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Une récente descente policière dans un salon de massage Á Curepipe, Maurice, nous pousse Á une importante réflexion. L’opération fortement médiatisée a eu comme résultat l’arrestation de trois jeunes femmes: l’une est propriétaire du salon et les deux autres, des masseuses qui s’adonnaient Á des activités sexuelles sous couvert de soins corporels. Le lendemain les trois jeunes femmes ont vu leurs noms, leur âge respectif et leurs photos publiés dans la presse. Celle-ci rapporte que «Lors de la descente policière, la police est tombé sur quatre clients masculins, deux desquels se trouvaient en compagnie des masseuses. L’un est un habitant de Quatre-Bornes, âgé de 22 ans et l’autre un habitant de Vacoas âgé de 41 ans. » C’est ce qu’on appelle un double traitement.
Les clients qui seraient tous des hommes mariés n’ont pas été arrêtés vu qu’ils n’ont pas été pris en flagrant délit, c’est-Á -dire qu’au moment du raid, ils ne participaient pas Á une activité répréhensible. Aucun journal n’a publié leur photo. Ces derniers ne seront pas inquiétés. Quand la presse interroge l’un deux, cela se fait sous couvert de l’anonymat. On peut se demander comment eux se tirent d’affaire aussi facilement alors que les jeunes femmes sont embarquées par les policiers pour prostitution et tenue de bordel.
Cela nous ramène Á l’arrestation de trois stripteaseuses dans un club privé de Baie du Tombeau en février 2007. C’était au cours d’une opération policière que des policiers en civil se sont présentés Á la porte du Ritz Club. Leur mission: saisir des CD piratés. Toutefois, Á l’intérieur, ils constatent que trois strip-teaseuses ne portent que des strings et dansent sur scène. Une vingtaine de minutes plus tard, trois autres filles prennent le relais. Un des policiers appelle le quartier général de l’Anti Drug and Smuggling Unit pour demander du renfort. Quelques instants après, un important effectif de police arrive devant le club.
La boîte de nuit est perquisitionnée, trois jeunes filles sont prises sur le fait, dansant nues sur la scène. Un des policiers donne l’ordre d’arrêter le spectacle. Les clients sont priés de vider les lieux. Ils ne sont pas inquiétés mais le lendemain, c’est la photo des jeunes femmes qui est publiée dans la presse. Elles sont accusées d’actes indécents en public mais sont relaxées lors du procès.
Ces deux cas mettent en lumière la discrimination évidente qu’il y a envers les travailleuses du sexe dans les médias. «Mon entourage ne sait pas que je me déshabille en dansant pour gagner ma vie. Mes proches savent que je travaille dans un club mais ils croient que je chante et j’ai peur qu’ils apprennent véritablement ce que je fais si jamais je suis arrêtée », a expliqué la danseuse Veena au moment de son arrestation et de ses collègues stripteaseuses.
Elles évoluent dans un monde très dur qui peut toutefois leur faire gagner beaucoup d’argent, soit entre Rs 20 000 et Rs 25 000 mensuellement (entre 4000 Á 5000 rands). Or, le salaire moyen d’une ouvrière d’usine ne dépasse pas les Rs 4 000, soit 1000 rands. Quand elle fait des heures supplémentaires, cette dernière peut percevoir jusqu’Á Rs 8 000, soit 2000 rands.
Veena dénonce une certaine hypocrisie. «Quand ce sont les Chippendales ou des étrangères qui viennent faire du striptease, tout le monde applaudit. Mais quand ce sont des Mauriciennes qui le font, on crie au scandale. Il faut cesser de prendre les gens pour des imbéciles, » clame-t-elle. Une opinion que partagent non seulement les stripteaseuses mais également un grand nombre de défenseurs de la sacro-sainte liberté individuelle.
En l’absence de dispositions légales autour du strip-tease, cette profession donne lieu Á certains abus au détriment de ces stripteaseuses. Certaines, moins chanceuses, finissent par tomber sous le joug de gérants sans scrupules qui les poussent vers la prostitution, histoire de s’en mettre plein les poches.
«Si certains établissements obligent leurs danseuses Á se prostituer, il faut certes agir, mais le strip-tease en lui-même n’a rien de répréhensible », assure Veena, qui dit avoir côtoyé des jeunes femmes qui ont connu cette descente aux enfers. «Dans le milieu, on sait très vite dans quelle boîte il vaut mieux ne pas aller chercher du travail si on ne veut pas mal finir. »
Dans un article écrit pour le compte de Gender Links, Loga Virahsawmy, directrice du bureau francophone de cette organisation non-gouvernementale de l’Afrique australe, a affirmé que «comme le travail sexuel est illégal Á Maurice, les travailleuses du sexe ne sont protégées par aucune loi. Ces dernières sont arrêtées et emprisonnées alors que leurs clients agissent en toute impunité. Les travailleuses du sexe ne peuvent même pas se rendre Á l’hôpital pour se faire soigner. La stigmatisation et la discrimination étant le revers et l’avers d’une même pièce, il leur est difficile de l’assumer. »
Il existe pourtant des mouvements comme la Chrysalide qui vient d’être primé en Afrique du Sud pour son travail de réhabilitation des travailleuses du sexe et pour la reconnaissance de leurs droits Á l’éducation, Á la santé et Á être protégées par des lois.
«Des 3440 cas de violences basées sur le genre rapportés officiellement Á la police entre janvier et septembre 2010 et les 2215 cas rapportés au ministère de l’Egalité du Genre en 2010, il est improbable qu’une des victimes ait été une travailleuse du sexe. Les statistiques sont muettes quand cela concerne ces femmes. Il y a une perception générale que le viol et la violence font partie de leur travail », écrit encore Loga Virahsawmy.
Exposer les travailleuses du sexe/stripteaseuses ou les exhiber Á l’opprobre ne rend service Á personne sinon Á les rendre davantage vulnérables dans une société où il est difficile de se reconstruire après un lynchage médiatique public. La presse devrait sérieusement se remettre en question Á ce sujet.
Jimmy Jean-Louis est journaliste Á Maurice. Cet article fait partie du service d’opinions et de commentaires de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles Á l’actualité quotidienne.
Comment on Plus de respect pour les travailleuses du sexe/stripteaseuses mauriciennes