Une première Á  Maurice: le courrier délivré par…des femmes


Date: January 1, 1970
  • SHARE:

«Maman, maman! Tu as vu les dames facteur!», demande avec insistance
un enfant à sa mère à la gare Victoria à Port-Louis. Blouse à
rayures bleues, pantalon de la même couleur et chapeau blanc, c’est
l’uniforme de ces ‘drôles de dames’ qui arpentent les bureaux de Port-Louis.
Malgré qu’elles essaient de rester discrètes, elles se font quand même remarquer là où elles passent.
Et partout, ces quatre femmes sont félicitées pour leur engagement dans ce corps de métier. «C’est une bonne idée. Quand j’ai vu ces dames pour la première fois, j’ai arrêté de travailler pour leur parler. Ce qui bien avec elles, c’est qu’elles sont déterminées
à réussir et à faire du bon travail», fait remarquer un employé de bureau. Qui
ajoute: «Une mauvaise nouvelle est moins difficile à avaler quand elle a pour messagères des femmes».
Qu’est-ce qui a poussé ces femmes à faire ce métier? A l’unanimité, elles répondent
que c’est pour avoir un travail stable et subvenir aux besoins
de leurs familles respectives. «De nos jours, il est difficile de trouver un
travail. Avec ce métier, nous avons une sécurité d’emploi et
surtout, des horaires nous permettent d’avoir le temps pour nos enfants. Auparavant, je
rentrais stressée, énervée et j’avais démissionné de mon rôle de maman et ce,
sans le vouloir», raconte Waheda Ramdeen, 37 ans, mère de trois enfants.
Avant d’être factrice, elle travaillait dans un magasin. Ce métier ne
lui permettait pas d’encadrer comme elle le voulait son enfant qui est en Form V et qui va prendre bientôt part à l’examen de Cambridge, ni celui qui est en Standard VI et qui va participer prochainement à l’examen du Certificate of Primary
Education (CPE). «Quand je sortais du travail le soir, je n’avais pas
de temps à leur consacrer. Là, avec ce travail de factrice, je pourrai rentrer plus tôt à la maison et mieux les guider», dit-elle.
Avis que partage Parveeza Auckbaraullee, 36 ans, maman de quatre enfants. Son aîné a 15 ans et le dernier quatre ans et demi. Grâce à cet emploi, dit-elle, les dépenses de la famille seront moins lourdes et elle pourra faire des économies. «Le
coût de la vie est devenu très élevé. De nos jours, maris et femmes doivent
impérativement travailler», insiste-t-elle.
Cindy Roopa, 30 ans, se dit ravie de rejoindre la grande famille des facteurs
de Maurice. Avant d’être embauchée par la Poste, elle se consacrait au social: «Je donnais un coup de main à Caritas. Mon époux et moi avons des
projets pour nos enfants et nous voulons qu’ils réussissent. C’est
pourquoi nous devons faire des économies pour payer leurs études. Nous
voulons leur donner tous les outils nécessaires pour qu’ils soient des
adultes responsables et indépendants».
Yasmine Said Mohedeen, 37 ans, mère de trois
enfants,  était elle aussi impliquée dans le social. Comme cela ne
nourrit pas son homme ou plutôt sa femme, elle a été obligée de trouver un travail. Elle espère qu’en travaillant comme factrice, elle pourra contribuer à améliorer la qualité de vie de sa famille. «Kan dé lamé zwen, li fer son», déclare-t-elle.
Mais jusqu’ici, ce métier était traditionnellement effectué par des hommes. Ont-elles été bien accueillies par leurs collègues masculins? Toutes répondent affirmativement.
Waheda Ramdeen avoue qu’elle appréhendait son premier jour de travail en tant que factrice. Mais quand elle a rencontré ses
collègues masculins, le courant est bien passé. Parveeza Auckbaraullee trouve que les
facteurs les aident beaucoup dans leur travail : «Actuellement, nous
sommes en formation et chaque jour, nous apprenons d’avantage de nos collègues masculins».
Yasmine Said Mohedeen souligne que ses collègues masculins n’hésitent pas une seconde
à lui venir en aide. «Au début, on se dit que ce sera dur. Mais
comme nos collègues hommes sont patients, ils prennent le temps de tout nous expliquer et nous aident dans notre travail. Ce n’est pas pour autant que nous sommes favorisées ou privilégiées. Les facteurs nous respectent
et nous accordent le même traitement qu’ils accorderaient à un n’importe quel facteur».
Actuellement, elles sont en formation et accompagnent un
facteur dans ses déplacements. C’est à pied qu’elles déposent le courrier. Pour le moment,
elles travaillent à Port-Louis et s’occupent surtout de la distribution du courrier dans les
bureaux.
Leurs époux, ainsi que leurs enfants, les encouragent. Parveeza Auckbaraullee raconte une anecdote. Il y a quelques jours, sa fille a annoncé fièrement à ses camardes de classe que sa mère est factrice. «Elle est vraiment fière du métier que je fais».
Le fait de travailler dans ce corps de métier et le port de l’uniforme font que les gens ont un autre regard sur elles, même si elles viennent d’un quartier qui n’a pas toujours bonne réputation. «J’habite à Roche-Bois, un quartier à problèmes et les gens ont généralement tendance à juger mal les habitants de cette région. Ils ont tort car des gens bien comme il faut y vivent. En étant factrice, on représente un peu les habitants de notre quartier», confie Cindy Roopa. Parveeza Auckbaraullee et Yasmine Said Mohedeen viennent de Plaine Verte alors que Waheda Ramdeen habite Vallée-des-Prêtres.
Est-ce un métier du futur pour les femmes? Elles le pensent. «Nous
remercions la Poste de la chance qu’elle nous a donnée. Nous
espérons que d’autres femmes comme nous auront aussi
l’opportunité de faire ce métier», dit Yasmine Said Mohedeen. Nos
interlocutrices remercient aussi leurs collègues masculins
pour leur soutien constant.
Giandev Moteea, Chief Executive Officer à la
Mauritius Post, annonce l’embauche d’autres femmes comme factrices. « Aussitôt qu’il y
aura des postes vacants, nous embaucherons des femmes. Même si le recrutement des factrices est un projet pilote, il a très bien démarré et le résultat s’annonce très positif», dit-il. Il n’écarte pas la possibilité d’envoyer les factrices dans les autres villes et les villages. Voilà un nouveau secteur d’emploi pour les femmes…
 
Kendy Mangra est journaliste à Maurice. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links. 


Comment on Une première Á  Maurice: le courrier délivré par…des femmes

Your email address will not be published. Required fields are marked *