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Aujourd’hui, on ne peut plus dire «Plus jamais ça » mais plutôt «c’était du jamais vu jusqu’ici » en référence aux trois cas d’abus sexuels qui ont eu lieu en une semaine. Un père de 34 ans a été vu violant sa propre fille de 15 ans. Un travailleur manuel a avoué avoir violé une jeune femme handicapée mentale. Mais le pire est le cas de la petite Joannick Martin qui a été sexuellement abusée et brÁ»lée vive au point de n’être plus qu’un petit amas de chairs carbonisées. Son meurtrier, qui n’est autre que son oncle, le frère de sa mère, a reconnu l’avoir brÁ»lée vive car il craignait qu’elle ne le dénonce.
Depuis le début de l’année, 4000 cas de violences sur les enfants ont été rapportés aux autorités. Ce chiffre est inimaginable pour un pays qui se positionne comme un modèle de démocratie dans la région. Il y a trop de bébés filles, de jeunes femmes et de femmes âgées qui perdent leur vie Á travers des actes de violence. Après chaque meurtre, l’indignation publique est Á son paroxysme et des marches de solidarité sont organisées. Les politiciens, les organisations non-gouvernementales et les autres parties prenantes viennent alors de l’avant pour dénoncer cette barbarie et font la Une de l’actualité. Mais cet outrage public retombe vite et chacun reprend son train-train quotidien. Nous sommes tous coupables de mutisme.
Les cas de violence envers le genre se multiplient et montent toujours d’un cran dans le registre de l’horreur mais il n’y a toujours pas de plan concret de prévention contre elle.
Les médias doivent être félicités pour tenir la population informée de ces cas et de tous leurs détails sordides. Nous sommes tous choqués lorsque nous voyons ces horribles photos dans les médias. Et c’est Á travers les médias, encore eux, que les Mauriciens obtiennent l’information et les statistiques Á propos de la violence envers le genre. Nous devons aussi remercier la police qui piste et arrête rapidement ces meurtriers. Selon la législation en vigueur Á Maurice, ces derniers risquent 45 ans de réclusion criminelle. Mais qu’en est-il des prédateurs qui sont libres et tapis dans l’ombre et qui attendent leur heure pour bondir sur leurs proies?
Nous connaissons tous les cas de femmes dont les maris violents, pourtant frappés d’une injonction les empêchant formellement d’approcher leurs épouses mais qui parviennent finalement Á être agressées et tuées par leurs conjoints. Une de ces femmes a même été tuée en pleine rue. Comment pouvons-nous oublier le cas de Marie-Ange Milazar qui a été violée, sodomisée et son ventre ouvert parce que ses assassins voulaient voir le bébé de huit mois qu’elle portait en son sein. Il n’y a pas si longtemps, une femme a eu le sexe brÁ»lé par son amant. Tout comme nous n’oublions pas le cas de cette femme tuée par son mari et enterrée par lui dans leur propre maison.
Il y a aussi des centaines de femmes qui sont encore en vie mais qui ont subi le viol, le viol collectif, les agressions sexuelles, le harcèlement sexuel et d’autres formes d’abus. Il nous faut mettre un terme Á la pratique consistant Á dispenser un remède alors qu’il est trop tard, le fameux «apre la mor latizann » comme on le dit si bien en kreol mauricien. Nous sommes devenus une nation de pompiers qui se contentent de circonscrire un incendie plutôt que d’empêcher que celui-ci ait lieu.
Retournons un peu en arrière et prions pour Chrystelle, cette enfant de cinq ans qui est morte après avoir été sexuellement abusée et la petite Janita, trois ans, dont le corps a été retrouvé en mer après qu’elle ait fait l’objet d’un viol collectif et d’une sodomie.
Notre société est malade et il n’y a aucun traitement pour cela. Les ateliers de travail, la formation, le plaidoyer, la couverture médiatique ne freineront pas la violence envers le genre. Dépenser de grosses sommes d’argent et offrir des déjeuners au cours d’ateliers de travail ne serviront pas Á grand-chose.
Le Protocole de la Communauté de l’Afrique australe sur le Genre et le Développement, signé par les chefs d’Etats des pays membres, demande aux gouvernements de réduire la violence envers le genre de moitié d’ici 2015. Il ne nous reste que quatre ans et demi avant ce délai et la violence envers le genre n’est pas qu’en hausse mais elle devient aussi plus barbare.
L’étude des progrès du genre dans les médias menée par Gender Links entre la mi-octobre et la mi-novembre 2009 indique que la couverture médiatique accordée Á la violence envers le genre est de 2% pour Maurice. Cela signifie que bien que les médias accordent une grande couverture Á la violence envers le genre, ils le font lorsqu’il y a des cas rapportés et non pas de manière soutenue. Les médias doivent être partie prenante de la solution et doivent dénoncer régulièrement ces actes de violence.
Gender Links prend le taureau par les cornes avec son projet d’étude sur les indicateurs de violence envers le genre. Ce projet vise Á évaluer de façon exhaustive son étendue, ses effets et les réactions qu’elle suscite comme indiqué dans le plan d’action national pour combattre la violence domestique. Il s’agit de tester et de mesurer la violence envers le genre Á travers de différentes séries d’indicateurs. Ceux-lÁ serviront de données de base que le gouvernement et la société civile pourront utiliser pour prévenir la violence envers le genre. L’étude sur les foyers mauriciens que mène actuellement le Mauritius Research Council pour le compte de Gender Links fournira des informations plus précises sur les moyens de réduire le niveau actuel de violence envers le genre. Les résultats fourniront des informations exactes et précises sur l’étendue, la prévalence et les causes de cette violence.
Au cours d’une réunion de haut niveau Á la mi-2009, ce projet a obtenu l’approbation de toutes les parties concernées lorsque Colleen Lowe Morna, la directrice exécutive de Gender Links l’a présenté. L’ancienne ministre de la Femme, Indrani Seeburn et l’ancien Attorney General, Rama Valayden, ont participé Á cette réunion. Y assistaient aussi des représentants du bureau du Premier ministre, de la Sécurité sociale et d’autres ministères et corps paraétatiques. Ce projet est si important qu’un représentant du ministère de la Femme, rebaptisé de l’Egalité du Genre, s’est rendu Á Gender Links en Afrique du Sud Á deux reprises pour mieux l’appréhender. Le ministre de tutelle de l’époque a promis Á plusieurs reprises de financer une partie du projet.
Après toutes ces promesses, il nous fut déclaré que bien que le projet soit de prime importance pour le pays, il ne pouvait être financé du fait que ses résultats ne seraient pas immédiats. Des demandes de financement écrites Á au moins dix compagnies privées dans le contexte de la Responsabilité Sociale des Entreprises sont demeurées lettre morte. Lettres qui ont aussi été copiées Á l’Empowerment Foundation mais cet organisme n’a jamais accusé réception.
A Gender Links, nous croyons dans ce que nous faisons et nous allons de l’avant avec ce projet malgré le maigre budget dont nous disposons. Nous savons que les résultats de ce projet aideront les femmes vulnérables et les enfants en détresse Á se protéger contre la violence et contre tous ces actes dignes d’un film d’horreur. Il se peut que les résultats de ce projet soient le médicament qu’il faut Á notre société malade. Qui sait…
Loga Virahsawmy est directrice du bureau francophone de Gender Links Á Maurice. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links.
Comment on Plus jamais ça!