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La Commission Justice et Vérité a démarré ses travaux en mars 2009. Parmi les plus importantes récriminations avancées, c’est le vol de terrains pris aux descendants d’esclavages par ceux des colons. Plusieurs individus ou associations ont déposé d’importants dossiers alléguant que certains colons ont accaparé des terrains qui appartenaient Á leurs ancêtres. Mais parmi ceux-lÁ , deux dépositions surtout ont retenu l’attention. Il s’agit de celles de Marie Yola Argot-Nayekoo, porte-parole des descendants d’esclaves de Trou Chenille, région dans le sud-ouest de l’île, et de Firozah Cadinouche, venue plaider la cause des travailleurs indiens engagés durant la colonisation française.
Dans le premier cas cité, la Commission Justice et Vérité s’est déplacée au village du Morne en janvier dernier. «Les familles de Trou Chenille m’ont fait part de leurs témoignages pour que la vérité soit établie et que justice soit faite », affirme Marie Yola Argot-Nayekoo. La démarche de cette dernière a été soutenue par les témoignages de Noël Donice, Marie Anne Marguerite Dony et Marga Larusée, tous originaires de Trou Chenille. Dans leur langue maternelle, ces rescapés de déplacements forcés Á partir du Morne ont ému plus d’uns en racontant une île d’un autre temps où l’injustice sociale était tout Á fait normale.
De ce fait Marie Yola Argot-Nayekoo s’est appesantie sur le déplacement forcé des villageois en 1874 de l’ancien village du Morne où se trouvent aujourd’hui les plus imposants hôtels du pays. «Trou Chenille est un des premiers villages d’esclaves et d’anciens esclaves. La vie y était douce, bien que sans électricité, ni eau courante. Les gens menaient une vie simple mais heureuse. Le village se situait entre mer et montagne. Etant pratiquement tous pêcheurs, les habitants vivaient des fruits du lagon et chassaient les singes, lièvres, sangliers, et hérissons. Il y avait aussi des charbonniers et des laboureurs », a-t-elle expliqué.
En 1945, la famille Cambier décide de chasser les villageois de Trou Chenille pour en faire un pâturage pour ses animaux. Les descendants d’esclaves qui vivaient lÁ ont donc été contraints de quitter leurs habitations et de déménager vers l’Embrasure. Aucun dédommagement ne leur a été versé pour qu’ils quittent la terre de leurs ancêtres. Ce fut donc le premier déplacement forcé qui eut lieu. Le deuxième s’est produit 20 ans plus tard après le cyclone Carol en 1960.
« Le problème, c’est que depuis l’époque de l’esclavage, on leur a toujours dit qu’il fallait respecter et courber l’échine devant les descendants des colons. C’est donc sans se battre et impuissants qu’ils ont abandonné leur village. On leur a dit qu’on écraserait leurs maisons Á coups de bulldozers s’ils ne partaient pas », raconte encore Marie Yola Argot-Nayekoo.
Une démarche qui n’a pas été sans conséquences puisque Bertrand Giraud, représentant d’Alain Cambier, s’est présenté devant la commission pour confirmer que ces terres n’appartenaient pas Á sa famille. “Les terres où vivaient ces habitants étaient celles de l’Etat et la famille Cambier y faisait du gardiennage, comme l’avait prescrit le gouvernement britannique, afin de prévenir une occupation illégale par des squatters”, a-t-il soutenu.
Il a voulu rétablir les faits après le témoignage de Marie Yola Argot-Nayekoo. Sa famille possède des terres privées près de la montagne Le Morne et Trou Chenille fait partie des pas géométriques côtiers, soit les terres du gouvernement. Tout en confirmant que le cyclone de 1945 avait détruit les maisons des habitants, il explique que c’est le gouvernement d’alors qui avait décidé de construire la route côtière, forçant ainsi ces familles Á se déplacer, déplaçant dans la foulée la boutique de la localité.
Bertrand Giraud a maintenu que ses ancêtres n’ont jamais chassé ces habitants. « Les premiers occupants de Trou Chenille y habitaient en 1874 et la famille Cambier n’a acheté des terres qu’en 1877 », a-t-il expliqué, ajoutant que ces derniers avaient d’ailleurs vécu en bon voisinage pendant plusieurs années.
Dans le deuxième cas susmentionné, l’ancienne enseignante Firozah Cadinouche a déploré que l’histoire et la contribution des travailleurs indiens qui sont venus dans l’île durant la période française ne soient pas reconnues au même titre que ceux des travailleurs engagés. Elle déplore que l’histoire, telle qu’elle est présentée dans les livres d’école, comporte des lacunes. Ces travailleurs indiens, artisans, maçons ou charpentiers, étaient poussés Á se convertir au catholicisme et Á abandonner leur culture d’origine. De plus, les historiens disposent peu d’informations sur les séjours des marins arabes qui ont été les premiers Á fouler le sol de notre pays.
Firozah Cadinouche a également plaidé pour la préservation des vestiges du port de Port- Louis. Elle constate qu’une bonne partie de ceux-ci ont disparu au nom de la modernisation portuaire.
«La CJV est unique dans le sens où elle a trait Á des événements survenus il y a des centaines d’années. C’est pour nous un défi car d’autres pays comme les Etats-Unis ont tenté en vain de mettre sur pied une commission similaire pour faire la lumière sur l’esclavage », assure le Dr Vijaya Teelock, historienne et vice-présidente de ce comité.
En Afrique du Sud, une Commission Vérité et Réconciliation a eu lieu après la chute du régime de l’apartheid pour faire la lumière sur les crimes commis justement sous ce régime. Elle était présidée par Mgr Desmond Tutu. La Commission avait un projet ambitieux et son mandat était de tenter de promouvoir la réconciliation entre les Noirs et les Blancs en Afrique du Sud. Ce projet était au départ centré sur les violations majeures des droits humains durant l’apartheid. La Commission s’est efforcée de remplir son mandat, d’abord en faisant toute la lumière sur ces violations et en situant le plus possible les responsabilités tant au niveau politique mais également individuelles. Son objectif était double: d’une part dresser un inventaire des faits officiels et d’autre part d’informer les proches des victimes sur ce qui était arrivé aux leurs et dans quelles circonstances. Fondamentalement, la Commission Vérité et Réconciliation a fonctionné sur la base d’un compromis de justice parce qu’il y a eu amnistie.
L’Ile Rodrigues, autre district de Maurice, n’en sera pas exclue des auditions. En effet, les membres de la CJV y séjourneront le temps d’une semaine pour écouter d’autres doléances. L’on peut s’attendre Á des témoignages tout aussi poignants que passionnants.
Jimmy Jean-Louis est journaliste Á Maurice. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links, qui apporte des perspectives nouvelles Á l’actualité quotidienne.
Comment on Un énorme espoir suscité par la Commission Justice Vérité Á Maurice