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Port-Louis, 26 juin: Environ 800 femmes meurent chaque jour Á travers le monde de causes évitables liées Á la grossesse ou Á l’accouchement. Et d’après l’Organisation Mondiale de la Santé, (OMS), 99% de ces décès surviennent dans des pays en développement. Pourtant, cette organisation travaille en étroite collaboration avec certains de ces pays afin de faire reculer la mortalité maternelle. Pour ce faire, elle fournit des recommandations cliniques et des programmes basés sur des données factuelles, fixe des normes mondiales et apporte un soutien technique Á ses Etats membres dont Maurice.
Mais force est de constater que le pays, souvent cité en exemple sur le continent africain et ce dans plusieurs domaines, y compris celui de la santé, est pointé du doigt ces derniers temps dans deux rapports internationaux sur la santé maternelle. Pour cause, le dernier rapport du World Health Statistics (WHS), rendu public récemment, indique que Maurice est le seul pays d’Afrique Á reculer en termes de mortalité maternelle et ce, entre 1990 et 2013. Selon ce rapport, neuf femmes sur 1000 sont mortes des suites ou durant leur accouchement en 2013 contre quatre femmes sur 1000 dans les années 90.
Toutefois, la WHS n’est pas l’unique rapport qui égratigne le pays sur ce chapitre. D’après le classement mondial de l’organisation non gouvernementale Save the Children, sur les pays offrant les meilleures conditions pour l’accouchement, document rendu public le 4 mai dernier, Maurice figure Á la 70ème place sur une liste de 179 pays. Or, dans ce même classement l’an dernier, Maurice était Á la 56ème place. On a donc dégringolé de 14 places.
Quoiqu’il en soit, le Dr Aravind Pulton, gynécologue et consultant auprès de l’hôpital SSRN est catégorique. Le taux de mortalité maternelle n’a pas augmenté dans l’ile, dit-il. «On calcule le taux de mortalité maternelle en prenant le nombre de grossesses annuelles que l’on divise par le nombre d’accouchements annuels et le chiffre obtenu est multiplié par 100 000 », avance ce dernier qui explique par ailleurs que c’est en terme de ratio qu’il y a eu une hausse mais que celle-ci est artificielle. « En 1990, il y a eu 15 décès. En 2010, cinq femmes sont mortes en couches. En 2013, elles étaient neuf Á mourir en couches et en 2014, nous avons eu sept décès. Tout cela pour dire que le nombre absolu de femmes mortes en couches a diminué ».
De plus, souligne ce dernier, avant même l’introduction des Objectifs du Millénaire pour le Développement par les Nations Unies, Maurice respectait déjÁ leurs recommandations afin de diminuer le taux de mortalité maternelle, Á savoir un accouchement pratiqué en milieu médical par un personnel qualifié, l’accès Á la chirurgie et Á la transfusion sanguine 24h sur 24, l’accès aux antibiotiques et aux antihypertenseurs, un accès rapide Á un milieu médical lorsque le bébé va se présenter et un service de planification familiale efficace.
Quoi qu’il en soit, pour Save the Children, la disparité qui existe et qui se creuse de plus en plus entre la prise en charge des mères issues de milieux aisées et les plus démunis est une des causes de la mortalité maternelle dans le pays. Car même si le service de santé public est gratuit, certains protocoles mis en place dans les hôpitaux empêchent les femmes d’avoir accès Á des soins appropriés. Et le cas de Corinne Marceline, 25 ans, en dit long. Victime d’une première fausse couche il y a deux ans lorsqu’elle était Á son sixième mois de grossesse, elle vient une fois de plus de perdre le bébé qu’elle attendait. Comme dans un vilain jeu de miroir, elle en était encore Á son sixième mois de grossesse.
Sauf que, cette fois, elle aurait pu ne pas revivre cette expérience traumatisante de perdre son bébé si elle avait été prise en charge correctement. « Après ma première fausse couche, le médecin qui m’avait examinée Á l’hôpital m’a dit que pour la prochaine fois, je devais impérativement subir une simple intervention qui est le cerclage du col de l’utérus pour éviter que je ne perde mon bébé car mon col de l’utérus a tendance Á se dilater », raconte la jeune femme.
Mais lors de sa deuxième grossesse, elle est choquée lorsqu’un autre médecin de l’hôpital lui annonce qu’un protocole bien établi ne lui permet pas d’avoir accès Á l’insertion d’une bande Á cercler. « On m’a dit que ce n’était qu’après avoir été victime de deux fausses couches qu’une femme peut bénéficier du cerclage du col de l’utérus. C’était le règlement de l’hôpital que je n’arrivais pas Á comprendre tant je le trouvais ridicule. Et j’ai consulté une clinique privée pour cette intervention. Mais elle s’élevait Á Rs 50 000 et je n’avais pas cet argent. Du coup, je n’ai pu avoir accès Á ce soin et j’ai continué mes traitements Á l’hôpital. »
Craignant le pire, elle se fait suivre régulièrement Á l’hôpital et se fait examiner tous les quinze jours. Du moins jusqu’Á son cinquième mois et demi de grossesse. « Au bout de mon cinquième mois de grossesse, le médecin m’a affirmé que je ne risquais pas la fausse couche. Il a décidé d’espacer mes rendez-vous. Ainsi, je devais me rendre Á l’hôpital une fois par mois. Mais trois semaines avant le premier rendez-vous mensuel indiqué, j’ai éprouvé des douleurs atroces et j’ai fini par perdre mon bébé. J’estime que si l’on avait accepté de me faire le cerclage du col, je n’aurai pas perdu mon enfant », fait ressortir Corinne Marceline.
Elle estime qu’elle a été victime d’une négligence médicale et a porté plainte auprès du ministère de la Santé qui a, de son côté, ouvert une enquête. Toutefois, interrogé Á propos de ce protocole concernant le cerclage du col de l’utérus, ledit ministère n’a pas répondu Á nos nombreuses sollicitations. Du côté du WHS, le manque de spécialistes en gynécologie et d’anesthésistes, comme souligné dans le rapport, sont deux facteurs directement liés Á la hausse de la mortalité maternelle Á Maurice. Ce n’est pas le Dr Waseem Ballam qui le contredira. Il est le président de la Medical Health Officers Association.
« Il y a un manque de médecins actuellement dans le pays et cela dure depuis pas mal de temps. Le soir, les médecins généralistes sont mêmes appelés Á assister des femmes enceintes alors qu’un gynécologue serait plus indiqué pour le faire. Pour résoudre ce problème, je suis d’avis que le ministère doit venir avec un shift system pour qu’il y ait un spécialiste dans chaque domaine Á l’hôpital 24h sur 24 », soutient le Dr Ballam. Mais lÁ encore, l’éventuelle application d’un shift system Á l’hôpital ne fait pas l’unanimité parmi les spécialistes. Ramesh Purunsing, de la commission Amélioration Santé, avance des raisons qui choquent.
« Actuellement, les spécialistes fonctionnent sur ce qu’on appelle un système de on-call. Lorsqu’il y a une urgence, on les appelle pour qu’ils viennent examiner le patient. Or, l’idéal serait qu’il y ait un spécialiste Á l’hôpital 24h sur 24. Mais les médecins eux-mêmes ne veulent pas agir dans l’intérêt du patient. Pour cause, ils sont nombreux Á opérer dans le privé, soit dans des cliniques ou dans leurs propres cabinets médicaux. Ils font de la pratique privée après leur travail Á l’hôpital. Ils ne pensent pas en premier Á la santé des patients mais Á leurs poches », allègue Ramesh Purunsing. Il poursuit: « Pour le moment, et principalement la nuit, ce sont des médecins généralistes qui sont appelés lorsqu’il y a une urgence en attendant que le spécialiste arrive. Mais entre le temps qu’on téléphone Á ce dernier et son arrivée effective Á l’hôpital, le pire peut se produire. Car dans bien des cas, les spécialistes habitent Á plusieurs kilomètres de l’hôpital et doivent mettre une heure, voire plus avant d’arriver », déplore-t-il.
Face Á de telles situations, les cas de négligences médicales, surtout par rapport Á la santé maternelle, sont souvent rapportés dans les journaux. Mais malgré les enquêtes ouvertes par le ministère de la Santé pour faire la lumière sur ces nombreux cas, les médecins sont rarement sanctionnés. Et les conclusions des enquêtes ne sont pas rendues publiques.
Le Protocole de la SADC sur le Genre et le Développement demande Á ses Etats membres d’adopter des mesures appropriées afin de réduire le taux de mortalité maternelle de 75% jusqu’Á 2015. Mais même si Maurice n’est pas signataire de ce traité, elle respecte la plupart de ses dispositions. Pour réduire Á son minimum le taux de mortalité maternelle dans l’ile et améliorer la prise en charge de femmes enceintes, il y va aussi de la responsabilité des professionnels de santé qui ont parfois tendance Á oublier qu’ils ont fait le serment d’Hippocrate.
Laura Samoisy est journaliste Á Maurice. Cet article fait partie du service d’information de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles Á l’actualité quotidienne.
Comment on Mortalité maternelle et conditions durant l’accouchement: Maurice dégringole-t-il?