. Il a fait de son handicap sa force et du respect des droits des personnes vivant en situation de handicap son cheval de bataille. Une mission qui tient vraiment Á cÅ“ur Á Yaaseen Edoo depuis qu’il a intégré le Leonard Cheshire Disability Young Voices de Maurice il y a trois ans. Et c’est au sein de cette association dont la maison mère est basée Á Londres que le jeune homme mène sa lutte. D’ailleurs son engagement vient d’être reconnu par nulle autre que sa Majesté la reine Elisabeth II qui lui a remis le Queen’s Young Leader Award en Angleterre. Alors qu’Á Maurice, la Junior Chamber International lui a décerné le trophée du Most Outstanding Young Person de l’année 2015.
«Les personnes vivant en situation de handicap dans l’ile font face Á beaucoup de discrimination et ce n’est pas normal surtout dans une démocratie comme la nôtre qui se veut exemplaire », argue Yasseen Edoo. Premièrement dit-il, l’accès Á l’éducation est très limitée. « Lorsqu’on présente par exemple un handicap lourd comme moi qui dois me déplacer en fauteuil roulant, on nous considère comme un fardeau. Les bus scolaires ne veulent pas nous prendre Á leur bord pour nous conduire Á l’école car cela demande de l’effort de nous placer Á l’intérieur de l’autobus et ensuite pour nous déplacer une fois arrivés Á destination », avance ce dernier. Mais il n’y a pas que cela. Car le problème est encore plus sérieux surtout lorsqu’il s’agit de l’éducation inclusive.
« Certaines institutions spécialisées nous accueillent jusqu’au School Certificate. Et puis, ça s’arrête lÁ . Les sourds-muets et les aveugles ne peuvent aller au bout de leur scolarité secondaire, ni aller Á l’université car il n’y a pas de facilités pour eux. Dans de nombreuses correspondances adressées au gouvernement, j’ai soulevé ces questions. Car l’accès Á l’éducation pour les personnes en situation de handicap doit être une priorité nationale, surtout si l’on veut que nous soyons autonomes et des acteurs de la société », avance Yaaseen Edoo.
De l’autre côté, soutient-il, il y a aussi une autre réalité qui donne froid dans le dos. Cela concerne l’emploi de la personne handicapée. A force de persévérance, il s’est battu de toutes ses forces pour compléter ses études secondaires et universitaires. Mais malgré une licence en multimédias et Web décrochée auprès de l’université des Mascareignes en octobre 2014, il est toujours sans emploi. «Quand j’étais petit, le directeur d’une école primaire a refusé de m’accueillir dans son établissement Á cause de ma condition physique. A la maison, j’ai dÁ» apprendre Á lire et Á écrire par moi-même en regardant les programmes éducatifs Á la télévision. Puis j’ai commencé Á lire les journaux. Ensuite, j’ai croisé des personnes sur ma route qui m’ont inscrit dans une école spécialisée Á l’âge de 12 ans. Un enseignant a vu que j’avais un bon potentiel. Il m’a inscrit aux examens du CPE et j’ai réussi. Ensuite un collège d’Etat m’a accueilli et lÁ , j’ai pu compléter mon cycle secondaire.”
Son Higher School Certificate en poche, le jeune Yaaseen qui ne voulait plus s’arrêter, a rejoint les bancs de l’université des Mascareignes où il décroche sa licence en multimédias et Web. «Depuis que j’ai mon diplôme en poche, j’ai envoyé ma candidature Á bon nombre d’entreprises. Certaines m’ont contacté. Mais dès que j’ai évoqué ma situation de personne handicapée en fauteuil roulant, elles ont coupé tout contact. Et dire que selon la loi, toute entreprise qui emploie plus de 35 personnes doit avoir dans son équipe un minimum de 3% de ses employés en situation de handicap. Mais peu d’entreprises respectent cette clause », se désole-t-il.
Il est convaincu que pour que les choses bougent, il appartient au gouvernement de donner l’exemple en premier. «Car lorsque j’assiste Á des conférences où ces questions sont soulevées, les patrons des firmes privées demandent aux représentants du gouvernement ce qu’ils comptent faire et les réponses sont rarement satisfaisantes. Si le gouvernement ne donne pas l’exemple, les firmes privées ne suivront pas ».
Et quid des infrastructures publiques? Sous ce chapitre, Yaaseen Edoo concède qu’il y a également un énorme travail Á faire. Comme l’introduction des autobus «semi-low floors » annoncés par le gouvernement sortant et qui se font toujours attendre, l’aménagement de trottoirs spacieux permettant aux personnes en situation de handicap de circuler en toute sécurité, la construction de logements sociaux répondant aux besoins des personnes handicapées pour ne citer que ceux-lÁ .
Il compte persévérer dans son lobbying afin que tous ces projets deviennent un jour réalité. «Je partage aussi mes idées avec d’autres jeunes en situation de handicap qui militent pour les droits de nos camarades Á travers le monde au sein du Global Partnership On Children with Disability de l’Unicef. Car c’est ensemble que nous pourrons gagner et mieux faire entendre nos voix. »
Etant l’ainé d’une fratrie de deux enfants, son père est policier et sa mère femme au foyer. Yaaseen Edoo fait la fierté de toute sa famille de par son engagement. Dans la vie, c’est aussi un jeune homme rempli de vie qui passe la majeure partie de son temps Á surfer sur Internet et Á se documenter Á travers la télévision. Car dit-il, les loisirs pour personnes handicapées sont très limitées dans l’ile.
En attendant de décrocher un emploi, Yaaseen Edoo savoure ses deux récompenses. Il n’oublie pas aussi ces personnalités formidables qu’il a rencontrées au cours de son séjour en Grande Bretagne et qui font désormais partis de ses meilleurs souvenirs, comme la journaliste Yalda Hakim, présentatrice de la British Broadcasting Corporation ou encore le footballeur David Beckham. Dans la région de l’Afrique australe, c’est le même combat que mène Gender Links en faveur de l’inclusion des personnes handicapées. Une lutte qui est loin d’être gagnée toutefois.
Laura Samoisy est journaliste Á Maurice. Cet article fait partie du service d’information de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles Á l’actualité quotidienne.
Comment on Maurice: Yasseen Edoo, un handicapé défenseur des droits de ses semblables