Vente Á  la barre: un engrenage vicieux


Date: January 1, 1970
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Tout perdre. Voilà une crainte qui devient bel et bien réelle dans le processus de vente à la barre. Si ce système légal n’a rien de nouveau, plusieurs vagues de dénonciations quant à des pratiques abusives ont été soulevées à Maurice depuis 2004.
 
Dernière protestation en date, une grève de la faim entamée le 14 avril dernier par onze membres de l’Association des Victimes du Sale by Levy et qui a duré plusieurs jours. Parmi ces personnes, une majorité féminine. Ce sont six femmes s’étant retrouvées seules après une séparation ou un décès ou qui sont dépendantes d’un époux n’ayant pas de revenus stables. C’était leur façon de lancer un appel de détresse.
 
Vijantee Takah, la quarantaine, a participé à cette grève de la faim avec ses deux filles, âgées de 10 et 11 ans. «Elles n’ont pas participé à la grève mais j’ai été obligée de les garder avec moi. Mon mari et moi sommes séparés et je n’ai personne pour les garder», explique cette femme qui travaille comme marchand ambulant dans la ville de Curepipe.
 
Elle affirme devoir rembourser des dettes qu’elle et son mari avaient contractées mais sous son nom. «Depuis que nous ne sommes plus ensemble, mon mari n’effectue plus les remboursements et avec mon travail, je n’ai pas de revenus réguliers». Puisqu’elle ne peut honorer ses dettes, sa maison, qui avait été donnée en garantie, est susceptible d’être vendue.
 
Pour Marie-Lourdes Botte, une autre mère de famille, l’inquiétude est tout aussi grande, même si son histoire diffère. Mère de six enfants, dont un nourrisson de huit mois, elle dépend financièrement de son mari. «Il est pêcheur et ses prises ne sont pas régulières. Ce n’est pas tous les jours qu’il peut sortir en mer car tout dépend du temps qu’il fait. Et, là, il a trouvé un travail pour deux jours comme maçon», explique cette habitante de Baie du Tombeau. Le couple a contracté un emprunt de Rs 305 000 pour construire leur maison. Faute de revenus réguliers, ils n’arrivent plus à soutenir le montant du remboursement.
 
De nombreuses femmes comme Vijantee Takah et Marie-Lourdes Botte, se retrouvent coincées dans l’engrenage de la vente à la barre. Harish Boodhoo, qui a été pendant plusieurs années, un porte-parole des victimes de la vente à la barre, confirme que dans de nombreux cas, «beaucoup de femmes doivent faire face à ce genre de situation». Mais, il n’y a pas de statistiques pour le confirmer.
 
Pour Harish Boodhoo, le problème n’est pas commercial mais plutôt d’ordre légal. Si la vente à la barre est loin d’être un procédé nouveau, le rôle des hommes de loi au sein de ce système a été à maintes reprises pointé du doigt. Harish Boodhoo, ainsi que d’autres parties, ont accusé certains avoués et avocats de détourner le système en leur faveur, et ce malgré la «Protection of Borrowers Act» de 2007.
 
Dans son plaidoyer, Harish Boodhoo a insisté sur ce qu’il décrit comme étant la «mafia de la vente à la barre». «Il y a des avoués, avocats, notaires, arpenteurs, courtiers, usuriers et d’autres institutions véreuses qui volent, trichent, et exploitent les gens crédules, surtout les illettrés et les pauvres». Il reproche notamment à ces hommes de loi d’être de connivence et de faire renvoyer les audiences.
 
Lorsque les dossiers de vente à la barre passent en cour, les représentants des deux parties – du créancier et du débiteur – ont la possibilité de demander un renvoi, et dans de nombreux cas, il y a plusieurs renvois. Ce qui engendre des revenus pour les représentants légaux des parties impliquées.
 
C’est justement ces renvois qui donneraient lieu, selon Harish Boodhoo, à des abus. «Parfois les affaires sont renvoyées plus d’une dizaine de fois, et dans ce genre de cas, l’avoué du créancier touche une commission de 10% pour chaque représentation», soutient-il.
 
Interrogé par le quotidien l’express, le président de la Mauritius Law Society, Manon Mardemootoo, a expliqué que cette commission «est en fait la somme que doit un client à son avoué. Le débiteur paie cette commission à son créancier parce qu’il s’est engagé à rembourser au créancier tous les frais que ce dernier encourt,» poursuit-il. Ce porte-parole des avoués souligne aussi que seul le juge qui préside la séance a le pouvoir de renvoyer un cas et qu’il n’incombe pas aux avoués d’en décider.
 
Du côté de certains avocats, on soulève cependant des interrogations quant au processus de la vente à la barre. Un membre du barreau se demande notamment si les gens connaissent les conséquences, ainsi que les implications complexes liées au non-remboursement de certains emprunts. Malgré la «Protection of Borrowers Act» promulguée en 2007,  la vente à la barre reste complexe.
 
Il est facile d’arguer que ceux qui contractent un emprunt ont l’obligation d’être conscients des conséquences potentielles de leurs actes. Or, il est difficile pour tout individu, n’étant pas féru de questions légales, d’avoir une réelle compréhension de tous les rouages de la vente à la barre, de par sa grande complexité.
 
Lorsque les banques octroient des emprunts, n’ont-elles pas quelque part le devoir moral d’expliquer les mécanismes légaux qui s’enchaîneront en cas de non-remboursement? Plusieurs des femmes qui sont membres de la plate-forme «Victimes de la vente à la barre» ont au moins une quarantaine d’années et forment partie d’une génération où l’éducation, en particulier, celle des filles, n’était pas une priorité.
 
La question est donc de savoir si certaines personnes sont réellement aptes à appréhender l’imbroglio dans lequel elles se sont retrouvées? Si l’éducation reste la clef, il s’agit aussi de fournir l’information adéquate pour que les emprunteurs soient réellement avertis et conscients de tout ce qui les attend.
 
Sharon Sooknah est journaliste à Maurice. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links.


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