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C’est loin d’être le grand luxe mais on y gagne quand même de l’argent. Le 3 janvier 2005, alors que tous les Mauriciens faisaient la fête, moi j’étais seule dans ce jardin. Il faisait nuit et je n’avais eu aucun client de toute la journée. Puis un jeune homme est venu vers moi. Il m’a dit qu’il habite dans la capitale avec sa grand-mère mais qu’on pouvait y aller discrètement pour avoir des relations sexuelles. L’homme était ivre mais il m’a proposé Rs 1000 et m’a dit qu’il souhaite que je reste avec lui jusqu’aux petites heures du matin.
J’ai accepté faute d’avoir pu trouver mieux ce soir-la. Nous sommes allés dans la cour de son domicile. Je commençais Á retirer mes sous-vêtements quand soudain, il s’est jeté sur moi et a commencé Á me tabasser. Il me rouait de coups, dans mon ventre surtout et essayait de m’étrangler. Il me traitait de pute, de chienne et disait que je méritais de mourir. Puis il s’est calmé et m’a dit qu’il avait envie d’avoir des relations sexuelles.
Il a déchiré mes sous vêtements et jeté ma robe. J’étais toute nue dans cette cour et j’avais mal au ventre. Il s’est mis Á me donner des coups de poings au visage. Il m’a appuyée contre lui et m’a prise avec violence. Puis, il s’est affaibli. Cependant, il ne voulait pas que je m’en aille. Il a repris les Rs 1000 qu’il m’avait données et m’a dit que je ne valais rien, que c’est moi qui devrais le payer.
Il a ensuite confisqué les quelques pièces que j’avais dans mon portefeuille. Je l’ai supplié de me rendre cet argent. Je lui ai dit qu’il pouvait prendre ses Rs 1000 mais qu’au moins, il me rende ce qui m’appartenait. Il m’a insultée. Puis, il s’est assis et m’a dit qu’il allait me sodomiser pour que je me souvienne de lui toute ma vie. Ma robe était entre ses mains. Mais je me suis dit qu’il vaut mieux que je prenne la fuite. Il s’est relevé et m’a encore frappée.
Dans ma tète, je me disais qu’on allait retrouver mon corps sans vie le lendemain et que ça allait faire la Une des journaux et des bulletins télévisés. Il m’a traînée Á l’arrière de la maison où il y avait une petite rivière. Il m’a rouée de coups mais j’ai profité d’un moment d’inattention de sa part pour me sauver. J’ai couru toute nue dans la ville jusqu’au Jardin de la Compagnie. LÁ , un proxénète m’a remis des vêtements et je suis rentrée Á la maison. Je ne pouvais aller consigner de déposition contre lui, même si j’étais une victime car comme j’étais une travailleuse sexuelle et que le racolage est interdit, la police allait m’enfermer.
J’ai revu ce bourreau plusieurs fois abordant d’autres travailleuses du sexe et se comportant de la même manière après. Cette soirée du 3 janvier, je ne pourrai jamais l’oublier car cet homme m’a traitée comme un animal. Je pensais sincèrement que j’allais y rester ce soir-lÁ . Dans ma vie de travailleuse du sexe, j’ai connu toutes sortes de personnes mais jamais d’aussi violents que cet homme-lÁ . Non seulement, il m’a tabassée, m’a insultée mais de plus, il a volé le peu que j’avais, me laissant courir nue dans la ville. Même si on est travailleuse sexuelle, on a une certaine dignité de femme. Et il se trouve qu’Á quelques mètres où j’avais vécu ce traumatisme, quatre ans plus tard, on retrouvait le corps d’une travailleuse sexuelle enceinte qui a été assassinée. Dieu merci, j’ai cessé de toucher Á la drogue. Cela fait partie de mon passé, tout comme le travail sexuel. On dit souvent qu’on peut oublier son passé. J’ai oublié le mien mais cette soirée du 3 janvier restera gravée au fer rouge dans ma mémoire. »
Paul Sophonie est journaliste Á Maurice. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links.
Comment on Sheila; ancienne travailleuse sexuelle: “On m’a traitée comme un animal”